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«On ne fait que gérer les problèmes sociaux»

«En Suisse, on a surtout peur de la pauvreté», estime Angeline Fankhauser. swissinfo.ch

Depuis le 1er avril, les demandeurs d’asile déboutés sont privés d’aide sociale. Pour les mouvements de défense des droits humains, cette décision les mène tout droit vers la clandestinité.

On n’est pas loin de les affamer, estime l’ex-conseillère nationale Angeline Fankhauser.

Le durcissement de la politique d’asile résulte du programme 2003 de réduction des dépenses. Privés d’aide sociale depuis avril, les demandeurs d’asile déboutés reçoivent dorénavant une aide d’urgence forfaitaire de 600 francs par mois. Pas un sou de plus.

La Confédération veut ainsi épargner 15 millions de francs cette année et bien plus encore ensuite. La mesure doit aussi permettre de réduire l’attractivité de la Suisse aux yeux des requérants d’asile.

Cantons, villes et œuvres d’entraide se sont élevés contre ce durcissement. C’est aussi le cas d’Angeline Fankhauser.

Lorsqu’elle siégeait sous la coupole (1983-1999), la socialiste s’est constamment engagée en faveur des droits de l’homme et d’une politique d’asile humaine.

swissinfo: Vous n’êtes plus au Parlement depuis plus de quatre ans. Comment avez-vous vécu l’évolution de la politique d’asile?

Angeline Fankhauser: J’ai d’abord eu le sentiment que la politique d’asile disparaissait de l’agenda politique. Et j’observe maintenant durcissements sur durcissements. Peu à peu, l’optique des opposants à la politique d’asile devient une réalité.

Le mouvement de défense des droits humains vit caché. J’ai le sentiment que la politique d’asile est devenue une question purement bureaucratique. La nouvelle génération s’occupe de la guerre et de la terreur. La question des droits humains n’est plus vraiment sexy.

swissinfo: Depuis le 1er avril, les demandeurs d’asile déboutés sont privés d’aide sociale. Le gouvernement souhaite ainsi à la fois économiser et les inciter à quitter le pays. Comment réagissez-vous à cette décision?

A. F.: C’est grave. Lorsque j’étais au Parlement, il avait été question d’emprisonner les requérants déboutés pour faciliter leur expulsion. On avait rapidement dû constater que cette idée ne fonctionnait pas. Déjà du point de vue des droits humains, mais aussi parce qu’elle coûtait beaucoup trop cher.

Dorénavant, on s’y prend autrement. Je n’irai pas jusqu’à dire que l’on affame ces gens, mais on leur tire le tapis sous les pieds, en espérant qu’ils disparaîtront. Un désastre.

swissinfo: Les organisations d’aide aux réfugiés craignent que les demandeurs déboutés plongent dans l’illégalité. Qu’en est-il?

A. F.: Dans beaucoup de pays pauvres, on survit plus qu’on ne vit. Il est étonnant de constater combien la vie est ancrée dans l’être humain. Pour survivre, il trouve toutes les solutions possibles.

Ceci conduit à l’illégalité et représente également le début de la fin d’une société réglée. La politique d’asile n’a plus rien à voir avec les besoins réels des humains.

swissinfo: Les nouvelles mesures touchent les demandeurs déboutés. Avez-vous des doutes à propos des procédures aboutissant aux refus?

A. F.: Non, je crois que les procédures sont correctes. Mais les règles de procédure sont en général à côté de la réalité. Les politiques des migrations et de l’asile sont un défi de taille pour nos sociétés modernes.

On prône la mobilité, mais seulement la mobilité des riches, en fermant les yeux sur le fait que la grande majorité de la population est pauvre. Mais d’une façon ou d’une autre, la majorité fait sienne son bon droit. Il faudrait une bonne fois appréhender cette question à l’échelon international, d’un point de vue à la fois économique et humain, et chercher des solutions.

L’objectif fondamental reste bien sûr l’amélioration de la situation dans les pays d’origine des requérants. Qui a chez soi de quoi vivre ne fuit pas son pays.

swissinfo: Cela ne résout pas les problèmes de l’asile, du moins à court terme…

A. F.: Je suis d’accord. Mais comme pour tout en politique, il ne faut pas tout miser sur un seul cheval. Or, notre chemin est unilatéral, avec encore et toujours une politique de répression.

swissinfo: Une bonne partie de la population salue les durcissements en cours. Comment voyez-vous la chose?

A. F.: La discussion s’est enflammée autour des soit-disant «abus». Au départ, nous avons minimisé la question et assuré que ces «abus» n’étaient pas le point essentiel de la politique d’asile. Ce que j’affirme toujours. Mais nous aurions dû analyser la situation avec plus de précision.

