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Mines antipersonnel: étape critique pour le traité

Victimes cambodgiennes de mines antipersonnel dans un centre de réhabilitation à Phnom Penh. Keystone

Un diplomate suisse rappelle que, dix ans après sa signature, la Convention d'Ottawa doit toujours faire face à d'«immenses défis».

Jürg Streuli, qui présidera le 24 novembre à Genève la réunion bisannuelle des signataires de la Convention d’Ottawa de 1997, appelle ces derniers à honorer leurs engagements afin de garantir que le traité conserve sa substance.

Ce traité signé par 156 pays a été qualifié en 2007 de «succès en progrès». Quelque 80% des signattaires se sont maintenant engagés à ne plus produire, utiliser ou stocker des mines antipersonnel. Le marché mondial est quasiment fermé.

Restent deux gouvernements, la Birmanie et la Russie, qui continueraient d’utiliser ces armes.

Depuis 1997, plus de 40 millions mines ont été détruites et des milliers de kilomètres carrés de terrain contaminé ont été déminé. Malgré cela, il subsiste des mines antipersonnel dans 70 pays et elles tuent encore 6000 personnes chaque année.

Selon Jürg Streuli, la convention se trouve à un point critique et ses objectifs sont encore loin d’être atteints. «Certains pays requièrent encore un énorme travail de déminage, certains sont très en retard, d’autres n’ont aucune idée de la gravité de leur situation, alors que d’autres encore n’ont encore développé aucun plan de déminage digne de ce nom», a-t-il déclaré aux médias à Genève.

Pour de nombreuses régions contaminées dans le monde, cela signifie un accès interdit ou limité aux champs, aux écoles ou au moyens de communication, et le processus de lutte contre la pauvreté est donc ralenti d’autant, ajoute le diplomate suisse.

«Il est temps maintenant d’appuyer à nouveau sur l’accélérateur.»

Des délais pour nettoyer

Pour Jürg Streuli, l’un des principaux sujets de migraine est de résoudre le problème posé par les pays qui demandent des délais supplémentaires pour nettoyer le terrain infesté par les mines.

Selon la Convention d’Ottawa, ces Etats sont tenus de le faire et de détruire les mines «aussitôt que possible, mais pas au-delà de dix ans».

Le premier délai échoit en mars 2009. Et pourtant, quinze pays, dont le Pérou, l’Equateur, le Sénégal, la Grande-Bretagne (les îles Falklands), le Venezuela et le Danemark, ne sont pas prêts et demandent une prolongation de dix ans, prévue pour des «cas exceptionnels».

Durant la conférence, ces demandes seront examinées par un groupe de travail, puis soumises au vote de l’assemblée plénière. «Ces demandes constituent un test pour la Convention», déclare Sylvie Brigot, directrice de la Campagne internationale contre les mines antipersonnel (ICBL).

Alors que certains Etats disposent de solides arguments pour motiver leur retard, ce n’est pas le cas des autres, ajoute-t-elle. «Les Etats membres auront-ils le courage de condamner des pays comme la Grande-Bretagne ou le Venezuela?»

Tamar Gabelnick, responsable de l’ICBL pour l’application du traité, dénonce le fait que des pays d’Amérique latine, comme le Nicaragua, le Venezuela, le Pérou et le Nicaragua, se sont «acoquinés pour obtenir des prolongations».

L’ICBL estime que non seulement il ne faut pas accorder de délai à la Grande-Bretagne et au Venezuela, mais qu’il faut au contraire les contraindre de commencer les opérations de déminage et de se présenter l’année prochaine avec un dossier un peu plus présentable.

Certains Etats membres devraient en outre accorder des délais plus courts à d’autres pays et se montrer généralement beaucoup plus exigeants dans leurs recommandations, ajoute Tamar Gabelnick.

Diminuer les stocks

Autre thème important de la discussion à Genève: la destruction des stocks.

Dix Etats n’ont toujours pas terminé la liquidation et, cette année, le Belarus (3,4 millions de mines), la Grèce (1,6 million) et la Turquie (2,9 millions) n’ont pas respecté le délai imparti. Or le traité exclut toute prolongation du délai initial de quatre ans.

«Le délais n’ont pas été respectés mais certains pays montrent qu’ils font de gros efforts pour se mettre à jour d’ici à l’année prochaine», indique Jürg Streuli.

Mais Tamar Gabelnick se montre plus critique: «Cela crée un mauvais précédent et il s’agit d’une grave violation de la convention.»

«Cette convention est issue de la société civile et de la coopération des gouvernements. De ce fait, elle a toujours été différente parce qu’elle assure une certaine transparence. Et voilà qu’on s’entend dire que ‘nous allons faire ce travail derrière des portes fermées et vous n’êtes pas les bienvenus, merci beaucoup’. Tout ceci est frustrant et décevant», lance-t-elle.

Reste que tous les membres de la campagne contre les mines croisent les doigts dans la perspective de cette «très, très importante réunion» de Genève. «J’ai envie de garder l’espoir que quelque chose de positif va en sortir, puisque le travail de base a été fait et que les groupes d’analyse ont fait les choses sérieusement», ajoute Tamar Gabelnick.

«Le succès dépendra des Etats puisque ce sont eux qui exercent le droit de vote pour adopter le rapport final. Nous espérons qu’ils vont réagir. S’ils ne le font pas, c’est à se demander à quoi sert toute l’opération.»

Jürg Streuli est du même avis: «Nous pensons que les Etats ont pris des engagements légaux en adoptant la convention et qu’ils doivent les respecter. Nous leur demandons de prendre les choses au sérieux.»

swissinfo, Simon Bradley à Genève
(Traduction de l’anglais: Isabelle Eichenberger)

La grande majorité des victimes sont des civils qui déclenchent ces armes des années ou des décennies après la fin d’un conflit. Dans certains pays, comme l’Afghanistan, les victimes sont généralement âgées de moins de 18 ans.

Les programmes d’action antimines et le traité d’interdiction des mines antipersonnel ou «Convention d’Ottawa» ont permis de réduire le nombre de blessés de 26’000 à 6000 en dix ans.

Le programme d’action antimines est partie intégrante de la politique suisse de paix et de sécurité humanitaire, et la Confédération soutient des projets de déminage dans plus de 20 pays (budget annuel: 16 à 18 millions de francs pour 2008-2011). Elle a détruit ses derniers stocks en 1999.

Le Centre international de déminage de Genève est l’un de ses principaux partenaires avec les agences spécialisées de l’ONU les ONG et le Comité international de la Croix-Rouge.

Adoptée à Oslo, en Norvège, en septembre 1997, elle est entrée en vigueur deux ans plus tard. Elle interdit l’usage, le stockage, la production et le transport de mines antipersonnel.

Son but est de «mettre fin à la souffrance causée par ces mines» au moyen de l’acceptation universelle d’une interdiction, de la destruction des stocks existants, du déminage des zones contaminées et d’une aide aux victimes.

156 pays ont ratifié ou accepté la convention, s’engageant à déminer leur territoire dans les dix ans.

Plusieurs pays ont refusé de signer le traité, dont les Etats-Unis, la Chine, l’Inde et le Pakistan.

La conférence bisannuelle de la Convention se tient à Genève. Cette année elle se tiendra du 24 au 28 novembre, sous la présidence de la Suisse.

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