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Le stress, rançon du succès économique?

Les joies du néolibéralisme. Reuters

Selon une étude du ministère de l’Economie, plus de 30% des Suisses actifs se sentent surmenés. Tous les secteurs de l’économie sont concernés. Regards croisés sur une souffrance en croissance.

Championne du monde de la compétitivité, selon un récent rapport du Forum économique mondial (WEF), la Suisse affichait encore au mois d’août un taux de chômage particulièrement bas (2,8%). Mais la médaille a son revers. Une personne active sur trois se sent souvent, voire très souvent stressée au travail, selon un récent rapport du Secrétariat d’Etat à l’économie (SECO / ministère de l’Economie).

Entre 2000 et 2010, le nombre de personnes souffrant de stress chronique est ainsi passé de 26,6% à 34,4%. Quant à la proportion de travailleurs qui ne se sentent jamais ou peu stressés, elle a chuté à 12,2% contre 17,4% dix ans plus tôt.

Les jeunes en première ligne

Les auteurs de l’étude n’ont constaté aucune différence selon la branche économique, le groupe professionnel ou le sexe. Par contre, le nombre de jeunes travailleurs stressés (entre 15 et 34 ans) est plus élevé que la moyenne, alors que les personnes entre 55 et 64 ans sont plus nombreuses à affirmer ne s’être jamais senties surmenées.

Faute de base de comparaison, les chercheurs mandatés par le SECO ne peuvent définir les causes individuelles de ce stress ressenti par les personnes interrogées (1006 personnes actives occupées, salariées ou indépendantes) et les raisons pour lesquelles leur proportion a fortement augmenté ces 10 dernières années.

«En se fondant sur des modèles d’analyse qui ont fait leur preuve, l’enquête a permis de mettre en évidence une série de facteurs de stress. Il s’agit surtout des contraintes temporelles (rythme élevé, délais très courts, travail durant le temps libre), mais aussi des instructions peu claires de la direction ou des relations de travail discriminantes comme le mobbing, les intimidations et les violences verbales», détaille la psychologue du travail Céline Dubey Guillaume du SECO. 

Et d’ajouter: «En revanche, avec un bon management, les employés se disent moins stressés et moins affectés émotionnellement, donc moins sujets aux signes précurseurs du burn-out».

Appliquer le droit

Avec cette étude, l’objectif du SECO est de veiller à la bonne application de la législation sur le travail en matière de santé psychique. «Dans la loi sur le travail, il y a beaucoup de dispositions légales qui concernent le temps de travail par exemple. Mais ce cadre légal n’est pas toujours respecté», souligne Céline Dubey Guillaume.

De son coté, Ruth Derrer Balladore, de l’Union patronale suisse, ajoute: «Nous pouvons signer ce que dit le SECO sur le management. Beaucoup d’entreprises n’ont toujours pas compris l’importance d’une bonne gestion des collaborateurs, même si elles déclarent volontiers que les employés sont leur bien le plus précieux.»

Professeure à l’Institut de psychologie du travail et des organisations (Neuchâtel), Franziska Tschan ne dit pas autre chose: «Dans le temps, c’était à la mode d’être un bon chef à l’égard de ses employés. Aujourd’hui, le bon chef est celui qui presse le citron en mesurant sans cesse les performances.»

Et la psychologue d’ajouter: «Nous sommes en train de payer la facture du manque de progrès ces dernières années dans l’amélioration des conditions de travail».

Le prix de la dérégulation

De là à mettre en cause l’idéologie en vogue dans le monde économique, il n’y a qu’un pas que franchit sans hésiter Jean-Christophe Schwaab, secrétaire central de l’Union syndicale suisse (USS).

«Depuis que le néolibéralisme s’est imposé, nous avons constaté de grosses pressions pour flexibiliser les rapports de travail à tous les niveaux: augmentation du temps de travail, baisse de salaire et transformation des rapports de travail – précaire, temporaire, faux indépendants, travail sur projet. La tendance est nette, même si elle ne concerne pas encore la majorité des employés. Sur 4 millions de salariés environ, 150’000 sont actuellement précaires et 150’000 temporaires», dit-il.

Le risque économique est de plus en plus reporté sur les employés, souligne le syndicaliste. «Résultat: les négociations conventionnelles deviennent de plus en plus dures; la stabilité des rapports de travail, le partenariat social de plus en plus malaisés».

Les méfaits de la bourse

«Avant, le patron visait la pérennité de son entreprise, tout comme les syndicats, ajoute encore le syndicaliste. Quand l’objectif de l’employeur est de rentabiliser l’entreprise à très court terme au profit des actionnaires, son intérêt n’est plus du tout le même que celui de l’employé et des syndicats qui le défendent.»

Une réalité que Ruth Derrer Balladore reconnait à sa manière: «La bourse sanctionne chaque trimestre les résultats des entreprises. Il devient donc très difficile de planifier à long terme. Comment expliquer aux actionnaires qu’un investissement entraînant une perte lors de tel trimestre portera ses fruits deux ans plus tard? Combien d’actionnaires auront changé d’ici là? C’est un facteur de stress pour toute l’entreprise, chef compris.»

«Au quotidien, le stress est souvent assimilé à la pression des délais. Certains considèrent le stress comme un net signe d’engagement et de performance.

Au contraire, dans le monde de la médecine et de la psychologie, la notion de «stress» est utilisée lorsqu’une personne a atteint les limites de ses capacités.

Si la situation ne s’améliore pas à moyen terme, alors la santé de la personne est menacée.

On remarque souvent que de nombreuses personnes n’avouent pas facilement sur leur lieu de travail qu’elles souffrent de stress.

Dans les entreprises, le stress est un sujet tabou, car beaucoup de personnes y voient une faiblesse personnelle, soit en rapport avec les capacités de gestion ou les compétences générale des collaborateurs.»

 

Extrait du rapport du SECO sur le stress

– des instructions peu claires,

– les contraintes temporelles,

– le travail pendant le temps libre,

– les journées de travail trop longues,

– l’obligation de devoir montrer au travail des sentiments qui ne concordent pas avec ceux que l’on éprouve,

– la discrimination sociale.

 

Extrait du rapport du SECO sur le stress

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