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Les criquets menacent le sud de Madagascar exsangue

Dans la région de Betioky, les paysans pratiquent la cueillette sauvage pour survivre. swissinfo.ch

Malgré une bonne saison des pluies, le sud de Madagascar peine à se relever de trois années de terrible sécheresse. Et déjà, un autre fléau menace: l’invasion des criquets, favorisée par la crise politique qui frappe la Grande Ile.

Au carrefour d’interminables pistes sablonneuses, bordées de cactus et d’épineux, de minuscules huttes construites en paille et branchages surgissent à travers la poussière ocre soulevée par le 4×4 du Programme alimentaire mondial (PAM), l’agence onusienne chargée de fournir une aide d’urgence aux populations affectées par la famine. Comme 29 autres communes (environ 270’000 personnes) du sud de Madagascar, vaste zone semi-désertique située à la hauteur du Tropique du Capricorne, Masiaboay est classée en zone d’insécurité alimentaire sévère pour la prochaine période de soudure, ces mois qui précédent les récoltes et qui s’étendent dans la région d’octobre à mars.

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Le soutien suisse à Madagascar

Ce contenu a été publié sur Initié en 2001 par la coopération suisse, le programme SAHA soutient la croissance économique et la lutte contre la pauvreté à Madagascar. Zoom en images sur quelques actions entreprises depuis dix ans dans la région de Fianarantsoa, à 300 km au sud de la capitale Antananarivo. (Photos: Samuel Jaberg, swissinfo.ch)

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On n’est pourtant qu’à la fin du mois d’août, mais les réserves sont déjà épuisées. «Nous avons mangé tout le maïs et le manioc, il nous reste uniquement quelques patates douces», explique Eniry, «environ 30 ans, huit enfants à nourrir», qui se fait le porte-parole de cette communauté aux abois. Malgré des pluies abondantes entre novembre et avril, la récolte a été maigre. «Après trois années de disette, la capacité de résilience des paysans a été mise à l’épreuve. Ils ont été contraints de se décapitaliser, de vendre leur bétail et leurs outils de production», explique Maherisao Rakotonirainy, du PAM.

Ailleurs, les inondations du mois de février consécutives au passage du cyclone Bingiza ont détruit une partie des récoltes. Pour Eniry et ses collègues d’infortune, le principal coupable est à trouver du côté du ciel: «Le changement climatique nous affecte gravement. Avant, nous avions juste quelques problèmes durant la période de soudure. Aujourd’hui, nous disposons d’à peine 3 à 4 mois de stock alimentaire». Pour nourrir leur famille autrement que par une terre de moins en moins fertile, beaucoup d’hommes sont partis chercher du travail ailleurs, notamment dans les plantations de canne à sucre de Morondava, à près de 400 kilomètres de là. Eniry, lui, a préféré rester: «Je ne peux pas emmener mes enfants. Et puis, c’est notre terre natale, on n’a pas envie de la quitter».  

Dans le sud de Madagascar, région principalement rurale trois fois plus vaste que la Suisse et qui compte 1,5 million d’habitants, 68% de la population se trouve en situation d’insécurité alimentaire. Et les zones urbaines ne sont pas épargnées. A Tuléar, chef-lieu de la province du Sud-Ouest, l’exode rural consécutif à trois années de sécheresse se fait durement sentir. Pieds nus, fronts suintant, des milliers de jeunes hommes sont venus espérer gagner quelques Ariary en tirant des pousse-pousse à travers les rues alignées de cette ville digne du far-west américain. Mais la concurrence est rude et la ration de riz journalière pas toujours assurée.

A 28 ans, Nomery Rasoanambiny est déjà mère de cinq enfants. Elle vit près des salines d’Ankiembe Haut, là où se sont établis les Vezo, ces pêcheurs nomades sédentarisés voilà deux générations. Le menu est frugal: thé le matin, manioc à midi, maïs le soir. Et un bol de riz quand la pêche a été bonne ou que la solidarité familiale a joué. Malgré les bonnes récoltes de cette année, le prix des aliments de base n’a que peu diminué. «Une fois que les prix montent en raison d’une offre trop faible, collecteurs et vendeurs les maintiennent à un niveau artificiellement élevé», explique Augustin Fermand, du Programme alimentaire mondiale (PAM).  «Ils ne font que survivre, résignés. Trois jours de tempête ou de mauvaise pêche suffisent à les mettre en grande difficulté», affirme Stéphane Hamouis, responsable de l’ONG française Bel Avenir, qui scolarise 650 enfants vulnérables dans ce quartier de Tuléar. Les repas de midi fournis dans la cantine de l’école sont donc un préalable indispensable à toute scolarisation.

