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Micheline Calmy-Rey se heurte à un mur politique

Les partis bourgeois dénoncent la décision de Micheline Calmy-Rey Keystone

La ministre des Affaires étrangères a provoqué un tollé politique en annonçant son intention de diffuser sur Internet une liste des victimes de la guerre en Irak.

Son ministère reconnaît que le projet présente des difficultés techniques.

Annoncée pour lundi par la cheffe de la diplomatie suisse Micheline Calmy-Rey, la diffusion sur Internet d’une liste des victimes civiles de la guerre en Irak se fait toujours attendre.

Le Département fédéral des affaires étrangères (DFAE) examine toujours la faisabilité d’une telle liste.

Une chose est sûre, ce projet a soulevé une véritable levée de boucliers dans le monde politique.

«Nous prenons note des critiques», dit à l’ats Livio Zanolari, porte-parole du DFAE. Lequel précisé que le département devrait décider ce mardi encore si cette liste sera publiée ou non sur le site Internet du département.

L’aspect technique du problème

Lundi, les organisations humanitaires et de défense des droits de l’homme n’ont pas caché leur scepticisme face à un projet qui pourrait être utilisé par les parties au conflit à des fins de propagande.

A Genève, le Comité international de la Croix Rouge (CICR) souligne de son côté les difficultés de l’exercice pour lequel il n’a pas été, pour l’heure, consulté.

«Nous ne sommes pas en mesure d’avoir une vision globale du nombre de victimes causées par ce conflit, précise Nada Doumani, porte-parole du CICR. Nous n’avons pas accès à tous les hôpitaux irakiens et nous reprenons les chiffres communiqués par ces hôpitaux.»

Au DFAE même, il semble que le centre d’analyse et de prospective n’a pas été associé à la réflexion autour de cette idée, alors que son rôle consiste précisément à apporter son expertise au secteur opérationnel du département.

Il semble donc que Micheline Calmy-Rey ait, dans cette affaire, fait cavalier seul. C’est en tout cas ce que l’on peut conclure des propos du porte-parole du Conseil fédéral, le vice-chancelier Achille Casanova.

L’écueil politique

Mais la «faisabilité» – c’est-à-dire la difficulté technique du projet – n’est pas seule en cause.

Depuis lundi, l’affaire a pris un tour résolument politique. Au point que la presse alémanique parlait mardi de «nouveau faux pas».

En effet, lundi, sur les ondes de la radio alémanique, la présidente de la Commission des affaires étrangères du Conseil National Lilly Nabholz n’a pas caché que c’était une mauvaise idée.

La radicale zurichoise est d’ailleurs soutenue par le secrétaire général de son parti: «Mme Nabholz a tout à fait raison».

Et Guido Schommer d’ajouter à swissinfo: «En entendant parler du projet, j’ai aussitôt redouté de voir les malheurs de la guerre ainsi exploités à des fins de propagande politique».

Opportunisme politique

L’initiative de Micheline Calmy-Rey suscite le même écho à l’Union démocratique du centre (UDC). Son porte-parole «ne voit pas l’intérêt ou la crédibilité d’une telle liste», en émettant le vœu que le projet soit retiré.

Yves Bichsel précise: «Je pense que, en cette année électorale, Micheline Calmy-Rey souhaite mettre en valeur son parti».

Le parti socialiste de la Ministre des Affaires étrangères rejette pour sa part les accusations d’opportunisme politique et estime que Mme Calmy-Rey assume ses responsabilités face au peuple suisse.

«Nous saluons cette idée, affirme le porte-parole du PS, pour autant qu’elle puisse être mise en application».

Et Jean-Philippe Jeannerat de préciser: «Il faudrait prendre le temps de définir une base objective et éviter de publier des informations invérifiables».

Les Conventions de Genève en question

En annonçant son projet controversé dans la presse dominicale, Micheline Calmy-Rey a invoqué le respect des Conventions de Genève, dont la Suisse est dépositaire depuis 1949.

Pour la ministre, il est du devoir de la Suisse d’attirer l’attention sur les victimes innocentes de la guerre.

Elle est soutenue en cela par Albert Stahel, spécialiste de l’Université de Zurich: «C’est la première fois qu’un gouvernement propose un tel projet. Il est important qu’il émane de la Suisse, car trop de gens oublient qu’il existe des lois humanitaires».

Et les victimes militaires?

Albert Stahel précise que, s’il est favorable à la publication d’une liste des victimes civiles du conflit irakien, celle-ci aurait plus de poids si elle mentionnait également les victimes militaires.

«Si les victimes des deux camps étaient recensées, je suis persuadé que les Américains réagiraient, parce que cela démontrerait que les Suisses sont également concernés par les pertes américaines et britanniques.»

Pour sa part, Mme Calmy-Rey avait indiqué dimanche être hostile à la publication des victimes militaires, parce que «les guerres contemporaines tuent plus de civils que de soldats».

Et la ministre d’ajouter: «On nous avait annoncé une guerre propre, mais la guerre n’est jamais propre».

swissinfo, Frédéric Burnand, Anna Nelson

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