Des perspectives suisses en 10 langues

Les fous du volant dans le viseur

Dans le canton de Zurich, près d’un accident mortel sur quatre est dû à un excès de vitesse. Keystone Archive

Les rodéos et autres excès de vitesse tragiques se multiplient sur les routes suisses. Des campagnes de prévention ciblent le public jeune, parfois, comme à Bâle, au moyen d’images chocs.

Des experts dénoncent l’influence des films et de la publicité.

Dix blessés, dont trois grièvement: la course-poursuite de vendredi dernier à Cologny, sur les quais du lac de Genève, a marqué les esprits.

Le spectaculaire accident, provoqué par deux automobilistes qui se faisaient la course, au mépris du trafic adverse et dont l’un a perdu le contrôle de son véhicule (l’autre a pris la fuite), a nécessité l’intervention des secouristes, mais aussi de psychologues pour les témoins choqués par la scène.

Devant les caméras, un policier fustigeait l’influence de films érigeant la vitesse automobile en critère d’importance et de reconnaissance sociale.

Jeux vidéos également pointés du doigt



«Cette influence est évidente, reconnaît Roland Wiederkehr, ancien conseiller national et président de l’Association de prévention des accidents RoadCross. Les héros sortent indemnes de tous les accidents.»

«Quant aux jeux vidéos de courses-poursuite, il faudrait, poursuit le Zurichois, qu’ils contiennent une dernière scène, après une sortie de route et avant le «game over»: une scène d’enterrement…»

C’est une boutade bien sûr, mais plus proche de la réalité que les fictions dont certains jeunes conducteurs sont adeptes, une boutade révélatrice de la difficulté d’agir dans ce domaine.

«Les chauffards perdent leurs amis»

Roland Wiederkehr avait néanmoins réussi, il y a quelques années, à convaincre un collègue conseiller national et importateur de voitures de demander à un garagiste de retirer une publicité intitulée «Truc-Muche (une marque), l’arme absolue.»

Le président de RoadCross ne peut donc que saluer la campagne de prévention qui vient d’être lancée par le canton de Zurich ainsi que six cantons de Suisse centrale.

«Les chauffards perdent leurs amis», avertissent les affiches qui resteront placardées jusqu’au 4 juillet en Suisse alémanique. Des spots radios et télévisés, ainsi que des cours dans les écoles complètent le programme.

Quatre catégories

Dans le canton de Zurich, près d’un accident mortel sur quatre est dû à un excès de vitesse. Hans Jöri, spécialiste en psychologie du trafic invité par la police zurichoise lors de la présentation de la campagne aux médias, distingue quatre groupes de chauffards.

La plus grande partie, 60%, est composée de conducteurs inexpérimentés inconscients de rouler trop vite.

Un groupe d’importance moyenne, 18%, ne rechigne pas à se surestimer et pense maîtriser les risques. Ceux qui aiment le risque en tant que tel représenteraient 16% des chauffards et, enfin, 6% d’entre eux seraient cocaïnomanes.

Pour Roland Wiederkehr, cette campagne va dans le bon sens mais reste insuffisante. «Il faut aller directement vers les jeunes de 18 ans, dans les écoles, et leur montrer le résultat des accidents, concrètement.»

Images chocs pour les Bâlois

C’est ce qu’a fait, seul en Suisse jusqu’ici, le demi-canton de Bâle-Campagne. Sollicitée par une école professionnelle, la police cantonale a montré à de jeunes apprentis des photos d’accidents survenus près de chez eux.

Les visages étaient masqués pour les besoins de la protection des données, mais les détails et l’horreur des chocs, eux, n’étaient en rien dissimulés. Deux élèves ont vomi et une poignée ont avoué ne pas supporter les images.

Mais l’«enseignement frontal», comme l’ont baptisé les instructeurs, est très bien accueilli: «98% des questionnaires remplis par les 1000 élèves de cette école ont salué cette manière de faire», explique Meinrad Stöcklin, porte-parole de la police.

Préparation préalable

Une semaine avant les quatre heures de cours avec la police, le thème avait été préparé par leur enseignant.

Après la présentation des images, les policiers répondaient à toutes les questions pendant le temps nécessaire, histoire de ne pas laisser les jeunes seuls avec ces images. Le cours devrait être reconduit, peut-être aussi dans des gymnases.

Outre la prévention, un des moyens d’action réside dans la punition des coupables, lorsqu’ils sont arrêtés. Là aussi, selon Roland Wiederkehr, le bât blesse.

«Si vous voulez tuer quelqu’un, il ne faut pas utiliser un pistolet, mais une voiture, ironise le Zurichois. Vous avez de fortes chances de vous en tirer à bon compte.»