Le docteur Lalao Rasoarimindina n’est pas moins inquiète: «La vie devient de plus en plus chère. Les problèmes politiques et le climat ont renchéri les denrées alimentaires, certaines familles ne mangent plus que du manioc une fois par jour». Le soutien du PAM permet au dispensaire de distribuer de la nourriture gratuite aux malades de la tuberculose. «Les malades font ainsi plus de kilomètres pour venir se soigner et ça les encourage à poursuivre leur traitement jusqu’au bout». Mais ce n’est pas toujours suffisant. «Je suis contraint de partager ma ration individuelle avec les membres de ma famille car je n’ai plus la force de travailler», se plaint Henri, qui est sous traitement intensif après une rechute. Le nombre de patients, lui, augmente au fil des mois. «La population s’accroît, la pauvreté, l’insalubrité et la malnutrition avec. Et la tendance devrait se poursuivre», craint Lalao Rasoarimindina.

Ces criquets qui menacent

Les premières victimes de la malnutrition sont les enfants. Les nourrissons qui n’ont pas survécu aux mois les plus durs ont été enterrés de nuit dans la brousse, à l’abri des regards accusateurs. Alors, pour survivre, Eniry et les siens sont contraints de manger des racines sauvages, réputées nocives pour la santé, et des fruits de cactus. Ou de compter sur l’aide internationale. «Le problème, explique Alexandre Huynh, de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), c’est que, faute de moyens financiers, nous n’avons pu distribuer que 5% des semences nécessaires cette année».

Pratiquement tout l’effort a en effet été dirigé vers la lutte antiacridienne, l’autre menace qui plane sur la région. Et celle-ci serait bien plus importante encore que la sécheresse, puisque ce sont 13 millions de Malgaches, selon la FAO, qui pourraient être touchées, si l’invasion se propageait à tout le pays, comme ce fut déjà le cas sept fois depuis 1810. «La nouvelle campagne de prévention doit débuter le 1er octobre avec le début de la saison des pluies et la prolifération des larves. Mais nous ne sommes pas du tout sûrs de pouvoir maîtriser la situation», concède Tovonkery Rollondson, chef de la section d’intervention au Centre national antiacridien (CNA) de Betioky.

En tant que spécialiste et «combattant», Tovonkery Rollondson sait exactement ce qui doit être entrepris: éviter le seuil de grégarisation des locustra migratoria, la plus dangereuse des deux espèces répertoriées, au sud de Betioky, car «c’est toujours de là que sont parties les précédentes invasions». Mais l’homme n’est pas un sorcier. Le CNA dispose de moins d’un cinquième du budget nécessaire à l’achat des pesticides et la location des aéronefs pour entamer la nouvelle campagne. Quant aux interventions sur le terrain, nécessaires à la détection des nuages de criquets, elles sont elles aussi largement réduites. «Nous avons 25 véhicules à disposition, mais seuls 15 fonctionnent. Nos motos, elles, sont dans un piteux état».  

Cet article s’inscrit dans le cadre de l’opération «En quête d’ailleurs» 2011, soutenue par l’Unesco, la Direction du développement et de la coopération (DDC) du Département fédéral des Affaires Etrangères (DFAE), la Fondation Hirondelle, la Radio Télévision Suisse (RTS), la Formation continue des journalistes (FCJ), l’Union romande des radios régionales (RRR) et l’entreprise decibel SA.

L’association «En Quête d’Ailleurs» vise à mieux faire connaître les pays éloignés politiquement, socialement et culturellement, grâce au partenariat journalistique entre des médias suisses et des médias de ces pays

«SOS alimentation mondiale» est le thème de l’édition 2011. En 2010, les contributions écrites, radiophoniques, télévisuelles ou multimédia ont traité la problématique de la ville. En 2008 et 2009, l’eau et les migrations ont été les thèmes au centre de l’attention des tandems journalistiques.  

