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«Les autorités suisses comprennent mal le terrorisme»

Keystone

Accusés de liens avec Al-Qaïda, sept Musulmans ont finalement été acquittés par le Tribunal pénal fédéral. Un verdict qui n'étonne pas Jacques Baud.

Ce spécialiste du phénomène terroriste estime que la Suisse et les autres pays occidentaux peinent à comprendre le terrorisme islamiste et à cerner les contours du réseau Al-Qaïda.

Le premier procès en Suisse de personnes soupçonnées de soutien au réseau terroriste Al-Qaïda a accouché d’une souris. Les cinq Yéménites, l’Irakien et le Somalien accusés ont été acquittés mercredi par le Tribunal pénal fédéral de Bellinzone.

Un verdict qui ne surprend pas Jacques Baud, spécialiste du terrorisme et auteur de plusieurs ouvrages sur la question. Interview.

swissinfo: Comment analysez-vous ce verdict ?

Jacques Baud: Il ne me surprend pas et ce pour plusieurs raisons. Le concept d’Al-Qaïda reste encore très flou dans l’esprit de beaucoup de gens. Il est en effet difficile de définir les contours de la menace, donc de savoir ce que l’on cherche.

Et cet acquittement reflète, à sa manière, les incertitudes sur cette menace.

swissinfo: Les accusations du ministère public de la Confédération étaient-elles donc non fondées ?

JB: Sans connaître le détail des chefs d’accusation, je ne peux m’exprimer sur leur bien fondé.

En revanche, je constate que l’absence d’une définition précise d’Al-Qaïda et de son réseau contraint de soupçonner des activités qui sont le plus souvent anodines.

Prenons l’exemple des envois d’argent à des adresses peu identifiables. Cela donne l’impression d’une activité délictueuse, alors que dans tout le Moyen Orient, les gens s’envoient de l’argent, selon la “Hawala”, un système ancestral et flou pour des Occidentaux.

swissinfo: Est-ce cette méconnaissance du monde arabo-musulman qui explique que de nombreux procès contre des présumés terroristes débouchent sur des acquittements ou des non-lieux ?

JB: Effectivement. Il faut également noter l’hypersensibilité qui s’est développée à l’égard de tout ce qui pourrait ressembler à des formes d’extrémisme, notamment au sein de l’Islam.

Or tous les fondamentalistes musulmans, tous les islamistes ne sont pas des terroristes. Seule une toute petite fraction d’entre eux l’est.

De plus, les Etats-Unis ont tout fait, surtout depuis 2001, pour nous faire croire que la menace terroriste était dirigée contre l’Occident. Or les principaux attentats terroristes entre 1991 et 2001 étaient dirigés uniquement contre les Américains et, après le 11 septembre 2001, contre eux et leurs alliés en guerre en Afghanistan et en Irak.

Il n’y a donc pas de guerre contre l’Occident, mais une guerre entre les Etats-Unis et les islamistes, même s’ils agissent aussi en Europe.

De fait, les Etats-Unis ont très vite réalisé qu’ils avaient besoin de la coopération internationale pour déjouer des attentats. Pour obtenir une meilleure collaboration, ils ont poussé l’argument qu’il s’agissait d’une menace contre l’Occident.

D’où la crainte des pays européens d’être utilisés pour la préparation et l’exécution d’attentats terroristes. Une crainte qui ne relève pas uniquement de la paranoïa, puisque des entreprises ou des intérêts américains sont également présents chez nous.

Il est donc normal qu’en Suisse, nous ayons développé une vigilance particulière face à cette menace sur notre territoire.

Même si la Suisse et son territoire ne sont pas visés, il est également normal de vouloir empêcher que notre pays soit utilisé pour préparer un attentat ou de poursuivre les auteurs de tels préparatifs.

swissinfo: Les autorités judiciaires et policières de Suisse devraient donc changer de vision à l’égard du terrorisme islamiste ?

JB: Certainement. En surveillant des suspects, en les arrêtant parfois, la police fait son travail. Mais c’est bien au niveau de la compréhension que des changements doivent être apportés.

Il s’agit en effet de définir une politique cohérente à l’égard du terrorisme en commençant par ses causes. Or ces mécanismes-là sont encore très mal compris par les autorités suisses.

Interview swissinfo, Frédéric Burnand à Genève

En Suisse, cinq enquêtes ont été ouvertes contre des personnes soupçonnées de liens avec Al Qaïda. Le procès des sept prévenus qui s’est déroulé à Lugano constitue le premier cas de terrorisme traité par le Tribunal pénal fédéral.

Deux d’entre elles sont actuellement entre les mains de juges d’instruction fédéraux.

L’une concerne une cellule de terroristes présumés, démantelée en juin 2006. Ses membres sont soupçonnés d’avoir voulu planifier un attentat contre la compagnie israélienne El Al à Genève et sont impliqués dans une série de vols dont le butin allait à des organisations terroristes. Deux personnes sont toujours en détention préventive.

L’autre affaire touche des transferts de fonds suspects d’un Saoudien, ancien président de la fondation caritative “Muwafaq”. Le Ministère public de la Confédération a bloqué plus de 20 millions de dollars dans une banque genevoise. Les personnes impliquées dans ce dossier sont libres.

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