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La maison écolo doit avoir les pieds bien au chaud

Avant de couler le pieu qui va s’enfoncer dans le sol, on intègre des tuyaux à l’armature de fer à béton. epfl

Pour chauffer un bâtiment en brûlant le moins d’énergie possible, il suffit d’utiliser ses fondations pour puiser la chaleur dans le sol. L’idée fait son chemin, grâce notamment à un labo de l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL), pionnier dans ce domaine.

En avril 2012, une brochette de spécialistes mondiaux des «géostructures énergétiques» se retrouveront à l’EPFL, sur invitation du professeur Lyesse Laloui, directeur du Laboratoire de mécanique des sols (LMS), pour un atelier qui a obtenu le soutien du Fonds national scientifique américain.

L’enjeu est donc de taille. Mais de quoi s’agit-il? D’une idée dont la simplicité résonne comme une évidence.

Sans le savoir, nous vivons sur une véritable fournaise. Si on ne connaît pas exactement la température du centre de la Terre, 99% de la masse de notre planète cuit sous nos pieds à plus de 1000 degrés! Plus on creuse, plus la température augmente. Sachant dès lors que toute construction de tant soit peu d’importance a des fondations plus ou moins profondes, il suffit d’y intégrer des tubes remplis d’un liquide qui transmet bien la chaleur (dit aussi caloporteur), pour récupérer cette énergie thermique via des pompes à chaleur.

Et ça marche aussi bien dans les pieux qui servent de fondations aux gros immeubles ou aux ponts que dans les ancrages ou les parois des tunnels ou des caves des villas. En milieu urbain, où il n’y a pas de place pour faire courir des serpentins horizontaux dans le sol, c’est même la solution idéale.

Question de profondeur

Les géostructures énergétiques, c’est de la géothermie dite à «très basse énergie», domaine qui utilise la chaleur régnant entre 1 et 100 mètres sous la surface. A ces profondeurs, la température reste quasiment stable toute l’année à 10 ou 12°. C’est peu, mais une bonne pompe à chaleur s’en contente largement pour chauffer un bâtiment par le sol. Et le processus peut également fonctionner à l’envers, pour refroidir le même bâtiment en été.

Rien à voir donc avec la géothermie profonde, qui veut plonger jusqu’à 5 kilomètres dans l’écorce terrestre et utiliser les 150 à 200° de température ambiante pour produire de la vapeur qui fera tourner des turbines électriques. Avec les géostructures énergétiques, pas de risque de déclencher un tremblement de terre, comme ce fut le cas en 2006 à Bâle (3,4 sur l’échelle de Richter), lors des forages du projet «Deep Heat Mining».

Centre d’excellence

L’idée d’intégrer des tuyaux caloporteurs dans les fondations des bâtiments est aussi vieille que les pompes à chaleur qui rendent possible l’exploitation de ces quelques degrés. «On le fait depuis 30 ans, confirme Lyesse Laloui. Mais on le fait de manière empirique. Alors qu’ici à l’EPFL, nous avons été les premiers à tester le comportement de ce genre de fondations dans des conditions réelles.»

«Ce qu’il faut considérer, c’est que vous allez chauffer et refroidir les fondations et le sol qu’il y a autour, donc dilater et contracter les matériaux, poursuit le professeur. Et si le bâtiment est construit sur de l’argile, le sol, va rétrécir quand on le chauffe, mais ne reprendra pas sa place en refroidissant».

C’est pour mesurer ce genre de déformations que l’EPFL a planté dans le sol il y a 11 ans le premier pieu énergétique du monde entièrement voué aux tests. «Jusqu’à maintenant, nous sommes les seuls à avoir développé un logiciel destiné aux architectes et aux ingénieurs pour dimensionner ce genre d’ouvrages», ajoute Lyesse Laloui.

Forte de cette expertise, qui a été reprise notamment par l’Université de Cambridge, avec laquelle elle collabore sur de nombreux projets, l’EPFL a doté une partie de son futur Centre de Congrès de fondations énergétiques pour améliorer les connaissances sur le comportement d’un groupe de pieux. Et espère bien en faire autant avec le futur Musée des Beaux-Arts de Lausanne ou le nouvel hôpital Riviera-Chablais de Rennaz.

Dans le premier cas, la volonté de trouver des solutions écologiques pour l’approvisionnement en énergie est énoncée dans l’appel d’offre. Et dans le second, l’EPFL compte sur son vice-président Francis-Luc Perret, membre du comité d’établissement du futur hôpital, pour faire passer l’idée.

Enorme !

Car pour l’instant, ni les architectes ni les promoteurs ne se ruent sur une technologie encore mal connue et lui préfèrent les solutions rôdées. «S’ils doivent faire le pari d’économiser de l’énergie dans les 50 prochaines années, mais compromettre leurs chances de faire passer leur projet [à cause d’une technologie un peu plus chère], ça ne leur semble pas primordial», résume Lyesse Laloui.

«C’est aux pouvoirs publics de donner l’impulsion, estime le directeur du LMS. L’Office fédéral de l’Energie fait beaucoup d’efforts, c’est maintenant aux cantons et aux collectivités locales de promouvoir cette technologie. Mais je crois que nous allons dans la bonne direction».

Et de donner l’exemple de l’Angleterre, où le nombre de pieux énergétiques fichés dans le sol est passé en cinq ans de quelques centaines à plus de 5000, sans que cette explosion doive au hasard. La mairie de Londres a en effet émis la recommandation que tous les nouveaux bâtiments publics en soient dotés.

L’enjeu, encore une fois, est de taille. Une moitié environ de l’énergie consommée en Suisse sert à chauffer des locaux et à produire de l’eau chaude. Même s’il n’existe aucune étude chiffrée à ce sujet, on imagine aisément le potentiel des technologies qui permettraient de faire cela avec une dépense énergétique et des émissions de CO2 fortement réduites.

Simplement énorme.

Inauguré en 2003, le terminal E de l’aéroport de Zurich est le plus fameux exemple parmi la quarantaine de bâtiments en Suisse qui utilisent des fondations énergétiques.

Long de 500 mètres et large de 30, il repose sur 350 pieux de béton qui s’enfoncent à 30 mètres dans le sol, dont 306 sont munis de tuyaux à liquide caloporteur. En été, le froid soutiré du terrain permet de climatiser le terminal sans utilisation de pompe à chaleur et la chaleur ainsi injectée dans le terrain est récupérée en hiver et montée à 30-40° par une pompe à chaleur. Au total 75% de l’énergie utilisée pour le chauffage et le refroidissement proviennent des pieux énergétiques.

2640 gigawattheures(GWh), c’est le total de la production de chaleur tirée du sol en Suisse en 2010. C’est 19% de plus qu’en 2009, mais cela ne représente toujours que quelques fractions de pourcent de l’énergie produite et consommée chaque année.

2400 GWh. Le plus gros morceau est fourni par les plus de 68’000 pompes à chaleur installées en Suisse (un chiffre qui a presque quadruplé en dix ans). 86% de cette énergie provient de systèmes fonctionnant avec des tuyaux enfouis dans le sol.

25,3 GWh, c’est la part – encore très modeste – des géostructures énergétiques à cette production globale de chaleur.

(Source: Société suisse pour la géothermie)

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