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Le débat sur la neutralité enflamme la Suisse

Un quartier de Beyrouth après un bombardement israélien. Mi-juillet, Micheline Calmy-Rey avait critiqué l'opération disproprotionnée d'Israël contre le Liban. Keystone

L'idée d'une candidature helvétique pour un siège au Conseil de sécurité de l'ONU et le projet d'envoyer des troupes suisses au Liban ont ravivé le débat sur la neutralité.

La droite accuse la ministre des affaires étrangères socialiste Micheline Calmy-Rey de faire de l’«activisme».

«Ne vous immiscez pas dans des querelles étrangères!»: C’est le conseil que donnait Saint Nicolas de Flue (1417-1487) à ses compatriotes confédérés en 1481.

La vision actuelle de la neutralité de la ministre des affaires étrangères Micheline Calmy-Rey est tout autre.

Partisane d’une «politique étrangère active», la socialiste genevoise a, en quelques semaines, critiqué l’intervention israélienne au Liban, évoqué la possibilité d’un envoi de soldats suisses sur place et lancé l’idée d’une candidature de la Suisse pour un siège au Conseil de sécurité des Nations unies.

Et ces épisodes ne sont que les derniers d’une longue série. Depuis son élection au gouvernement en 2002 et son mandat à la tête du Département fédéral des affaires étrangères (DFAE), Micheline Calmy-Rey a multiplié les initiatives diplomatiques: Initiative de Genève sur le conflit israélo-palestinien, Conseil des droits de l’homme, cristal de la Croix-Rouge ou encore indépendance du Kossovo.

Changement de style

Marquée pendant des années par une extrême réserve, la politique étrangère de la Suisse est aujourd’hui devenue plus ambitieuse. D’ailleurs, Micheline Calmy-Rey n’a jamais caché ses intentions:

«La diplomatie publique implique de remplacer la discrétion habituelle qui entoure la discussion ou la négociation d’accords ou de traités internationaux entre gouvernements par une information ouverte de nos positions en guise de moyen de pression dans les négociations», déclarait-elle dans le discours prononcé 100 jours après son entrée au gouvernement.

Mais ce changement de style est loin de faire l’unanimité. Après les déclarations de la ministre sur l’intervention militaire israélienne au Liban, beaucoup lui ont reproché d’avoir violé la neutralité.

Une obligation?

Micheline Calmy-Rey a rétorqué qu’en tant qu’Etat dépositaire des Conventions de Genève, la Suisse a le devoir de dénoncer les atteintes portées aux principes fondamentaux. Une attitude approuvée par l’ancien président du Comité international de la Croix-Rouge Cornelio Sommaruga.

En revanche, l’Union démocratique du centre (UDC, droite dure) a attaqué cette politique jugée trop active.

Mardi, le parti a proposé d’empêcher l’envoi de soldats suisses au Liban, une hypothèse que le gouvernement a pour l’heure écartée.

L’UDC voulait aussi obliger le DFAE et le gouvernement à consulter la commission de politique extérieure des deux Chambres fédérales avant de s’exprimer sur des thèmes concernant la neutralité. Mais la proposition a été rejetée par la commission de politique extérieure de la Chambre basse du parlement.

Initiative à l’étude

Concernant l’éventuelle candidature de la Suisse pour un siège au Conseil de sécurité de l’ONU, Christoph Mörgeli, l’un des principaux représentants de l’UDC, a estimé qu’elle serait incompatible avec la neutralité helvétique.

La droite dure envisage d’ailleurs de lancer une initiative populaire pour ancrer le respect de la neutralité dans la Constitution. «En matière de politique étrangère, la Suisse doit faire un pas en arrière», a déclaré le président de l’UDC Ueli Maurer.

Le Parti radical a lui aussi émis des critiques, évoquant notamment la ‘politique d’annonces’ de Micheline Calmy-Rey. Aux yeux du PRD, cette manière de faire pousse le gouvernement à se préoccuper davantage de questions rhétoriques que d’actes concrets.

Neutralité, oui, mais active

«Certains pensent que la Suisse ne devrait rien dire, rien faire. Et moi, je devrais me cacher sous la table. C’est avoir une vision statique de la neutralité», a répondu Micheline Calmy-Rey dans une interview au journal alémanique «Basler Zeitung».

«En se taisant et en restant passifs, poursuit-elle, nous ne pouvons pas défendre nos intérêts, ni garantir notre sécurité et notre bienêtre.»

Interrogé par la Radio suisse alémanique, l’ambassadeur suisse auprès des Nations unies Peter Maurer estime qu’il n’y a «aucune contradiction» entre l’engagement de la Suisse pour la paix ou les droits humains et la neutralité.

Tempête dans un verre d’eau

Il rappelle aussi qu’«en 2003 déjà, le gouvernement avait affirmé qu’une éventuelle participation de la Suisse au Conseil de sécurité de l’ONU devrait être considérée à un moment donné.»

Tempête dans un verre d’eau, donc? «Non, répond Peter Maurer. Ce débat reflète les préoccupations concernant l’engagement suisse au sein des organismes internationaux et le sens qu’il doit avoir. Je pense que ce débat témoigne de la bonne santé de notre culture politique.»

swissinfo, Daniele Mariani
(Traduction de l’italien: Alexandra Richard)

En 1515, les Confédérés sont défaits à la bataille de Marignan. C’est la fin de la politique militaire de l’ancienne Confédération helvétique. Le 20 novembre 1815, la neutralité suisse est reconnue par les Etats signataires du Congrès de Vienne.

Dans la société internationale, la neutralité est la non-participation d’un Etat à un conflit armé entre d’autres Etats. Trois éléments caractérisent la neutralité suisse: elle est librement choisie, permanente et armée.

En 1993, le Conseil fédéral (gouvernement helvétique) a abandonné le principe de neutralité «intégrale». Depuis, il estime que la Suisse peut prendre des mesures de contrainte multilatérales économiques, voire parfois militaires.

Après les récentes déclarations de Micheline Calmy-Rey et la polémique qui a suivi, le gouvernement a chargé le Département fédéral des affaires étrangères de rédiger un rapport sur la neutralité, le quatrième en quinze ans.

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