Les publications et médias qui participent à l’opération en 2011 sont:

En Suisse: les radio et télévision suisse romande (RTS), Radio Fribourg, Le Courrier, l’ATS, la Tribune de Genève et swissinfo.ch.  

Ailleurs: Radio Signal FM (Haïti), agence de presse Médiascope (Madagascar), quotidien khmer Rasmei Kamuchea (Cambodge), quotidien L’Orient-Le Jour (Liban), journal L’Emergence (Cameroun), radio communautaire de Katanga (Congo), radio Don Bosco (Madagascar)

Le poids des sanctions

Exsangue, le ministère de l’Agriculture, dont dépend le CNA, ne disposerait plus que de 10% de son budget de fonctionnement habituel. La faute aux sanctions prises par la communauté internationale après le putsch militaire d’Andry Rajoelina en 2009. Rien que l’Union européenne a déjà gelé 600 millions d’euros depuis le changement de régime. Dur pour un Etat qui dépendait pour 70% de l’aide extérieure avant la crise, mais surtout pour la population malgache, dont les trois-quarts vit sous le seuil de pauvreté, et qui serait la principale victime de la fermeture des robinets étrangers, selon Olivier De Schutter, le rapporteur spécial de l’ONU sur le droit à l’alimentation.

A 1000 kilomètres de là, dans la capitale Antanarivo, Julien Andriamahazo, responsable de la sécurité alimentaire au ministère de l’Agriculture, ne peut masquer son impuissance: «Les budgets sont surtout utilisés pour payer les salaires des fonctionnaires. On ne peut pas s’en sortir sans l’aide de la communauté internationale», dit-il, parfaitement conscient de l’instabilité de son siège.

La FAO, elle, a tiré récemment la sonnette d’alarme pour alerter les bailleurs de fonds sur la tragédie qui se dessine, notamment sur le front des criquets. «Nous sommes très inquiets, car nous avons jusqu’ici récolté seulement 10% des 7,5 millions de dollars nécessaires à la prochaine campagne antiacridienne». Mais ce qui paraît encore «plus terrible et frustrant», aux yeux d’Alexandre Huynh, «c’est qu’avec 2 à 3 millions supplémentaires, nous aurions pu éradiquer la menace l’année dernière».

Grand comme une main d’enfant, le locustra migratoria n’a cure de ces tergiversations. «Comme il se reproduit quatre fois par année, il suffit qu’on lui accorde deux mois de répit pour que la situation se complique», souligne Tovonkery Rollondson. Maigre consolation dans ce sombre tableau, les criquets ne sont pas que des ravageurs en puissance. Ils apportent également leur lot de protéines aux paysans qui en manquent si cruellement. «Il suffit de les ramasser, de les bouillir ou de les frire avec du sel et ensuite de les stocker. En plus, c’est très bon!», dit Eniry, esquissant un sourire.

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LE POIDS CULTUREL

La vie après la mort revêt une bien plus grande importance que le bref passage sur Terre. Forts de cette croyance, les Mahafaly, qui vivent dans le sud-ouest de Madagascar, vouent un culte sans bornes à leurs ancêtres, porteurs de pouvoir et garants de la vie sur Terre, tant matérielle que spirituelle. Les somptueux tombeaux érigés en l’honneur des parents disparus, dont le coût peut atteindre plusieurs dizaines de milliers de francs suisses, tranchent avec la modestie des minuscules habitats d’infortune. «Après la mort d’un parent ascendant important, une famille doit parfois sacrifier 50 têtes de bétail pour nourrir les convives durant les longues semaines de funérailles», explique Eliane Rasoamananjara, économiste au conseil diocésain de développement de la région.

Garants du prestige social, les zébus ne sont revendus qu’en dernier ressort, lorsqu’il n’y a plus d’autre alternative pour survivre. Ce à quoi ont été contraints de nombreux éleveurs lors des trois années de sécheresse qui ont frappé le sud de la Grande Ile. «Les bêtes étaient à ce moment-là rachitiques et l’offre surabondante. Ils en ont obtenu un prix dérisoire», souligne Eliane Rasoamananjara. Et dès que les revenus des récoltes le permettent à nouveau, les Mahafaly s’empressent de racheter des zébus, alors que le prix atteint des sommets. «Avant même de penser à s’acheter des semences ou des moyens de production», regrette l’économiste.

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