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Le Louvre accueille les reliquaires de Saint-Maurice

Parmi les pièces exposées au Louvre, cette statue équestre de St-Maurice, datée de 1577. Keystone

A l’entrée du canton du Valais, en Suisse, Saint-Maurice d’Agaune détient un trésor unique de reliquaires chrétiens, certains plus que millénaires. Pendant les travaux de réaménagement de l’abbaye, qui fêtera ses 1500 ans cet automne, les plus belles pièces sont hébergées et exposées au Louvre à Paris.

En 2009, Léonard Gianadda entraîne le directeur du Louvre, Henri Loyrette, à l’abbaye de Saint-Maurice. Le Valaisan, responsable de la célèbre fondation, connaît bien les lieux pour y avoir fait son collège au début des années 60. Impressionné par ce qu’il découvre, Henri Loyrette apprend que le site sera bientôt restauré. Sans hésitation, il propose d’accueillir le trésor de l’abbaye pendant les travaux.

C’est chose faite. Les vénérables reliquaires ont quitté l’abbaye pour la première fois depuis des siècles, un bon millénaire pour les plus anciens. Le vase de Saint-Martin, truffé de saphirs et d’émeraudes, qui servit selon la légende à recueillir le sang des martyrs thébains, n’a jamais bougé depuis qu’il avait été offert à l’abbaye par le roi burgonde Sigismond au 6e siècle. Même dépaysement pour l’aiguière dite de Charlemagne, les coffrets reliquaires et les châsses du Moyen-Age.

À partir du 14 mars, on peut les découvrir, derrière une petite vitrine en verre, dans l’aile Richelieu du Louvre. Un déchirement ? «Ce grand évènement du déplacement du trésor à Paris ne nous est pas naturel, reconnaissait en février l’abbé de Saint-Maurice, Mgr Joseph Roduit. Mais il s’inscrit comme une réponse aux besoins d’un siècle que je perçois hanté par le fait religieux.»

Paris mais pas New-York

«Il n’y a guère eu de résistance chez les chanoines de la communauté de Saint-Maurice, témoigne Pierre-Alain Mariaux, professeur à l’université de Neuchâtel et commissaire de l’exposition. Il faut dire que tous les objets n’ont pas été prêtés: seulement 19 pièces d’orfèvrerie – parmi les plus belles – sur une centaine en tout. Rappelons que certaines pièces du trésor sont encore utilisées dans la liturgie de l’abbaye.»

Il était question qu’après Paris, le trésor file à New York. Mais finalement «les chanoines ont décidé qu’un voyage tous les 1500 ans suffisait largement», ironise Pierre-Alain Mariaux. Les pièces retrouveront Saint-Maurice en juin, pour les préparations des 1500 ans de l’abbaye, le 22 septembre 2014. Des célébrations uniques: l’abbaye est la seule en Occident à pouvoir fêter 1500 ans de présence continue d’une communauté religieuse, même si celle-ci a pris des formes différentes au cours des siècles.

L’histoire du trésor est une histoire d’os et de dons. D’après la légende, tout commence au IIIe siècle, quand l’empereur de Rome donne l’ordre de tuer les habitants chrétiens de Martigny. Alors cantonné à Agaune, Saint-Maurice, chef de la légion thébaine – ses soldats ont été recrutés en Haute-Égypte – s’y refuse. Il est massacré avec l’ensemble de sa légion. En 380, saint Théodule, premier évêque valaisan, regroupe les ossements de saint Maurice. Autour de ces reliques se développe une vie religieuse.

swissinfo.ch

Troc avec Saint-Louis

L’abbaye accumule un trésor qui a peu d’équivalents en Europe. Un patrimoine constitué grâce aux dons des papes, des rois de Savoie et d’autres souverains. Au Moyen Âge, les reliques font l’objet d’un «commerce» effréné. Comme l’achat est interdit par le droit canonique, on se les échange, on se les troque.

En 1261, Saint-Louis fait affaire avec l’abbaye de Saint-Maurice. En échange de reliques des martyrs thébains, le roi offre la Sainte Epine, qui contient une parcelle de la fameuse Couronne d’épines du Christ. Retour inattendu de l’Histoire, la Sainte Epine et ses perles, émeraudes et rubis reviennent aujourd’hui à Paris, huit siècles et demi plus tard.

Que sont devenues les reliques données à Saint-Louis? «La plupart ont disparu lorsque le prieuré Saint-Maurice de Senlis fut ravagé sous la Révolution française, regrette Élisabeth Antoine-König, conservateur en chef au département des objets d’art du Louvre. Il est difficile de savoir s’il en reste encore sur le territoire français». Hors d’Agaune, point de salut.

L’héritier de Savoie s’en moque

Commémorations, exposition à Paris: il a fallu toiletter et restaurer les œuvres. On a demandé l’aide de mécènes, notamment celle de l’héritier de la Maison de Savoie. Lequel a répondu: «Voici mon mouchoir pour nettoyer les pièces», confie avec un brin d’amertume Pierre-Alain Mariaux. La Fondation Gandur pour l’Art, à Genève, s’est montrée plus généreuse.

L’occasion était aussi unique pour reconsidérer les connaissances que l’on a sur Saint-Maurice. La bibliothèque de l’abbaye a été ravagée par un incendie en 1693. Seuls quelques volumes ont été miraculeusement épargnés, notamment un inventaire du trésor réalisé vers 1560. «Ce que l’on ne sait pas, c’est si l’abbaye abritait un atelier d’orfèvrerie», note Élisabeth Antoine-König.

* Le trésor de l’abbaye de Saint-Maurice d’Agaune

du 14 Mars 2014 au 16 Juin 2014, musée du Louvre, Aile Richelieu, espace Richelieu.

Mgr Joseph Roduit, abbé de St Maurice, sur le pape François et sur le trésor de l’abbaye exposé au Louvre – RTS 13 mars 2014

Contenu externe

L’exposition du Louvre fait l’objet de plusieurs événements et conférences.

 

Mercredi 2 avril à 12h30: présentation de l’exposition par Élisabeth Antoine-König, conservateur en chef au département des Objets d’art du musée du Louvre.

Mercredi 2 au vendredi 4 avril de 10h à 18h à l’ambassade suisse à Paris: «Honneur à Saint-Maurice!», Colloque organisé par la Fondation des archives historiques de l’abbaye de Saint-Maurice.

Mercredi 30 avril de 10h à 18h: journée d’actualité de la recherche de la restauration, consacrée aux trésors d’églises du Moyen Âge.

Les 1er et 2 mars derniers, quatre reliquaires du trésor ont été exposés à l’intérieur de la cathédrale Notre-Dame de Paris.

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