Il y avait deux camps. Les gens qui ne parlaient que des «abus» et ceux qui voulaient développer une politique d’asile fondée, mais qui n’avaient plus les forces pour analyser de plus près ces abus. Et progressivement, dans les villages et quartiers, on n’a plus vu que les abus.

De nombreux étrangers sont arrivés chez nous avec des attentes très élevées. Ils se retrouvaient dans un pays de tous les possibles. Devant ce choc culturel, difficile pour eux de se comporter comme les gens de l’Oberland bernois ou l’Entlebuch l’attendaient d’eux.

Les demandeurs d’asile misaient beaucoup sur l’état de droit et la démocratie. Ils étaient souvent bien formés et se retrouvaient à travailler comme balayeurs ou serveurs. Chose qu’ils n’ont pas toujours comprise et ont parfois contestée. Ces comportements ont aussi été taxés d’«abus».

Beaucoup de Suisses n’ont pas accepté que ces gens prennent leurs droits au sérieux et qu’ils en fassent usage.

swissinfo: Pour la gauche et les mouvements de défense des droits humains, les abus étaient, et sont encore, en partie tabous. Cela a-t-il eu un impact?

A. F.: C’est difficile à dire. Sur cette question, la gauche est toujours sur la défensive. En regard des années trente, on entend peu les intellectuels parmi les réfugiés. Je crois qu’ils n’osent pas dire ce qu’ils auraient à dire.

On administre ces gens, on les loge, on les soigne et on les soumet à d’épuisant délais d’attente. Mais leurs besoins fondamentaux – la liberté de penser, l’épanouissement, l’utopie – ne sont contenus dans aucun programme.

swissinfo: Que dites-vous aux Suisses qui ressentent une crainte diffuse – violence à l’école, trafic de drogue?

A. F.: La criminalité est une réalité de nos sociétés. C’est un fait que les réfugiés en sont en partie responsables. Mais on ne peut pas généraliser. Je réclame des mesures contre la criminalité. Mais on ne peut traiter différemment les demandeurs d’asile sous prétexte qu’ils sont demandeurs d’asile.

Bien sûr, les requérants délinquants, je n’en veux pas. Le problème est qu’on ne peut les renvoyer dans leurs pays. Il faut voir qui sont ces pays qui exportent leurs criminels.

De façon générale, nous manquons d’outils qui nous permettraient d’améliorer l’intégration et la réunion des familles. Toute adaptation ne va pas de soi.

Lorsque j’étais enfant, dans les grandes villes, on avait peur des Fribourgeois et des Valaisans, des enfants pauvres surtout. J’y vois la confrontation entre pauvreté et richesse. Et face à cela, on n’a rien à proposer.

swissinfo: Voulez-vous dire que le problème de l’intégration est aussi une question de classe sociale?

A. F: J’habite dans une région où vivent des gens bien formés, en provenance d’Amérique. Etonnement, personne n’exige d’eux qu’ils apprennent l’allemand. Au contraire, dans les magasins du village, on leur parle en anglais.

On les côtoie avec respect, tout en reprenant certaines de leurs traditions, comme Halloween. C’est incroyable comme les Suisses s’y habituent rapidement.

Mais lorsque des Turcs veulent faire la fête, on enregistre rapidement des réclamations. Trop de bruit. Avons-nous un problème avec la religion de ces gens ou avec leur pouvoir d’achat? C’est ma question.

A l’époque, les Tamouls aussi ont été mal perçus. Dorénavant, ils sont élus avec un soutien confortable dans les parlements, à Lucerne par exemple. Lentement, ils se muent en entrepreneurs, montent dans la hiérarchie des entreprises, et sont donc acceptés.

J’ai le sentiment qu’en Suisse, avant tout, on a peur de la pauvreté.

Interview swissinfo: Andreas Keiser
(Traduction: Pierre-François Besson)

– Angeline Fankhauser a été députée socialiste entre 1983 et 1999.

– Partisans et adversaires lui reconnaissent compétence et crédibilité ainsi qu’un solide engagement social.

– Sous la coupole, elle fut présidente de la commission des institutions politiques et, à ce titre, très impliquée dans les discussions sur l’asile.

– Depuis le 1er avril, les demandeurs d’asile déboutés ne reçoivent plus qu’une aide d’urgence de 600 francs.

– Cantons, villes et œuvres d’entraide critiquent cette nouvelle réglementation.

– De son côté, la Confédération veut inciter les requérants déboutés à quitter le pays.

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