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Hour Chea, Suisse, séduit puis victime des Khmers rouges

Un musée à Toul Sleng pour rendre hommage aux victimes des Khmers rouges. Keystone

Naturalisé suisse et établi à Zurich, cet universitaire d'origine cambodgienne raconte dans un livre l'horreur qu'il a subi dans les camps du régime de Pol Pot.

Lorsque Hour Chea était étudiant, les thèses de la Révolution l’avaient séduit. Mais très vite son rêve de justice et de progrès est devenu un cauchemar.

«Militants de tous les pays…soyez vigilants». C’est l’avertissement solennel que le microbiologiste cambodgien Hour Chea lance en exergue de son livre «Quatre ans avec les Khmers Rouges», qui sort ces jours en Suisse.

Réfugié en Suisse depuis 1979, il s’est engagé corps et âme il y a trente ans pour ce qu’il croyait être un formidable idéal de justice et de fraternité. Il sera cruellement déçu.

Brûlante actualité

Les révolutionnaires auxquels il croyait n’étaient qu’une «bande de fous sanguinaires», selon les mots du journaliste français Jean Lacouture, qui préface le livre. Des «fous» responsables d’un des régimes les plus barbares de l’histoire. Et de la mort par assassinats, privations et tortures d’au moins un million et demi d’innocents.

Le livre d’Hour Chea est d’une brûlante actualité puisque le tribunal créé par les Nations-Unies qui doit juger certains dirigeants khmers rouges pour crimes contre l’humanité pourrait se réunir cette année encore à Phnom Penh.

Avec un talent certain de reporter, Hour Chea, qui vit et travaille à Zurich, fait le récit terrible de ses déconvenues, de la découverte de l’horreur et de sa vie dans les camps. Mais aussi de sa fuite en Thaïlande et en Suisse, après «trois ans, sept mois et vingt jours» de souffrances indicibles.

Un robot hypnotisé

L’auteur raconte en outre comment il fut auparavant «hypnotisé» par les thèses du mouvement khmer rouge. Jusqu’à en devenir «un robot de la révolution ».

Né en 1945 dans un village de l’est du Cambodge, Hour Chea est fils de paysan. Après des études d’ingénieur agronome, il obtient une bourse de la France qui lui permet d’entrer à l’Institut Pasteur de Lille. C’est là qu’il décroche un doctorat en biologie. Et c’est là, mais aussi à Paris, qu’il fait ses premiers pas de militant.

Le prince Sihanouk, qui dirige le Cambodge, est renversé suite à un coup d’Etat pro-américain. Et les forces américano-sud-vietnamiennes lancent une grande offensive au Cambodge dans la zone qui sert de base arrière aux communistes nord-vietnamiens.

Des cours d’endoctrinement

La résistance s’organise. Elle est dirigée depuis Pékin par le prince Sihanouk. Mais son fer de lance, encore clandestin, est le futur Parti communiste du Kampuchéa, les Khmers rouges.

Hour Chea, qui a toujours eu une fibre patriotique et sociale, n’hésite pas longtemps. Il suit consciencieusement les cours d’endoctrinement révolutionnaires donnés en France.

Et lorsque les Khmers rouges «libèrent» le Cambodge en 1975 – vidant Phnom Penh de tous ses habitants – il est l’un des premiers à vouloir rentrer au pays pour servir la Révolution. «Nous rêvions, dit-il, d’un avenir radieux, d’une société nouvelle ».

Séjour de rééducation

A peine descendu d’avion, il est encerclé, avec d’autres intellectuels, par de très jeunes soldats khmers rouges le fusil à l’épaule. L’aéroport est désertique, l’accueil «sec et glacial». Aucun sourire ! «Pourtant, dit-il, notre pays était connu pour son sourire». Mais des regards «de mépris» chez les gardes qui l’emmènent.

Commence alors un interminable parcours avec d’abord le séjour obligé dans un centre de «rééducation».

Sans jamais savoir vraiment pourquoi, mais toujours sous la contrainte, Hour Chea va ensuite traverser une bonne partie du Cambodge, devenant tour à tour élève, enseignant, fossoyeur d’enfants morts de faim, tailleur de pierre, coupeur de bambou, pseudo-cultivateur, ouvrier de construction…

Sauver sa peau en priorité

Il découvre l’absurdité d’un régime qui voulait former des ingénieurs en trois mois! Et il souffre terriblement de la faim – «nous étions devenus méconnaissables» – , d’humiliations de toutes sortes et de la peur permanente que la moindre phrase maladroite entraîne son «élimination». «Il était très facile de mourir dans ce régime… ».

Pendant longtemps, Hour Chea supportera en silence toutes ces épreuves, persuadé «qu’il sera un jour utile à la nation».

Mais lorsqu’il arrive à la conclusion que le système khmer rouge est plus inhumain, plus corrompu, plus injuste et plus hypocrite que tout ce qu’il a connu, il admet que son rêve s’est écroulé et que la priorité est maintenant de sauver sa peau.

«A partir de ce jour, je décidai de préserver ma santé et ma vie. Il me fallait fuir, et si possible à l’étranger. Je ne voulais plus rester à vivre comme une bête».

swissinfo, Michel Walter

Après sa fuite en Thaïlande, Hour Chea obtient l’asile politique en Suisse où il réside depuis juillet 1979.

Il a connu sa femme, qui est aussi cambodgienne et aussi réfugiée, lors de sa fuite.

Naturalisé suisse depuis dix ans, il a deux filles.

Hour Chea vit à Zurich où il possède son propre Laboratoire de microbiologie.

Son livre s’intitule : ‘Quatre ans avec les Khmers rouges’, préface de Jean Lacouture, Editions Tchou, collection Ingérences, Paris, février 2007

Les Khmers rouges arrivent au pouvoir en 1975. Ils sont déterminés à créer une société nouvelle «à tous les égards ».

Ils distinguent le «peuple de base » constitué par les paysans passés sous leur contrôle. Et le «peuple nouveau» – citadins, intellectuels, commerçants – qu’il faut «réformer» et sur lequel le mouvement a droit de vie ou de mort.

Le système de collectivisation et de répression chinois sert de modèle. Mais les Khmers rouges sont beaucoup plus absolus.

Leur programme consiste notamment à déplacer les populations des villes dans des coopératives agricoles, à supprimer la propriété privée et à supprimer l’argent.

Epuisés par le travail forcé, malades et affamés, les citadins déportés à la campagne périssent massivement.

L’organisation se caractérise par des méthodes répressives d’une brutalité inouïe. La torture et les exécutions sont pratiqués sur une grande échelle, en particulier au centre “S-21” , situé au cœur de Phnom Penh dans une ancienne école.

Le nombre exact de victimes du régime fait encore l’objet de recherches. Le chiffre le plus souvent cité est celui de 1,7 millions de personnes, soit un quart de la population cambodgienne de 1975.

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