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Le sida, enjeu politique

Les trois quarts des 40 millions de personnes infectées par le HIV vivent au Sud. swissinfo.ch

Un pas en avant: tel est - du point de vue suisse en tout cas - le bilan de la 14ème Conférence internationale sur le sida, qui s'est terminée vendredi à Barcelone.

Thème central de la réunion: le combat des pays les plus pauvres contre l’épidémie. Près de 15 000 participants venus du monde entier en ont débattu durant la semaine à Barcelone, pour aboutir à un constat mitigé.

Lors de la conférence de presse finale, l’un des vice-présidents, Shaun Mellors, a refusé de dire avec les présidents assis à ses côtés que la réunion avait été un succès.

Les organisations de défense des malades l’ont exprimé de façon plus radicale, à base de manifestations sur le thème de «où sont les 10 milliards?». Ceci en allusion à la somme (en dollars) qui devait constituer le Fonds mondial de lutte contre le sida, lancé l’an dernier par l’ONU et qui, à ce jour, n’a reçu qu’un peu plus de 2 milliards de promesses de dons.

Positif malgré tout

Pour Ruth Rutmann, directrice de l’Aide suisse contre le sida (ASS), le bilan de cette semaine est néanmoins positif. Et ceci d’abord parce que Barcelone aura été une conférence éminemment politique, ce qui n’avait pas été le cas de la dernière réunion, il y a deux ans à Durban, en Afrique du Sud.

A Durban, se souvient Ruth Rutmann, les discussions étaient très orientées sur le problème lui-même, alors qu’à Barcelone, on a remis la question du sida à l’agenda politique. Un recentrage jugé bienvenu.

«Naturellement, cela veut dire que nous devrons consentir des efforts supplémentaires afin d’engager les ressources humaines et matérielles nécessaires, note Ruth Rutmann. Il faut continuer à investir dans la recherche, que ce soit pour le vaccin ou les traitements anti-virus».

Trop cher

La mission des pays développés est donc claire: il s’agit de fournir les moyens financiers nécessaires. Quant aux gouvernements des pays du Sud, leur tâche est de négocier avec l’industrie pharmaceutique afin d’obtenir des médicaments à des prix raisonnables.

«Si l’on peut fournir du Coca-Cola ou de la bière fraîche aux régions les plus reculées d’Afrique, il doit aussi être possible d’y apporter des médicaments», a dit vendredi à Barcelone Joep Lange, nouveau directeur de la Société internationale de lutte contre le sida

«J’ai l’impression que les firmes pharmaceutiques sont prêtes à discuter, juge Ruth Rutmann. Certaines négociations ont déjà abouti, par exemple avec les pays des Caraïbes. Cela montre que nous sommes sur la bonne voie».

Les ONG pessimistes

Un optimisme que ne partagent guère les organisations non gouvernementales (ONG). Pour elles, Barcelone ne marque pas de réel tournant dans la lutte contre l’épidémie. La Conférence a plutôt permis de montrer à quel point celle-ci progresse rapidement.

«Je n’ai pas entendu la moindre bonne nouvelle», déclare Sandra van den Eynde, membre de l’ONG européenne «Change». Selon elle, les politiciens ne s’intéressent plus au sida et trop de gens en Europe ne sont même plus conscients du danger.

Ruth Rutmann n’est pas d’accord. «La tâche des ONG est justement de veiller à ce que les politiciens ne perdent pas de vue le problème du sida», rappelle la directrice de l’ASS.

L’exemple brésilien

Le rôle des ONG dans la lutte contre l’épidémie est en effet considérable. Et pas seulement dans les pays développés. Les succès enregistrés sur le front du sida au Brésil leur doivent par exemple beaucoup. Ce sont elles qui ont fait pression sur le gouvernement pour qu’il se décide à agir.

Résultat: le Brésil fait désormais figure d’exemple de ce qu’un pays du Sud peut faire en matière de lutte contre le sida. Aussi bien dans le domaine de la prévention que dans celui de la mise à disposition des médicaments anti-viraux.

Le vaccin est encore loin

La Conférence de Barcelone a aussi été l’occasion de faire le point sur l’état de la recherche. «Pour ce qui est du vaccin, nous sommes encore très loin du compte», juge Ruth Rutmann.

Dans le domaine des anti-viraux, le géant bâlois Roche a présenté deux études cliniques sur le T-20, son nouveau médicament qui devrait empêcher le virus HIV de pénétrer dans les cellules des personnes infectées.

Pour la directrice de l’Aide suisse contre le sida, cette molécule, qui appartient à une nouvelle génération de substances actives représente «une lueur d’espoir à l’horizon».

Le problème est que cet espoir a son prix: des économistes ont calculé qu’un traitement au T-20 coûtera entre 10 000 et 12 000 dollars par année et par patient. Autant dire que le médicament sera pratiquement inabordable pour les pays en développement.

La maladie des pauvres

De quoi renforcer les ONG présentes à Barcelone dans leur conviction: les séropositifs et les malades du sida des pays les plus pauvres ont absolument besoin de médicaments à prix abordables.

C’est au Sud en effet que vivent les trois quarts des personnes infectées par le HIV, dont on estime le nombre à 40 millions dans le monde. Et c’est également au Sud que vivaient l’immense majorité des 20 millions d’êtres humains que la maladie a déjà tué.

«Si personne ne souffrait du sida en Amérique ni en Europe occidentale, aucun laboratoire n’aurait jamais développé le moindre remède contre cette maladie. Peut importe qu’elle tue des gens en Asie ou en Afrique», déclare abruptement une porte-parole de Médecins sans frontières présente à Barcelone.

De son côté, un représentant d’une ONG américaine attend déjà le rendez-vous de Bangkok, où se tiendra dans deux ans la prochaine Conférence internationale. Histoire de voir comment les gens des Nations Unies, les chefs de gouvernements et les représentants de l’industrie pharmaceutique auront tenu leurs promesses.

Et la Suisse?

Bien sûr, la situation de l’épidémie en Suisse n’a rien à voir avec celle des pays du Sud. «Mais cela ne veut pas dire que chez nous, le problème soit résolu, note Ruth Rutmann. Nous ne sommes pas une île et nous remarquons que le nombre de personnes infectées tend à augmenter. Et ceci parce que de plus en plus de gens recommencent à adopter des comportements à risques».

En Suisse aussi, il est nécessaire de faire pression sur les responsables politiques et économiques pour obtenir les soutiens nécessaires à la lutte contre le sida. «Nous n’avons pas encore réellement accompli notre devoir», conclut la directrice de l’Aide suisse contre le sida.

swissinfo/Jean-Michel Berthoud avec les agences

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