Des perspectives suisses en 10 langues

Le mythique Lauberhorn consacre le joyau Janka

Carlo Janka laisse son premier suivant à 66 centièmes de seconde. Keystone

Une foule immense est venue assister samedi au sacre de Carlo Janka lors de la 80e édition du Lauberhorn. La polémique sur les modifications apportées à la descente n'a pas refroidi l’enthousiasme d’un peuple venu célébrer ses héros dans les Alpes bernoises.

De mémoire d’Oberlandais, on n’avait jamais vu ça. Samedi matin, alors que les premiers rayons de soleil peinent à surmonter la terrifiante Face nord de l’Eiger, des milliers d’automobilistes prennent déjà leur mal en patience sur l’autoroute entre Berne et Interlaken. A Lauterbrunnen, gare d’embarquement obligatoire dans le petit train à crémaillère menant à Wengen, c’est le chaos.

Le personnel des «Jungfraubahnen» n’arrive pas à contenir les files interminables de quidams impatients d’assister à l’un des plus impressionnants spectacles sportifs au monde. Les organisateurs dénombreront 32’000 spectateurs sur les pentes du Lauberhorn samedi, record absolu.

Les matinaux auront pu accéder aux points de vue les plus prisés du tracé: Tête de Chien, Minschkante, Kernen-S, Haneggschuss. A pied, en skis ou en raquettes, drapeau suisse dans une main, piolets dans l’autre, provisions de chasselas et de cervelas dans le sac à dos. Les autres se seront rendus à pied dans l’aire d’arrivée, au bout d’un chemin de forêt distant d’une demi-heure du centre du village.

Le même chemin emprunté par les bénévoles, les journalistes et les coureurs. Seuls Carlo Janka, Manuel Osborne-Paradis et Marco Buechel, les trois héros du jour, sont rapatriés par hélicoptère à la conférence de presse qui se tient dans l’aula de l’école primaire de Wengen.

Janka parmi les grands

Le Lauberhorn, c’est un tracé atypique, long de plus de 4 kilomètres avec ses passages étroits – Tête de Chien, Brüggli (petit pont), Wasserstation (tunnel sous les rails de chemin de fer) –, ses lieux-dits, rendus célèbres par des faits de course – Saut à Russi, Minschkante, Canadien Corner, Trou des Autrichiens – ou qui échappent complètement aux caméras de télévision – Langentreien.

Une course qui ne consacre que les plus grands skieurs. Carlo Janka fait désormais partie de ceux-là, puisque c’est lui qui s’est imposé avec une aisance déconcertante lors du 80e anniversaire de la vénérable institution. «Un jour parfait pour moi», a commenté le Grison de 23 ans, lui-même étonné d’avoir su maîtriser une piste qui ne sourit en règle générale qu’aux coureurs d’expérience.

Son succès, il l’a forgé dans le Kernen-S, véritable juge de paix de la course, d’où il est sorti près de 10 km/h plus rapidement que ses adversaires. Dans l’aire d’arrivée, une marée rouge et blanche a accueilli avec vénération cette nouvelle idole du ski suisse, en qui sont désormais placés les espoirs les plus fous.

La plus suivie

Mais au-delà de la célébration sportive et de l’antagonisme historique opposant Suisses et Autrichiens – qui ne mènent désormais plus que 27 victoires à 25 – le Lauberhorn, c’est aussi une atmosphère unique. A Wengen, station sans voitures, le temps semble s’être arrêté au début du siècle dernier, lorsque les officiers anglais affectés en Inde y venaient se ressourcer.

Le Lauberhorn, c’est, enfin, une piste sur laquelle veillent trois colosses – l’Eiger, le Mönch et la Jungfrau – qui offrent un décor majestueux à la manifestation.

Tous ces ingrédients font de la descente du Lauberhorn la course la plus suivie hors Jeux olympiques. Rien qu’en Suisse alémanique, ils étaient plus d’un million l’année dernière massés devant leur téléviseur. Seule l’équipe de Suisse de football a réussi à faire mieux lors de son match qualificatif pour le Mondial face à Israël. Pour son 15e titre du Grand Chelem à Wimbledon, Roger Federer avait dû se contenter de 720’000 téléspectateurs.

Polémique

Pourtant, de nombreuses critiques se sont fait entendre cette semaine à Wengen. Notamment de la part d’anciens vainqueurs de la course. En cause? Les modifications apportées au tracé pour accroître la sécurité des coureurs. En rabotant le saut final, les organisateurs ont opéré une véritable «castration du Lauberhorn», a ainsi estimé le Bernois Bruno Kernen, vainqueur de la course en 2003. «Le ‘S’ final offrait les plus belles courbes de la descente. Mais les organisateurs l’ont transformé en un simple chemin – c’est terrible», a renchéri l’Autrichien Franz Klammer, trois fois vainqueur du Lauberhorn dans les années 70.

«J’ai connu le Lauberhorn il y a 15 ans, lorsqu’il avait encore beaucoup de dents. Mais depuis, il les perd une à une», a pour sa part imagé Bode Miller à l’issue de sa victoire en super-combiné vendredi. Cette année, des portes ont été déplacées avant la Tête de Chien, le Haneggschuss et dans le carrousel final, rendant la trajectoire plus tournante.

