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La réunification du Jura passe à la trappe

Des militants pro-bernois célèbrent la victoire en cette votation historique du 24 novembre 2013 sur la question jurassienne. Keystone

Le processus de création d’un nouveau canton comprenant le Jura et le Jura bernois est abandonné. Les citoyens des trois districts francophones du canton de Berne ont en effet refusé dimanche à plus de 72% des voix d’unir leur destin avec leurs «frères» du canton du Jura, qui ont eux voté «oui» à 77%.

Sous l’œil d’une quinzaine d’observateurs de la Confédération et dans une ambiance détendue tranchant avec les tensions du passé, les citoyens du Jura et du Jura bernois se sont déplacés en masse dimanche aux urnes pour se prononcer sur leur avenir institutionnel. Le taux de participation a atteint plus de 80% dans certaines communes du Jura bernois, un score proche des plébiscites des années 1970 qui avaient mené à la création du canton du Jura, dernier-né des cantons suisses.

«Cette participation formidable est le signe que la question jurassienne intéresse toujours. C’est une belle leçon de démocratie directe», a souligné Dick Marty, ex-sénateur et actuel président de l’Assemblée interjurassienne, interrogé par la Radio Télévision Suisse (RTS).

Le résultat est quant à lui fidèle aux sondages et aux pronostics des observateurs. Sans surprise, les Jurassiens ont largement plébiscité l’ouverture d’un processus tendant à la création d’un nouveau canton englobant les deux régions qui vivent séparées depuis 1979, alors que les citoyens du Jura bernois ont réaffirmé à une nette majorité leur attachement au canton de Berne. Le «non» du Jura bernois signifie que le processus est abandonné.

Officiellement bilingue, Berne reste un canton à forte majorité germanophone. Un peu moins de 8 % de ses habitants, soit environ 80’000 personnes, sont des francophones.

Parmi eux, 50’000 habitent dans le Jura bernois. La plupart des 30’000 francophones restants vivent à Bienne, la plus grande ville bilingue de Suisse.

Au Parlement cantonal bernois, seize sièges sur 160 sont actuellement occupés par des Romands. Le Jura bernois dispose d’un siège garanti (sur sept) au sein du gouvernement bernois.

Depuis 2011 et la non-réélection de l’UDC Jean-Pierre Graber, le Jura bernois n’est plus représenté au Parlement fédéral.

Le canton du Jura dénombre pour sa part un peu plus de 70’000 habitants. Il est représenté au Parlement fédéral par deux conseillers aux Etats (sénateurs) et deux conseillers nationaux (députés).

swissinfo.ch

Berne satisfait, le Jura déçu

«Ce résultat est plus net que ce que l’on pouvait attendre. Il démontre que la population du Jura bernois, avec son identité propre, se sent bien au sein du canton de Berne», a affirmé Virginie Heyer, maire de la commune bernoise de Perrefitte et co-présidente du comité Notre Jura bernois, à swissinfo.ch.

«Nous saluons ce résultat et remercions les citoyens d’avoir manifesté clairement leur volonté», a pour sa part déclaré le président du gouvernement bernois Christoph Neuhaus.

Quant au gouvernement jurassien, il s’est déclaré déçu des résultats globaux dans le Jura bernois, même si les Jurassiens ont su «faire preuve d’ouverture» par leur vote. «Nous n’avons pas réussi à convaincre le Jura bernois. Nous avons le sentiment qu’il s’est prononcé sur le vote final, et pas sur le processus», a réagi la ministre jurassienne Elisabeth Baume-Schneider

Moutier dit «oui»

Les communes ont désormais un délai de deux ans pour demander l’organisation d’un plébiscite en vue de rejoindre le canton du Jura. Ce volet ne concerne que le Jura bernois, aucune commune jurassienne n’ayant exprimé le souhait de rejoindre le canton de Berne.

C’est la voie qui pourrait être suivie par Moutier, plus grande commune du Jura bernois. La cité de 7600 âmes encaissée aux portes du Jura, qui cristallise depuis longtemps une bonne partie des crispations autour de la question jurassienne, est la seule commune bernoise à avoir voté ‘oui’ dimanche (55%).

«Moutier n’est pas devenue jurassienne, mais elle n’est plus bernoise», a déclaré Maxime Zuber, maire autonomiste de Moutier depuis 19 ans, à la RTS. Pour lui, le ‘oui’ de ses concitoyens est «historique». C’est la première fois que la ville de Moutier dit ‘oui’ à la perspective d’un changement d’appartenance cantonale, a-t-il relevé. Virginie Heyer ne croit pas pour sa part à un départ de Moutier dans le canton du Jura: «Ces 55% de ‘oui’ ne seront pas suffisants lorsque la ville devra décider de quitter seule le canton de Berne.»

