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L’ONU montre les dents au colonel Kadhafi

Le siège libyen est resté vide vendredi au Conseil des droits de l'homme. Keystone

Le Conseil des droits de l’homme de l’ONU recommande de suspendre la Libye et d’établir une commission d’enquête internationale. La décision devra être prise la semaine prochaine par l’Assemblée générale. Pour Adrien-Claude Zoller, spécialiste des droits humains, cette résolution va «dans le bon sens de l’histoire».

Réuni vendredi en session spéciale à Genève, le Conseil des droits de l’homme a adopté une résolution présentée par l’Union européenne. Les deux propositions principales sont l’établissement d’une commission d’enquête internationale pour faire la lumière sur les violations des droits humains en Libye, ainsi que la suspension de ce pays du Conseil.

La résolution a été adoptée sans opposition. Le Conseil des droits de l’homme a indiqué recommander ce texte à l’Assemblée générale de l’ONU en raison des «graves violations systématiques des droits de l’homme commises par les autorités libyennes».

 

Spécialiste des droits humains, Adrien-Claude Zoller, président de l’ONG «Genève pour les droits de l’homme», se réjouit de cette issue.

swissinfo.ch: Cette résolution contre le colonel Kadhafi n’est-elle pas surprenante?

Adrien-Claude Zoller: Non, car c’est un peu comme à la fin des années 1970, lorsque le général Pinochet avait réussi à faire l’unité contre lui et que, pour la première fois, on avait adopté une résolution à l’encontre d’un pays.

Cette fois, c’est donc le colonel Kadhafi qui a contribué à la lutte pour les droits de l’homme en faisant l’unité contre lui. C’est certes une unité de façade, mais personne ne pouvait prendre le risque de prendre la défense de Kadhafi. Certains, Cuba et le Nicaragua, l’ont presque fait, mais n’ont pas tout à fait osé.

swissinfo.ch: Malgré les remous, la Libye avait été acceptée au Conseil des droits de l’homme. Maintenant, avec cette résolution, il semble que le vent ait tourné…

A.-C. Z. : Pas du tout. Le Conseil des droits de l’homme est composé d’Etats et si l’on enlevait tous les mauvais, il n’y aurait plus personne. Le problème n’est pas que la Libye soit membre. Le problème, c’est qu’en devenant membre, les Etats s’engagent a mieux respecter les droits de l’homme. Or la Libye fait le contraire.

C’est la première fois que l’on va suspendre un membre. Mais j’insiste sur le fait que le Conseil des droits de l’homme ne décide pas. Il ne peut que le proposer à l’Assemblée générale des Nations Unies à qui il incombe de décider.

Il faudra donc que la décision soit prise la semaine prochaine à New York par deux tiers des voix. C’est beaucoup, car il y a les deux tiers des pays dans le monde qui violent sur une large échelle les droits de l’homme.

swissinfo.ch: Et pensez-vous que la résolution sera acceptée?

A.-C. Z. : Oui, car c’est un peu l’effet Pinochet. Cette unanimité permet d’avoir un bouc émissaire pour les pays qui violent gravement les droits de l’homme.

Et pour les pays arabes, c’est l’opportunité de prendre la parole contre le colonel Kadhafi. Ils donnent ainsi un signal non pas au Conseil des droits de l’homme, mais à leur propre opinion publique en disant: «moi le Qatar, moi l’Arabie saoudite, j’ai condamné le colonel Kadhafi et je ne prendrai pas la même voie que lui». Même l’Iran se permet de faire ça. C’est donc pour calmer la population dans les pays arabes.

swissinfo.ch: Le Conseil des droits de l’homme a été souvent critiqué. Cette résolution peut-elle redorer son blason?

A.-C. Z. : Non, car ces critiques étaient fausses. Puisque le Conseil des droits de l’homme est composé d’Etats, ce sont les Etats et leurs votes au sein du Conseil qu’il faut critiquer, et non pas le Conseil lui-même.

Il n’en reste pas moins que le Conseil prend une mesure historique, parce qu’un signal très fort est donné.

swissinfo.ch: Autre signal fort, c’est la venue d’Hillary Clinton à Genève la semaine prochaine. Peut-on y voir un nouvel élan de la politique américaine au sein du Conseil?

