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L’affaire Borodine accouche d’une souris

Le procureur Bernard Bertossa (g) et l’ex-intendant du Kremlin Pavel Borodine. swissinfo.ch

Pour solde de tout compte, le procureur Bernard Bertossa condamne l'ex-intendant du Kremlin Pavel Borodine à une amende de 300 000 francs pour blanchiment.

Le cinéaste Alfred Hitchcock, maître du suspense, n’aurait probablement pas fait mieux. Depuis que la justice genevoise a ouvert en avril 1999 l’enquête pénale «P/4880/99 contre Pavel Borodine et consorts», les coups de théâtre et les renversements de situation se sont multipliés.

Des millions de commissions

Lundi, Bernard Bertossa a probablement écrit l’épilogue de ce feuilleton à rebondissements. Par une ordonnance de condamnation, le procureur de Genève a infligé à Pavel Borodine une simple amende de 300 000 francs pour blanchiment d’argent.

Une sanction pour le moins légère face aux accusations que la justice genevoise portait contre l’actuel secrétaire de l’Union Russie-Biélorussie. Intendant du Kremlin sous l’ère du président Boris Eltsine, Pavel Borodine était soupçonné d’avoir touché 25,6 millions de dollars de pots-de-vin versés par les entreprises de construction Mercata et Mabetex.

En échange de ces commissions, ces deux sociétés tessinoises auraient obtenu des contrats de plusieurs centaines de millions pour des travaux de rénovation au Kremlin. Pavel Borodine avait été arrêté le 17 janvier à New York suite à un mandat d’amener lancé par le juge genevois Daniel Devaud.

Il a passé trois mois dans une prison américaine avant d’être extradé vers Genève puis libéré, en avril 2001, par la Chambre d’accusation du canton sous une caution de cinq millions de francs.

Un dossier vide

«C’est la montagne qui accouche d’une souris, l’affaire se termine en queue de poisson et cela démontre la faiblesse de l’accusation», lance Vincent Solari, un des avocats genevois de Pavel Borodine. La plupart des charges retenues contre le Russe ont été abandonnées.

La société Mabetex et Victor Stolpovskikh, le patron de Mercata, ont bénéficié d’une ordonnance de «classement sans suite» de la part du procureur Bertossa. Seul subsiste une accusation dans le cadre de travaux réalisés par Mercata. «Les mouvements de fonds permettent de fonder une amende pour blanchiment simple», précise le texte du procureur.

«Bernard Bertossa tente de sauver la face dans un dossier vide, mon client sort la tête haute mais en colère à cause des injustes accusations qu’il a dû subir», précise Lucio Amoruso, l’avocat genevois de Victor Stolpovskikh. «Comment peut-on infliger une amende à un prétendu corrompu alors que Victor Stolpovskikh, le présumé corrupteur, est blanchi», s’interroge par ailleurs l’avocat.

Machine arrière de la justice genevoise

Après avoir remué ciel et terre, bloqué des millions, inculpé cinq personnes et clamé la culpabilité de Pavel Borodine, la justice genevoise semble donc avoir fait machine arrière. En fait, depuis que le Parquet de Moscou a décidé, en décembre 2000, de classer cette affaire pour «absence de délit», il était impossible au juge genevois de démontrer qu’une infraction avait été commise en Russie.

A plusieurs reprises, la Chambre d’accusation de Genève avait précisé que «l’enquête a porté sur l’établissement de flux financiers, mais n’a pas permis de déterminer que des actes de blanchiment, de corruption passive ou de gestion déloyale d’argent public ont été commis».

«En cas de procès, les accusations contre Pavel Borodine n’auraient probablement pas tenu la route. Le procureur n’avait donc pas d’autre porte de sortie que cette amende», estime un proche du dossier. Bernard Bertossa refuse de commenter sa décision avant de savoir si l’ex-intendant du Kremlin fera opposition. Il a jusqu’au 18 mars pour cela.

Reste à savoir si cette amende clémente ne va pas se retourner contre Pavel Borodine. S’il accepte de payer les 300 000 francs, il reconnaît sa culpabilité, même partielle. S’il fait opposition, c’est le Tribunal de Police de Genève qui devra le juger. Cela relancerait le dossier.

Une analyse que conteste totalement Me Solari. «Mon client rejette la moindre culpabilité, mais pour éviter des tracas et une perte de temps supplémentaires il pourrait accepter de payer».

Il est donc probable, que le mot «Fin» sera bientôt mis sur l’affaire Borodine.

swissinfo/Luigino Canal

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