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Violences du passé

Loin des années dites de braise qui ont précédé la création du canton du Jura, en 1979, la campagne en vue de la votation du 24 novembre s’est déroulée dans un climat serein. Mis à part quelques affiches provocatrices de l’UDC (Union démocratique du centre / droite conservatrice) du Jura bernois – le parti qui s’est le plus engagé en faveur du maintien du Jura bernois dans le canton de Berne, et quelques coups d’éclats des Béliers (militants pro-Jurassiens) et des Sangliers (pro-Bernois), le ton des débats est le plus souvent resté courtois.

Il faut dire que la question jurassienne ne soulève plus les mêmes passions identitaires qu’à l’époque des plébiscites des années 1970. Le plus important conflit politico-territorial helvétique de l’Après-Guerre a en effet marqué les esprits dans tout le pays et même au-delà des frontières nationales durant la deuxième moitié du 20e siècle. Au cours des années 1960 et 1970, le débat a souvent cédé sa place à des actions choc, mais aussi à des actes de violence. Les séparatistes ont notamment mis le feu à des bâtiments fédéraux et des fermes, maculé des routes et des maisons du slogan «Jura libre», occupé des ambassades suisses ou encore érigé un mur à l’entrée du Parlement bernois.

Le conflit a fait deux victimes: un jeune séparatiste de 23 ans qui tentait de hisser un drapeau jurassien sur le toit d’un immeuble a été tué par balles le 22 juin 1974 à Boncourt, à la veille du premier plébiscite. Le 1er janvier 1993, un militant jurassien est décédé dans l’explosion de sa bombe artisanale à Berne. C’est cet événement, notamment, qui a poussé Berne et le Jura à créer l’Assemblée interjurassienne (AIJ), institution de réconciliation.

«Un processus exemplaire»

Car si pour les milieux pro-bernois, la question jurassienne fut réglée avec le plébiscite de 1975 et le choix des citoyens des districts de Moutier, de Courtelary et de La Neuveville de rester dans le canton de Berne, pour les autonomistes du Jura bernois et les autorités jurassiennes, en revanche, cette partition du Jura historique n’était pas satisfaisante.

La mise en place de l’AIJ a permis de renouer le dialogue entre les frères ennemis bernois et jurassiens. «L’ensemble du processus politique qui a mené à cette votation peut être considéré comme exemplaire. Il a permis d’instaurer une culture du dialogue, a habitué les gens à se parler et a créé un nouveau rapport entre deux fronts qui semblaient irréconciliables», a ainsi indiqué Dick Marty à swissinfo.ch

C’est sur proposition de cette institution de réconciliation que les cantons de Berne et du Jura, mais aussi la Confédération, ont décidé de donner une nouvelle fois la parole aux populations des régions concernées, afin de clore une fois pour toutes la question jurassienne. Le processus a également été suivi de près à l’étranger: ces derniers mois, des délégations du Liban et d’une dizaine de pays d’Europe orientale sont venus en Suisse pour observer les travaux de l’AIJ.

1815: A la chute de Napoléon, le Congrès de Vienne attribue l’Evêché de Bâle au canton de Berne. L’ancienne principauté des princes-évêques comptait sept districts: Porrentruy, Delémont, les Franches-Montagnes, Moutier, Courtelary, La Neuveville et Laufon.

Dès les années 1950: Montée en puissance du mouvement séparatiste.

23 juin 1974: Premier plébiscite. La majorité accepte la création du canton du Jura. Mais seuls les districts de Delémont, Porrentruy et des Franches-Montagnes s’expriment en faveur d’une séparation. Ceux du Sud s’y opposent. Ils le confirmeront quelques mois plus tard.

24 septembre 1978: Le peuple suisse accepte par 82,3% de «oui» la création du nouveau canton constitué des districts de Delémont, de Porrentruy et des Franches-Montagnes.

1er janvier 1979: Le canton du Jura entre en souveraineté.
 
7 janvier 1993: Mort d’un militant séparatiste à Berne dans l’explosion de sa bombe artisanale.

25 mars 1994: Signature par les cantons du Jura et de Berne sous l’égide de la Confédération de l’accord instituant l’Assemblée interjurassienne (AIJ), institution de réconciliation.
 
Février 2012: Les gouvernements des cantons de Berne et du Jura signent une déclaration d’intention prévoyant l’organisation de deux votations populaires simultanées dans le canton du Jura et le Jura bernois.
 
24 novembre 2013: Contrairement aux Jurassiens, les citoyens du Jura bernois refusent d’entamer un processus visant à réunir les deux régions dans un même canton.

(avec les agences)

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