A.-C. Z. : Vraiment pas. La politique américaine a changé dès le lendemain de l’élection de Barack Obama, ce qui s’est vu dans beaucoup de projets de résolution. La venue de Mme Clinton ne change rien sur la question libyenne, puisque les décisions sont prises aujourd’hui à Genève.

swissinfo.ch: Avec sa résolution, le Conseil des droits de l’homme prend-t-il des décisions que le Conseil de sécurité n’ose pas prendre? Y a-t-il une espèce d’interaction entre les deux?

A.-C. Z. : Les choses se sont passée différemment. Il y a à Genève un Haut Commissariat aux droits de l’homme qui a fait une déclaration très forte en déclarant que les événements en Libye s’apparentaient à des crimes contre l’humanité en demandant de tout mettre en œuvre pour que cela cesse.

A partir de là, le secrétaire général de l’ONU a téléphoné au colonel Kadhafi et le Conseil de sécurité s’est ensuite réuni. C’est la réunion du Conseil de sécurité qui a forcé le Conseil des droits de l’homme à se réunir.

La haut commissaire aux droits de l’homme, Navi Pillay, a par ailleurs demandé l’ouverture d’une enquête. J’estime que cette enquête internationale constitue l’élément fondamental de la résolution. Elle va donner lieu à un rapport qui aboutir sur la table du procureur général de la Cour pénale internationale.

La résolution d’aujourd’hui sur la Libye, avec ce paragraphe sur l’enquête, c’est une résolution qui va dans le bon sens de l’histoire, celui du progrès du droit pénal international.

swissinfo.ch: Le projet de résolution a été présenté par l’Union européenne. Comment jugez-vous la position européenne dans le dossier libyen?

A.-C. Z. : L’Europe n’a qu’un seul souci: la montagne de réfugiés qui risquent d’arriver. Elle aurait pu s’intéresser davantage au sort des victimes.

S’il y avait véritablement une politique européenne, cette politique pourrait regarder autour d’elle, par exemple en Méditerranée. Ce qui se passe, d’un point de vue géopolitique et militaire, c’est une «somalisation» de la Libye. Plus le colonel Kadhafi tient avec ses troupes, plus les autres parties du pays qui se libèrent vont s’autogérer. C’est un nouveau modèle aux frontières du Tchad, d’une Algérie qui est instable, du Darfour.

Si demain l’UE veut d’une Somalie de l’autre côte de la Méditerranée, elle n’a plus qu’à continuer ainsi…

swissinfo.ch: Que faire pour éviter un tel scénario?

A.-C. Z.: Il fallait immédiatement taper du poing sur la table. Mais l’Europe n’a rien fait depuis le début des troubles, il y a trois semaines. On se trompe, au Conseil des droits de l’homme, lorsque l’on voit la grande Europe comme celle qui a pris l’initiative.

Maintenant, il convient d’augmenter les pressions sur le colonel Kadhafi et son clan. Il faut des mesures au niveau du Conseil de sécurité, surtout en ce qui concerne l’interdiction de l’espace aérien et de l’espace naval. A partir de là, le colonel Kadhafi aura beaucoup moins de force de frappe.

Le président du Venezuela Hugo Chavez, principal allié latino-américain de Tripoli, est sorti du silence qu’il observait depuis le début des manifestations en Libye.

Il a apporté son soutien au colonel Mouammar Kadhafi, confronté selon lui à «une guerre civile». Ces derniers jours, plusieurs rumeurs ont couru sur une possible fuite du dirigeant libyen à Caracas, avant d’être démenties.

En Amérique latine, le président du Nicaragua Daniel Ortega, avait aussi exprimé sa solidarité avec M. Kadhafi. Le dirigeant cubain Fidel Castro avait lui affirmé que les Etats-Unis étaient prêts à donner l’ordre à l’OTAN d’envahir la Libye.

Les autres pays de la région, à l’inverse, ont critiqué le régime libyen. Le Pérou a même été le premier à annoncer mardi la suspension de ses relations avec Tripoli.

Le colonel Mouammar Kadhafi est apparu vendredi sur la place Verte à Tripoli.

L’homme fort de la Libye a demandé à ses partisans de se préparer à «défendre la Libye», selon des images diffusées par la télévision d’Etat.

«Nous allons nous battre et nous les vaincrons», a-t-il dit lors de cette apparition surprise devant la foule. au 11e jour d’une insurrection dans son pays. Il a aussi affirmé devant ses partisans que «tous les dépôts d’armes seront ouverts pour armer tout le peuple».

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