En 2007, lors de son premier succès à Wengen, Bode Miller n’avait pas hésité à suivre une ligne extrême sur le dernier saut, l’obligeant à franchir la ligne d’arrivée sur les fesses. Didier Cuche, défenseur ardent de la sécurité des coureurs, n’avait pas goûté à cette prise de risques inconsidérée et assumée. Tout comme il n’apprécie guère les propos tenus par ses pairs: «Pour certains athlètes à la retraite, tout était plus beau, plus rapide et difficile avant. Mais un ancien pilote n’a pas les moyens de savoir ce qui se passe vraiment sur la piste. Le ski emprunte une direction de plus en plus extrême et la frontière entre vitesse et chute est de plus en plus ténue.»

Concertation avec la FIS

«Franz Klammer n’est plus revenu à Wengen depuis ses victoires. Je ne crois pas qu’il puisse juger de la difficulté de la piste simplement devant son téléviseur», répond quant à lui Viktor Gertsch, patron du comité d’organisation depuis 40 ans. Les décisions sont prises d’un commun accord avec la Fédération internationale de ski (FIS), rappelle-t-il: «Chaque été, nous descendons à pied la piste avec des responsables de la FIS et nous discutons des améliorations à apporter pour la prochaine course.»

La FIS n’a jamais mis la pression sur les organisateurs, assure Viktor Gertsch: «Nous travaillons main dans la main dans l’intérêt de la sécurité des coureurs». L’utilisation de machines peut certes parfois transformer le relief en «autoroute», concède le patron de la course, mais il assure que les préparateurs de la piste tentent au maximum de conserver les bosses pour «secouer» les coureurs du haut en bas de la descente.

Samedi, en tout cas, après plus de 2’30’’ de course, certains skieurs, à l’instar du Suisse Patrick Kueng, ont mis bien du temps avant de retrouver leur souffle. A bout de force, Bode Miller n’a lui pas réussi à redresser suffisamment sa trajectoire dans l’avant-dernier virage. Le Lauberhorn reste une descente impitoyable qui ne pardonne pas la moindre défaillance.

Samuel Jaberg, Wengen, swissinfo.ch

1. Carlo Janka SUI 2’32″23
2. Manuel Osborne CAN + 0″66
3. Marco Büchel LIE 0″82
4. Werner Heel ITA 0″83
5. Didier Cuche SUI 0″86
et Andrej Jerman SLO 0″86
7. Didier Défago SUI 1″38
8. Peter Fill ITA 1″47
9. Klaus Kroell AUT 1″60
10. Georg Streitberger AUT 1″63
11. Patrick Küng SUI 1″73
12. Hans Olsson SWE 1″81
13. Andrew Weibrecht USA 1″86
14. Adrien Theaux FRA 1″98
15. Aksel Svindal NOR 2″01

Grisons. Carlo Janka est un skieur suisse âgé de 23 ans et originaire d’Obersaxen, dans le canton des Grisons. Il a fait ses débuts en Coupe du monde en décembre 2005 à Kranjska Gora. Il a obtenu son premier podium en novembre 2008 à Lake Louise (2e en descente).

Champion. En février 2009, il décroche la médaille de bronze de la descente aux Championnats du monde de Val d’Isère avant d’être sacré champion du monde du géant. En mars 2009, il obtient le globe de cristal du super-combiné.

Leader. Cette saison, il est déjà monté à huit reprises sur le podium, dont quatre fois sur la plus haute marche. Il occupe la tête du général de la Coupe du monde devant l’Autrichien Benjamin Raich.

Lauberhorn. Carlo Janka est le 8e suisse après Didier Défago (2009), Bruno Kernen (2003), William Besse (1994), Franz Heinzer (1992), Toni Bürgler (1981), Peter Müller (1980) et Roland Collombin (1974) à remporter la descente du Lauberhorn depuis la création de la Coupe du monde en 1966.

Programme. Les 80es courses du Lauberhorn se déroulent du 15 au 17 janvier 2010 dans la station bernoise de Wengen. Au menu, un super-combiné (descente+slalom) vendredi, une descente samedi et un slalom dimanche.

Descente mythique. Avec la Streif de Kitzbühel, la descente du Lauberhorn est l’autre classique du Cirque blanc. Elle est l’équivalent de Wimbledon en tennis, Monte Carlo en Formule 1 ou Paris-Roubaix en cyclisme.

Tourisme. Cette course, disputée avec à l’arrière plan les sommets majestueux de l’Eiger, du Mönch et de la Jungfrau, est également un moteur important pour le tourisme dans l’Oberland bernois. Elle permet de présenter au public international cette région de sports d’hiver et de vacances. Les retombées économiques directes et indirectes pour la région sont estimées à plus de 5 millions de francs.

Audience. En 2009, la descente du Lauberhorn a été l’événement sportif le plus regardé de l’année en Suisse après le match de football Suisse-Israël qualificatif pour la Coupe du monde. Plus d’un million de téléspectateurs sont chaque année installés derrière leur écran de télévision.

En conformité avec les normes du JTI

Plus: SWI swissinfo.ch certifiée par la Journalism Trust Initiative

Vous pouvez trouver un aperçu des conversations en cours avec nos journalistes ici. Rejoignez-nous !

Si vous souhaitez entamer une conversation sur un sujet abordé dans cet article ou si vous voulez signaler des erreurs factuelles, envoyez-nous un courriel à french@swissinfo.ch.

SWI swissinfo.ch - succursale de la Société suisse de radiodiffusion et télévision

SWI swissinfo.ch - succursale de la Société suisse de radiodiffusion et télévision