«Justice trop clémente»

La plupart des chauffards s’en tirent, certes avec des amendes et un retrait de permis, mais surtout avec des peines avec sursis.

«Très rares sont les juges qui ont le courage de plaider la préméditation. Un juge lucernois l’a fait et a poursuivi jusqu’au Tribunal fédéral, que lui a donné raison l’automne dernier.»

Résultat: deux chauffards qui s’étaient livrés à une course-poursuite ont été condamnés à six ans et demi de prison ferme pour homicide. L’un d’eux avait percuté deux enfants sur un trottoir, les tuant sur le coup, tandis que l’autre prenait la fuite.

Ce verdict avait conduit le canton de Lucerne à intensifier ses contrôles routiers. La police piste aussi sans pitié les modifications de moteur rendant les voitures plus puissantes.

«La justice est, malgré ce verdict, restée clémente, créant de fait une inégalité de traitement entre les condamnés de Lucerne et les autres, critique Roland Wiederkehr. Les juges n’ont pas encore assez parlé entre eux et continuent à craindre des recours.»

Les politiques calment le jeu

Du côté des politiques, on veut garder la tête froide malgré les récents faits divers. «Il vaut mieux utiliser les instruments existants plutôt que de créer de nouvelles lois dans la précipitation, pour se donner bonne conscience», plaide le conseiller aux Etats socialiste jurassien Pierre-Alain Gentil, membre de la commission des transports.

La révision de la loi sur la circulation routière donnera en outre de nouvelles possibilités de contrôle à la police.

«Mais il est vrai qu’il faut en finir avec une certaine tolérance vis-à-vis des conduites inadaptées, admet le Jurassien. Les hystériques du volant doivent savoir qu’ils seront interceptés, si les contrôles sont intensifiés.»

Pour Pierre-Alain Gentil, la valeur d’exemple de la peine serait néanmoins plus grande si la sanction prévoyait des peines fermes, en semi-détention pour ne pas empiéter sur la vie professionnelle des prévenus, au lieu d’amendes.

«Les gens sont prêts à payer n’importe quoi pour leur voiture», dit Pierre-Alain Gentil.

Révision du Code pénal

Le socialiste n’a donc pas eu gain de cause lorsqu’il s’est agi de voter la révision du Code pénal, qui prévoit, dès 2006, de remplacer les peines de prison jusqu’à six mois de prison par des amendes proportionnelles au revenu.

Une révision qui fait craindre le pire à Roland Wiederkehr : «Un chauffard, même récidiviste, pourra s’en tirer avec une amende minimal de dix francs par jour s’il n’a pas de revenu officiel. Quand bien même il aurait une voiture très rapide…»

L’allongement de la durée du retrait de permis, à partir de 2005 dans le canton de Zurich au moins, sera peut-être plus convaincante.

swissinfo, Ariane Gigon Bormann, Zurich

La police zurichoise, qui a lancé une campagne de prévention avec six cantons de Suisse centrale, distingue quatre catégories de chauffards.
La plus grande partie, 60%, est composée de conducteurs inexpérimentés inconscients de rouler trop vite.
Un groupe d’importance moyenne, 18%, ne rechigne pas à se surestimer et pense maîtriser les risques. Ceux qui aiment le risque en tant que tel représenteraient 16% des chauffards et, enfin, 6% d’entre eux seraient cocaïnomanes.

– Les polices de Zurich et de Suisse centrale axent leur message sur le slogan «Les chauffards perdent leurs amis.»

– Dans le canton de Bâle-Campagne, les instructeurs de la police ont préféré la manière forte : ils ont montré à de jeunes apprentis des images d’accidents survenus dans leur région.

– Cet enseignement dit «frontal » a été bien accueilli.

– Les spécialistes fustigent les peines clémentes infligées généralement par la justice.

– Exception: dans le canton de Lucerne, deux chauffards qui s’étaient livrés à une course-poursuite et avaient tué deux enfants debout sur un trottoir ont été condamnés à six ans et demi de réclusion ferme.

– L’excès de vitesse est la principale infraction au code de la route en Suisse, suvie de l’inattention, de la violation de priorité et de l’ébriété.

En conformité avec les normes du JTI

Plus: SWI swissinfo.ch certifiée par la Journalism Trust Initiative

Vous pouvez trouver un aperçu des conversations en cours avec nos journalistes ici. Rejoignez-nous !

Si vous souhaitez entamer une conversation sur un sujet abordé dans cet article ou si vous voulez signaler des erreurs factuelles, envoyez-nous un courriel à french@swissinfo.ch.

SWI swissinfo.ch - succursale de la Société suisse de radiodiffusion et télévision

SWI swissinfo.ch - succursale de la Société suisse de radiodiffusion et télévision