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Interminable veillée d’armes à Valence

Alinghi à quai. Et comme pour narguer le géant, un petit bateau télécommandé se promène dans la rade de Valence. Keystone

Pas assez de vent lundi pour la première régate de la Coupe de l’America à Valence. Trop de vent mercredi pour pouvoir prendre un nouveau départ… C’est vendredi qu’Alinghi et Oracle devraient en découdre. Mais déjà la météo s’annonce maussade. Renvoi après les JO ?

«On est des Suisses de Malaga. On aimerait bien voir Alinghi battre les Américains !» Venu avec son fanion à croix blanche, un couple alémanique fait partie de la centaine de supporters agitant drapeaux suisses et cloches de vache au pied de la base d’Alinghi. Le soleil brille sur Valence. Tout indique que la course pourra enfin avoir lieu…

Tout sauf les palmiers qui agitent un peu trop leurs palmes. Amarré à quai, le monstre marin avec son mât de 66 mètres de haut dominé par un drapeau suisse n’est visiblement pas prêt à appareiller. Personne à bord, les voiles désespérément absentes, Ernesto Bertarelli buvant le café à l’intérieur de sa base, c’est très mauvais signe…

Comme il faut deux bonnes heures pour gagner la ligne de départ au large de Valence, on sent bien que ce sera à nouveau une journée «sans»: «Avec des creux de 2 mètres au large, le jury de la course a renvoyé le départ à vendredi», vient expliquer un porte-parole d’Alinghi.

Aile de géant

Trop de vent, pas assez de vent? A quelle vitesse exacte le vent doit-il souffler pour que les plus prestigieux voiliers jamais construits osent affronter les éléments ? Eole joue un bon tour aux milliardaires Bertarelli et Ellisson. Personne n’a envie de casser sa barque avant même d’avoir pu engager sérieusement la bataille navale.

Pour faire patienter journalistes, sponsors et invités, un bateau emmène tout le monde voir Oracle, le concurrent américain amarré à l’autre bout du port. Il est tellement imposant avec sa voile en forme d’aile d’avion, plus grande que celle d’un Airbus A-380 et d’un poids de 3500 kg, qu’il est incapable de manœuvrer dans le chenal, condamné à rester à l’entrée face aux porte-conteneurs entrant et sortant du port marchand.

Et comme sa «voile-aile» ne peut être descendue, des coéquipiers restent à bord 24 heures sur 24 pour orienter le trimaran dans le sens du vent: «Une bonne tempête et Alinghi a gagné par forfait sans même hisser les voiles!», ironise un spectateur. Mais n’approche pas qui veut du bateau américain. Perché sur un jet-ski, un garde-civil espagnol interpelle les bateaux qui s’approchent trop du multicoque.

Désintérêt en Espagne ?

Hormis les drapeaux suisses flottant au vent (eux au moins… !), l’évènement passe assez inaperçu dans cette ville de 800’000 habitants. Manifestement, cette bataille navale entre deux Léviathan passionne peu la population.

Le journal télévisé n’en parle qu’en fin de programme et les médias locaux ont d’autres sujets à se mettre sous la dent: le chômage qui touche un Espagnol sur cinq, la crise de l’immobilier, alors les caprices de deux milliardaires…

«Contrairement à la course de 2007 qui s’est déroulée à Valence durant plusieurs mois avec douze bateaux concurrents, le duel entre Alinghi et Oracle est loin de réunir autant de monde, explique Gilles Dind, du bureau de Suisse Tourisme à Barcelone. Raison pour laquelle nous n’avons pas songé à monter une opération comme en 2007 avec raclettes, restaurant suisse et concerts classiques en collaboration avec Présence Suisse ».

A l’heure de la conférence de presse improvisée sur les quais en fin d’après-midi, le skipper français Loïck Peyron s’exprime devant un parterre quasi-exclusif de journalistes suisses: «Avec des courses à la voile et des règles du jeu pas simples, ce n’est pas du tout une surprise qu’on ait à attendre un petit peu».

Comme Ernesto Bertarelli, Loïck Peyron n’a jamais caché sa préférence pour Ras al-Khaimah, l’émirat arabe où les conditions météo auraient été parfaites à cette saison. Tout était prêt pour aménager une base suisse quand les Américains ont dit non: trop près des eaux iraniennes !

Un gag si l‘on songe que la course aurait eu lieu à une centaine de miles nautiques des eaux iraniennes, là où les convois pétroliers sillonnent sans problèmes le détroit d’Ormuz: «Une F1 n’est pas faite pour courir le Paris-Dakar et inversement, estime le navigateur breton. C’est comme lorsqu’il pleut à Wimbledon, on attend que ça passe pour continuer le match. L’hiver en Méditerranée, on trouvera difficilement des conditions idéales. Savoir attendre, cela fait partie du jeu !»

Champagne !

Pour les sponsors, la veillée d’armes pose moins de problème: «Plus la course dure, mieux cela vaut pour nous. Si le duel s’était terminé en 48 heures par deux victoires successives, ce n’était pas trop bon», commente Guillaume Deglise, directeur pour la Suisse du fournisseur de champagne Laurent-Perrier. A chaque victoire du bateau suisse, c’est quand même 300 bouchons de champagne qui doivent sauter.

Jean-Claude Biver, le patron horloger de la marque Hublot, est aussi bien engagé dans la course. Par avion privé, il achemine des journalistes à chacune des manches. Mais son patron Bernard Arnault, le PDG de LVMH qui a racheté la marque suisse, ne serait pas trop content du sponsoring assuré par le bouillant vaudois. Si LVMH s’est précisément retiré de la Coupe Louis-Vuitton, manche de pré-qualification de la Coupe de l’America, ce n’était pas pour voir rentrer par la fenêtre une marque de montres du même groupe.

Le prochain rendez-vous sur l’eau est fixé à vendredi avec une deuxième manche envisagée dimanche, jour de grande affluence dans le port de Valence. Si Eole le veut bien…

Olivier Grivat, Valence, swissinfo.ch

Houle. Murray Jones, le stratège de l’équipage suisse, a fait état de creux pouvant atteindre 1m80: «Je pense que les organisateurs ont fait le bon choix en ne nous envoyant pas batailler au large», a déclaré le Néo-Zélandais.

Température. La première manche devrait donc se dérouler vendredi, si les conditions le permettent. Mais les spécialistes prévoient une chute de la température qui pourrait avoisiner zéro degré.

Concurrence médiatique. Valence est pourtant un bon site pour la voile avec une brise marine garantie presque toute l’année. Le problème est que les JO de Vancouver commencent ce week-end et que toutes les télévisions seront braquées sur les skieurs et les patineurs…

«C’est bien de faire de beaux bateaux, mais pour naviguer en piscine avec 8 nœuds maximum et sans vagues… »

Sur les sites internet des médias romands, les commentaires ironiques vont bon train, à l’image du caricaturiste Raymond Burki qui croque dans le quotidien vaudois 24 Heures deux juges américains sautant sur des soufflets pour faire avancer Oracle et Alinghi.

«Et si on en parlait tout simplement plus du tout dans les journaux et qu’on laisse entre eux les milliardaires discuter de la force du vent… »

«Et dire que certains ont pris des vacances pour aller voir ça !», «Trop fort les bateaux à 150 millions que ne peuvent pas naviguer quand il y a trop peu de vent», s’exclament les internautes sur le site du Matin.

Sur le site de 24 Heures, les commentaires ne sont pas plus tendres envers les Américains: «A quand un protêt suisse contre Oracle pour avoir obligé à courir dans un endroit impossible?»

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