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«Je refuse d’être un homme»

Le transsexuel Esther Brunner est candidat sur la liste des Jeunes socialistes zurichois. swissinfo.ch

Candidate du Parti socialise au Conseil national, Esther Brunner est le premier transsexuel à s’aventurer dans l’arène politique.

La justice a obligé le canton de Zurich à réimprimer 800’000 bulletins de vote, car l’Etat l’avait enregistré comme homme.

«Si j’étais née femme, mes parents m’auraient appelée Esther», explique cette étudiante en philosophie de l’Université de Zurich, une belle jeune femme de 27 ans aux cheveux châtains et au sourire sympathique.

Mais sa carte d’identité révèle une autre personnalité: Christian Brunner, né le 3 mai 1976.

«Christian n’existe plus», déclare Esther, qui n’attend plus qu’une opération chirurgicale (elle aura lieu le 15 octobre) pour changer définitivement de sexe. Cette attente ne l’empêche cependant pas de déjà assumer sa nouvelle identité et même de participer à la vie politique.

Esther Brunner est en lice pour décrocher un siège au Conseil national (Chambre basse). Elle figure sur la liste des Jeunes socialistes et celle du groupe interpartis des homosexuels et des lesbiennes du canton de Zurich.

Malgré son jeune âge, la jeune fille a déjà fait les gros titres de la presse suisse. Cette notoriété provient de la bataille juridique qui l’a opposée au canton de Zurich.

A la fin août, Esther a attaqué le canton en justice. Motif: c’est son nom masculin qui figurait sur les listes électorales.

Les autorités se sont défendues en arguant du fait que la transformation sexuelle de Christian en Esther n’était pas encore devenue réalité au moment du dépôt des listes. Du coup, le nom sur les listes devait être le même que sur la carte d’identité d’Esther.

Mais Esther a expliqué au tribunal que sa dernière opération chirurgicale devait être effectuée au mois d’octobre, en même temps que les élections fédérales. Son argumentation reposait sur des considérations morales et légales.

«Pour moi, me porter candidate en tant qu’homme constituerait une mesure arbitraire contre mon individualité et une attaque contre mes droits politiques», souligne la jeune femme.

Le tribunal a finalement donné raison au transsexuel. Le canton a donc été obligé de réimprimer les 800’00 listes électorales qui seront utilisées le 19 octobre, jour des élections.

swissinfo a invité Esther pour une conversation informelle en gare de Zurich. Interview.

swissinfo: Depuis combien d’années militez-vous en politique?

Esther Brunner: J’ai toujours été intéressée par l’injustice sociale. C’est pour cette raison que je suis active au Parti socialiste depuis plus de six ans. Je suis entrée dans la Jeunesse socialiste un peu plus tard, car elle organisait des activités politiques intéressantes.

swissinfo: Comment vous est venue l’idée de vous porter candidate?

Esther Brunner: C’est très simple. Mes collègues de la Jeunesse socialiste m’ont suggéré d’être candidate lorsque nous avons lancé une liste en vue des élections fédérales d’octobre.

Mais je les ai avertis que nous pourrions avoir des problèmes en raison de mon appartenance sexuelle. J’étais en effet encore enregistrée officiellement dans le registre électoral en tant qu’homme, bien que je vivais comme une femme depuis déjà trois ans.

swissinfo: Quelles sont les difficultés lorsque l’on veut changer de sexe dans un pays comme la Suisse?

Esther Brunner: Le changement de sexe est un processus très compliqué. J’ai d’abord dû suivre des séances chez un psychiatre. Il m’a conseillé de vivre d’abord comme une femme sans rien changer de fondamental.

Ensuite, j’ai fait un traitement au laser pour supprimer les poils de la barbe. Puis, j’ai commencé à prendre des hormones.

Quant à la question du changement de sexe au plan légal, il ne peut avoir lieu en Suisse qu’après une opération chirurgicale. Celle-ci aura lieu au mois d’octobre.

swissinfo: Comment avez-vous découvert que vous n’étiez pas sûre de votre identité sexuelle?

Esther Brunner: A l’école, je ne savais pas encore avec certitude ce qui était différent chez moi. Je savais seulement que je n’étais pas comme les autres garçons et aussi que je n’avais pas envie de leur ressembler.

Mais il m’a fallu un long processus de recherche sur moi-même pour finalement en arriver à prendre une décision. Je ne peux pas vivre comme un homme. Je veux être une femme, je suis une femme et j’ai besoin de vivre ainsi.

swissinfo: Avez-vous souffert de votre condition de transsexuelle?

Esther Brunner: Ici, à Zurich, je n’ai pratiquement subi de discriminations. Parfois, j’entends des commentaires imbéciles, mais ils proviennent de jeunes qui sont encore peu sûrs de leur propre sexualité.

Le principal, c’est que je puisse vivre comme je l’entends dans ce pays. C’est le plus important.

swissinfo: Si vous être élue, quelle sera votre action au Parlement?

Esther Brunner: J’ai envie de combattre tous les types de préjugés, notamment vis-à-vis des étrangers. Ils constituent un cinquième de la population suisse mais qui n’ont aucun droit politique. Et beaucoup d’entre eux vivent dans ce pays depuis des années déjà.

En même temps, je veux lutter pour l’égalité des droits pour les homosexuels, les lesbiennes et les transsexuels. Il faut en terminer avec toute forme de discrimination.

swissinfo: Que serait concrètement une égalité des droits pour les transsexuels?

Esther Brunner: Je crois qu’il serait important d’avoir la possibilité de créer une carte d’identité complémentaire. Elle permettrait de régler la question de l’identité durant la phase de transformation qui va du coming-out, où une personne commence à découvrir sa véritable appartenance sexuelle, au changement de sexe définitif.

Moi, par exemple, je ne peux toujours pas ouvrir un compte en banque sous mon nom féminin. Mais il existe d’autres exemples où j’ai des problèmes dès que je dois justifier mon identité. Cette situation devrait changer.

swissinfo: Combien y a-t-il de transsexuels en Suisse?

Esther Brunner: Je connais personnellement vingt personnes qui vivent la même situation que moi. Je pense qu’il existe entre 200 et 500 personnes en Suisse qui peuvent aussi être considérées comme des transsexuels. Mais je ne suis pas sûre de ces chiffres.

swissinfo, Alexander Thoele, Zurich
(traduction: Olivier Pauchard)

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