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Les hautes écoles suisses s’exportent

Le «Future Cities Laboratory» a été inauguré le 16 mars à Singapour. Naomi Hanakata/ETH

L’Ecole polytechnique fédérale de Zurich a ouvert le premier institut de recherche d’une école suisse en Asie. Cette démarche s’inscrit dans la tendance, de plus en plus forte, d’internationaliser et d’exporter la recherche.

Encouragées par les incitations financières proposées par les gouvernements étrangers et la présence d’institutions prestigieuses provenant des Etats-Unis, de Chine et du Japon, les instituts universitaires suisses exportent à leur tour leur savoir pour développer leurs recherches. Ainsi, mi-mars, le ministre suisse de l’intérieur Alain Berset a inauguré le Centre de durabilité environnementale globale de l’Ecole polytechnique fédérale (EPF) de Zurich à Singapour.

Le Centre, fondé en septembre 2010, regroupe pas moins de 119 chercheurs. Il y a plus longtemps déjà, en 2009, la petite sœur de l’EPF de Zurich, l’EPF de Lausanne (EPFL), a pris pied dans les Emirats arabes unis en y installant également un centre de recherche.

«Les Emirats ont été choisis pour leur emplacement stratégique à l’intersection entre l’Asie, l’Europe et l’Afrique», explique Franco Vigliotti, doyen du nouveau campus de Ras Al Khaimah, baptisé «EPFL Middle East». Or l’EPFL compte de nombreux étudiants de cette région du monde: ils forment entre 13 et 15% des effectifs.

«L’EPFL est à la pointe des écoles sur le plan européen, ajoute Franco Vigliotti. L’intérêt de ces pays – et d’autres – pour nous persistera. Le nombre d’étudiants intéressés restera élevé. Nous ne pouvons donc pas rester les bras croisés. Nous devons leur fournir un lieu plus proche pour leurs études.»

Les Emirats ont déployé de grands efforts pour attirer de grands noms de la recherche internationale. Aujourd’hui, 25% des campus «offshore» y sont basés. «La croissance a été très rapide, ajoute Franco Vigliotti. Les Emirats se sont transformés en plateforme pour les études universitaires dans la région.»

Internationalisation

Depuis plus de vingt ans, la recherche scientifique s’internationalise rapidement. Les méthodes de voyage et les communications modernes ont accéléré ce processus.

Aujourd’hui, 35% des articles mentionnant des recherches scientifiques sont le fruit d’un travail international, indique Mauro Moruzzi, chef de la coopération bilatérale de recherche auprès du Secrétariat d’Etat à l’éducation et à la recherche (SER). Il y a 15 ans, cette proportion était de 25%.

«En Suisse, les équipes de recherche sont très internationales. A l’EPF de Zurich, comme dans toutes les autres universités suisses, près de la moitié de la faculté n’est pas suisse. C’est aussi le cas d’environ deux tiers des doctorants et des étudiants en post doc», selon Mauro Moruzzi.

Retour au nouveau campus suisse à Singapour. «La décision est née dans le sillage des collaborations déjà nombreuses avec des partenaires de Singapour, du Japon, d’Inde, de Chine et d’Australie», explique Gerhard Schmitt, professeur, directeur du nouvel institut de l’EPF à Singapour et vice-président senior de la haute école zurichoise.

«Nous collaborions déjà fortement dans le domaine de l’écriture des travaux de recherche et pour les échanges entre étudiants. Nous savions donc que nous avions affaire à des pairs, ce qui est très important pour rendre la destination intéressante pour nos professeurs», précise Gerhard Schmitt.

Thème privilégié: l’urbanisation

Ces «pairs» sont du reste des éléments clés lorsque les hautes écoles occidentales cherchent à se développer à l’étranger. «Il est bien sûr plus facile de travailler avec des collègues lorsque vous êtes dans le même bâtiment», ajoute le vice-président. D’autres universités prestigieuses, comme le Massachusetts Institute of Technology (MIT) et l’Université californienne de Berkeley, avec qui l’EPF de Zurich nourrit déjà des relations étroites, sont également établies dans le «Campus for Research and Technological Enterprise» (Create) de Singapour.

