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Fumée passive: les secrets de Philip Morris

Vous prendrez bien une bouffée de fumée passive? Keystone

Depuis 1982, le géant du tabac avait en main des résultats scientifiques prouvant la nocivité de la cigarette pour les non-fumeurs.

C’est ce qu’ont découvert deux Genevois et un Britannique, en remontant la filière d’un laboratoire secret, qui passe deux fois par la Suisse.

«La vérité, rien que la vérité, toute la vérité? Les recherches que Philip Morris ne voulait pas vous laisser voir». Sous ce titre, la prestigieuse revue médicale britannique The Lancet publie cette semaine un article signé d’un informaticien et de deux médecins: Pascal Diethlem et Jean-Charles Rielle (de Genève) et Martin McKee (de Londres).

On y apprend que le géant américain de la cigarette a conduit depuis 30 ans des études très discrètes sur la nocivité du tabagisme passif. Et dès 1982, les dirigeants de la multinationale avaient en mains des résultats tout à fait probants.

Pour les obtenir, les chercheurs ont soumis des rats à une atmosphère fortement enfumée. Ils ont alors constaté que ces rongeurs présentaient des lésions de la muqueuse nasale plus importantes que d’autres rats à qui on avait fait inhaler directement la fumée du tabac.

Or ce n’est que douze ans plus tard, en 1994, que Philip Morris admettra les dangers du tabagisme passif. C’est ce qu’affirment les trois auteurs de l’article.

Digne d’un roman d’espionnage

L’histoire qu’ils racontent est digne d’un roman d’espionnage. En 1972, la multinationale du tabac achète en sous-main le laboratoire allemand Inbifo, par l’intermédiaire des Fabriques de Tabac Réunies, une de ses filiales suisses.

Philip Morris recourt à un considérable luxe de précautions afin que personne ne puisse établir le lien entre elle et Inbifo. Le courrier transite par des adresses privées et les documents sont détruits après lecture par les rares cadres supérieurs qui sont dans la confidence.

«C’est un montage extraordinaire, commente Pascal Diethelm. Un dispositif avec trois entités, qui sont propriété à 100% de Philip Morris. Et ces trois entités communiquent entre elles par l’intermédiaire d’un personnage externe.»

Ce personnage, c’est le professeur Ragnar Rylander, rattaché à l’Institut de médecine sociale et préventive de l’Université de Genève, mais secrètement (et grassement) payé par Philip Morris pour minimiser systématiquement les dangers de la fumée passive.

«Fraude scientifiques sans précédent»

En mars 2001, Jean-Charles Rielle et Pascal Diethlem, par ailleurs président d’OxyGenève, une association qui milite pour les droits des non-fumeurs à respirer librement, dénoncent publiquement l’affaire.

Ils parlent alors «d’une fraude scientifique sans précédent». Ce qui leur vaut d’être attaqués en diffamation par Rylander et condamnés en première et en seconde instance. Ils devront attendre décembre 2003 pour que le Tribunal fédéral leur donne raison.

Dans la foulée, une commission interne à l’Université rend également justice à l’informaticien et au médecin, mais renonce à toute sanction contre Rylander, qui a pris sa retraite entre-temps.

Une pièce de plus au dossier

Tel qu’il paraît aujourd’hui, l’article du Lancet n’est rien d’autre que la suite de l’affaire Rylander.

«C’est en préparant notre défense que nous avons trouvé les documents qui sont à la base de ce papier, explique Pascal Diethelm. Nous avons vu d’une façon très claire le dispositif au centre duquel se trouvait le professeur Rylander.»

Et au vu des milliers de pages compulsées, les trois auteurs peuvent affirmer que leurs révélations en sont effectivement. Ces faits n’ont jamais été rendus publics auparavant. Même dans l’enceinte d’un tribunal américain.

A l’avenir, elles pourraient par contre bien y faire un certain bruit. Le ministère US de la justice est en effet en procès avec l’industrie du tabac, à qui il réclame 285 milliards de dollars (!), somme considérée comme acquise par des procédés relevant du crime organisé.

«Notre article est une pièce de plus à ce dossier», conclut Pascal Diethelm.

swissinfo, Marc-André Miserez

– Selon l’Office fédéral de la santé publique, 71% des Helvètes sont non-fumeurs.

– Ce qui n’empêche pas neuf Suisses sur dix d’être exposés à la fumée du tabac d’autrui. 25% le sont pendant une heure par jour, 21% pendant une à trois heures et 6% pendant plus de trois heures.


– Une étude récente estime qu’aux Etats-Unis, 50’000 personnes meurent chaque année des suites d’une exposition au tabagisme passif. En Suisse, une estimation fait état de plusieurs centaines de morts chaque année.

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