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Des millions de disparus sur le devant de la scène

Les Folles de la Place de Mai, en Argentine, ont été les premières à manifester avec les photos de leurs disparus. Keystone

Le CICR organise une conférence internationale à Genève pour lutter contre les disparitions lors de guerres et de violences internes.

Objectif: sensibiliser les acteurs des conflits, prévenir les disparitions et répondre aux besoins des familles.

Quelque 350 experts, venus de 90 pays, sont réunis jusqu’à vendredi à Genève pour la première conférence internationale sur la question des disparus.

Des familles, des psychologues, des militaires, des humanitaires, des procureurs et des experts gouvernementaux ont ainsi répondu à l’appel du Comité international de la Croix-Rouge (CICR)..

Lors l’ouverture de la conférence, jeudi à Genève, le président du CICR Jacob Kellenberger a notamment appelé à une action «pour venir en aide aux personnes qui ont souffert de la guerre et pour celles qui pourraient en être les futures victimes.»

Des mesures pratiques

La Suisse participe activement à cet événement sans précédent. Nicolas Michel, chef de la Direction du droit international au Département fédéral des affaires étrangères (DFAE), est le président du groupe de travail de la conférence.

Celle-ci doit adopter une déclaration d’intention contenant une série de mesures pratiques.

«Nous voulons avant tout discuter sur la manière d’amortir au mieux les chocs causés par les disparitions», précise Arthur Mattli, de la Direction du droit international public du DFAE.

Le CICR entend pour sa part rappeler que les disparitions ne sont pas une fatalité.

«Nous avons rassemblé tous les acteurs qui peuvent avoir un impact sur la question des disparus», explique Danielle Coquoz, cheffe de l’agence de recherche et de protection du CICR.

Et de poursuivre, «nous souhaitons échanger les connaissances de toutes les parties concernées mais aussi inciter les gouvernements à assumer leurs responsabilités dans ce domaine.»

Des dizaines de pays concernés

Cette question est d’autant plus urgente que chaque contexte de violence interne à un pays, chaque conflit armé, entraîne des disparitions et plonge des milliers de famille dans l’angoisse. Aujourd’hui, des dizaines de pays sont directement concernés.

Il n’existe toutefois pas de statistiques précises. Les experts doivent se contenter d’estimations approximatives.

Selon le CICR, la guerre entre l’Iran et l’Irak a fait des dizaines de milliers de disparus. Actuellement, le CICR mène des négociations avec l’Irak et le Koweït pour clarifier le sort de 600 Koweïtiens et de 1100 Irakiens disparus lors de la guerre du Golfe en 1990-1991.

Le conflit au Rwanda a entraîné plus de 100 000 disparitions. Et celui de l’ex-Yougoslavie, 22 000.

La guerre des chiffres

Mais ces chiffres suscitent la controverse. «Nous n’avons que des informations fragmentaires concernant certaines situations de violence», souligne Danielle Coquoz. Mais ce n’est pas suffisant pour connaître l’ampleur réelle du problème.

Et d’ajouter, «d’ailleurs la question des chiffres est délicate. Elle fait souvent l’objet d’une controverse de nature politique ou chaque partie au conflit a intérêt soit à augmenter ou soit à minimiser le nombre de disparus.»

«Au Liban, renchérit Habib Nassar, vice-président du comité des familles des personnes disparues au Liban, le gouvernement se refuse tout simplement à affronter cette réalité. La plus grande partie de la classe politique, qui est issue de la guerre civile, tient à liquider ce dossier à moindre frais.»

Miser sur la prévention

Pour le CICR, les causes les plus fréquentes de disparition sont les massacres et les conflits opposant armées régulières et factions rebelles.

«Dans la majeure partie des cas, les combattants meurent sur les champs de bataille et leurs corps ne sont pas identifiés», constate Danielle Coquoz.

«Dans ce contexte, les disparitions sont le résultat de négligences ou d’une méconnaissance des cadres légaux. Il suffirait pourtant que les gouvernements et les armées appliquent des mesures simples pour éviter que ces soldats morts au front ne viennent gonfler les rangs des disparus», précise-t-elle.

Pour limiter ce risque, le CICR préconise notamment que les soldats portent systématiquement des plaques d’identité et de veiller à marquer les tombes sur les champs de bataille.

Il faut, également, préserver les objets d’identification ou les papiers d’identité appartenant aux victimes.

L’organisation internationale souhaite d’ailleurs contribuer à mettre au point des standards internationaux pour l’exhumation, l’identification et la gestion des dépouilles.

Disparitions en Algérie

Mais il y a aussi des disparitions intentionnelles qui répondent à la volonté d’une autorité quelle soit officielle ou non.

A titre d’exemple, quelque sept mille personnes au moins auraient été enlevées, dans les années 90, durant la guerre civile qui sévit toujours en Algérie.

Raison pour laquelle, chaque mercredi, les familles de disparus se massent devant l’Office national des droits de l’homme à Alger. Elles brandissent la photographie de leur proches disparus. Toutes réclament la vérité sur les disparitions et justice.

Et cela comme l’ont fait les «Folles de la Place de Mai» qui, pendant la dictature argentine, ont été les premières à lancer ce type d’action.

Face à ces situations dramatiques, le CICR n’a que peu de marge de manœuvre. Il incite donc les familles à s’organiser et à collaborer avec les sociétés civiles et les ONG actives dans la lutte contre les disparitions.

Une définition plus large encore

Mais des personnes déplacées ou vivant dans des zones occupées, les réfugiés ou encore des combattants sur le front peuvent également être enregistrés au nombre des disparus. Tout simplement, parce qu’ils ne peuvent pas communiquer avec leurs proches.

Le CICR est particulièrement actif sur ce terrain. Notamment en République démocratique du Congo. En collaboration avec ses partenaires de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, il a notamment aidé plus de 400 familles à retrouver les enfants dont elles avaient été séparées durant la guerre.

swissinfo, Vanda Janka

Rwanda: plus de 100 000 disparitions
Ex-Yougoslavie: 22 000 disparitions
Sri Lanka: 8000 disparitions
Pérou: 6000 disparitions

– Objectif de la conférence du CICR: faciliter le travail de recherche des familles; les inciter à travailler avec les organisations des droits de l’homme; multiplier les pressions sur les gouvernements et les responsabiliser.

– Elle souhaite la mise en œuvre de standards internationaux pour l’exhumation, l’identification et la gestion des dépouilles.

– Elle veut inciter les gouvernements à mieux venir en aide aux familles et à prévenir de nouvelles disparitions.

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