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La neutralité, d’une attitude pragmatique à une valeur suprême

La Suisse qui sort de sa coquille, relecture libre d'un célèbre manifeste de l'artiste Hans Erni swissinfo.ch

Le Tessinois Marco Marcacci a collaboré au Dictionnaire historique suisse. Son regard d'historien sur la neutralité helvétique.

L’attitude de la Suisse dans ses relations avec l’ONU et avec la Société des Nations qui l’avait précédée découle historiquement de son expérience durant les deux conflits mondiaux du 20e siècle et de sa conception de la neutralité.

La première guerre mondiale avait mis à dure épreuve la cohésion interne du pays, divisé par des sympathies contraires envers les deux parties en conflit et par une cassure sociale dont le point culminant fut une tentative de grève générale en 1918.

La neutralité était alors une attitude pragmatique, voulue pour éviter toute implication dans des alliances et des conflits.

Dans ce contexte, le pays aspirait fortement à une sécurité collective internationale pour prévenir le risque de guerre et promouvoir un ordre mondial plus juste.

La reconnaissance de la neutralité «différenciée»

Les forces libérales et modérées souhaitaient l’adhésion à la Société des Nations (SDN), née en 1919 et qui installa son siège à Genève suite à l’action diplomatique tenace du Conseil fédéral.

La nouvelle organisation avait pour objectif de résoudre les conflits internationaux avec les méthodes et les instruments de la démocratie parlementaire.

La Suisse obtint la reconnaissance de sa neutralité «différenciée» qui l’exonérait de toute participation à des sanctions militaires.

Une campagne passionnée déboucha le 16 mai 1920 sur un vote favorable à l’adhésion, grâce au oui massif des minorités linguistiques et à l’engagement des forces libérales de Suisse alémanique.

La majorité populaire fut assez claire (56,3% de oui), mais celle des cantons ne fut obtenue que d’une courte avance.

Les partisans de l’adhésion avaient présenté la Suisse comme une société des nations en miniature, destinée à fournir sa propre contribution à la paix et à la coopération internationale.

C’est ainsi qu’il fut possible de vaincre une opposition disparate, faite de sympathies pro-allemandes, de nationalisme rétrograde et de velléités révolutionnaires dirigées contre «l’internationale du capitalisme »

Neutralité: valeur suprême ou choix hypocrite?

Le contexte de la seconde guerre mondiale fut bien différent. La quasi-totalité des forces politiques chantèrent la neutralité comme l’attitude morale supérieure qui avait permis à la Suisse de sortir indemne du conflit.

Et c’est en faisant de la neutralité une valeur suprême et intouchable que la Suisse pouvait justifier de ne pas avoir participé activement à la lutte contre le nazisme.

L’Organisation des Nations Unies, née de la volonté des Alliés qui combattaient le néofascisme et l’impérialisme japonais pour rétablir la paix et la sécurité internationales, n’était pas disposée à faire exception en faveur de la neutralité helvétique, considérée comme un choix hypocrite et opportuniste.

Après avoir sondé le terrain, la Suisse renonça à demander l’adhésion à l’ONU, officiellement constituée le 24 octobre 1945 par 51 pays fondateurs.

Elle décida cependant de collaborer à diverses institutions et agences «techniques» de l’ONU, engagées sur les plans économique, culturel, scientifique et humanitaire.

La fermeture de 1986…

Dans les décennies qui suivirent, les pays neutres adhérèrent aussi à l’ONU et une participation de la Suisse parut compatible avec le maintien de la neutralité.

Le projet d’adhésion, poursuivi par le responsable des affaires étrangères Pierre Aubert à partir de 1978, connut une gestation longue et perturbée, approuvée par le Parlement en 1984 et coulée en votation populaire le 16 mars 1986. La proposition fut rejetée par trois quarts des votants (75,7%) et par tous les cantons.

Les partisans de l’adhésion avaient fait une campagne terne, centrée sur des dissertations diplomatiques et sur la pesée des avantages et des inconvénients d’une adhésion.

Pendant ce temps-là, les opposants s’appuyaient sur des arguments émotionnels et identitaires fortement enracinés dans la mentalité helvétique. Le mythe de la neutralité joua un rôle déterminant.

…confirmée en 1994 par le non aux casques bleus

La conviction était par ailleurs très répandue que l’on vivait dans un pays prospère et tranquille justement parce qu’il restait à l’écart des enceintes politiques internationales.

De plus, le spectacle désolant d’une certaine impuissance de l’ONU, paralysée par les vetos croisés des grandes puissances, ne pouvait que difficilement susciter les enthousiasmes populaires.

Et, en 1994, c’est avec ce genre d’arguments que fut menée victorieusement la campagne contre les « casques bleus » suisses.

Maintenant que l’ONU est devenue une organisation véritablement universelle, appelée à jouer un rôle croissant dans les situations de conflits, les conditions sont réunies pour relancer la proposition d’adhésion de la Suisse: son isolement sur la scène internationale paraît offrir plus d’inconvénients que d’avantages.

Marco Marcacci, historien
Traduction: Bernard Weissbrodt

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