«L’urbanisation est l’un de nos thèmes privilégiés, tandis que le MIT se penche en particulier sur certains aspects de la mobilité. Et le domaine de l’efficacité des constructions, très important pour notre projet de Cités du futur, intéresse tout particulièrement l’UC Berkeley. Nous avons donc ici, à Singapour, un grand groupe urbain collaborant sur des thèmes communs», détaille Gerhard Schmitt.

Mais la décision d’établir des centres de recherche à l’étranger ne s’explique pas seulement par la volonté de travailler à proximité de collègues étrangers. Elle est aussi liée à la volonté de s’étendre et de développer la recherche au-delà de ce qui peut être réalisé en Suisse.

«Nous ne voulons pas faire à l’étranger des recherches que nous pourrions faire en Suisse, poursuit le vice-président. Il en va de même pour l’enseignement: il doit avoir lieu en Suisse.» L’EPF Singapour ne propose donc pas de cursus de base.

«Mais, précise le professeur, dans certains domaines de recherches, nous ne pouvons pas vraiment être actifs directement à proximité de l’Europe ou en Suisse, que ce soit à cause du climat, de la situation géographique, politique ou géopolitique».

Ouvrir de nouvelles brèches

Un point de vue partagé par Franco Vigliotti. «Les Emirats représentent un nouveau marché pour la recherche», dit-il, qui a «permis à l’EPFL d’explorer de nouveaux champs, ou des champs complémentaires, ce qui n’aurait pas été possible en Suisse.»

«Nous avons par exemple pu tester des cellules solaires conçues en Suisse pour des conditions extrêmes. Nous pouvons donc voir s’il sera possible de les exporter dans des régions comme les Emirats; ces cellules supporteront-elles le climat, comment se comporteront-elles?»

Si la Suisse veut conserver son rôle à la pointe de la recherche et de l’innovation – clé de sa prospérité, «elle doit s’ouvrir au monde», affirme Franco Vigliotti. «La Suisse est un petit pays. Ne serait-ce que par sa taille, on voit bien que le réservoir pour recruter des étudiants et des professeurs est restreint.»

Pour Gerhard Schmitt, établir une présence de l’EPF à Singapour revient à rompre avec les structures des universités d’antan. «Nous employons des chercheurs et leur permettons d’interagir de différentes manières, mettant la priorité sur des thèmes et non plus des disciplines, sur les résultats et la diffusion des résultats et sur l’interaction avec les personnes les plus fortes du monde. C’est vraiment un nouveau modèle et nous sommes curieux de voir où il nous mènera», conclut-il.

Inauguré le 16 mars dernier, le «Future Cities Laboratory» (FCL) est un centre de recherche interdisciplinaire axé sur la durabilité urbaine dans un cadre global. C’est le premier programme de recherche du nouveau «Centre for Global Environmental Sustainability» (SEC) de l’EPF de Zurich à Singapour et il s’agit aussi du premier centre de recherche d’une haute école suisse en Asie.

Le Centre compte plus de 100 doctorants, post-doctorants et professeurs travaillant sur divers thèmes liés aux villes de l’avenir et à la durabilité environnementale.

La spécificité du FCL est de se pencher sur la manière dont les villes pourraient être dessinées, construites, gérées, maintenues et habitées de façon à être compatibles avec les objectifs d’un développement durable. Le FCL s’intéresse tant aux risques qu’aux chances des cités de l’avenir.

L’EPFL Middle East est basée à Ras Al Khaimah, aux Emirats arabes unis. Elle accueille des doctorants et des post-doctorants dans les domaines de l’énergie et du développement durable.

L’institut propose des masters et des doctorats en recherche sur des thèmes tels que les transports urbains, le vent, l’énergie et l’eau.

Traduction de l’anglais: Ariane Gigon

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