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Alberto Giacometti, les honneurs andalous

Plusieurs des œuvres de Giacometti exposées à Malaga rappellent les arts premiers. Fondation Giacometti, Paris / Succession Giacometti, VEGAP / ADAGP

A Malaga, Picasso accueille le peintre et sculpteur grison. «Alberto Giacometti, une rétrospective» réunit 198 œuvres du créateur suisse. L’exposition revient sur le parcours de ce dernier et propose une confrontation artistique entre deux grands maîtres du XXe siècle.

En 2009, il y eut «Giacometti l’Egyptien», puis en cet automne 2011, «Giacometti et les Etrusques». Et voici maintenant Giacometti et Picasso. De saison en saison, de pays en pays, et d’exposition en exposition, l’œuvre du maître grison ne cesse de faire l’objet de confrontations historiques.

Que reste-t-il donc de suisse chez l’auteur de L’Homme qui marche? «Tout et rien», affirme José Lebrero Stals, commissaire de l’exposition «Alberto Giacometti, une rétrospective», organisée par le Musée Picasso que Lebrero dirige à Malaga. Tout, parce que l’art du Grison fait partie de la culture alpine. Rien, parce que «la Suisse n’existe pas», s’amuse à dire José Lebrero, citant Ben Vautier. Traduisez: il y a autant d’Helvétie que de Suisses. Comme il y a autant de Giacometti que de cultures nichées dans son œuvre.

Pablo et Alberto, le Sud et le Nord

Le Kunsthaus de Zurich montrait, il y a deux ans, l’influence de l’Egypte ancienne sur l’art du sculpteur. La Pinacothèque de Paris expose jusqu’au 8 janvier 2012 les œuvres de Giacometti que la civilisation étrusque a inspirées. Et le Musée Picasso de Malaga revient aujourd’hui sur le parcours artistique du Grison, lui faisant faire un bout de chemin avec Pablo l’Espagnol.

Pablo et Alberto. Le Sud et le Nord. La Méditerranée et les Alpes. Deux pôles antinomiques comme le chaud et le froid. «Deux pôles qui s’attirent néanmoins, comme tout ce qui s’oppose dans la vie», dit José Lebrero; lequel insiste sur le but de son exposition: revisiter Giacometti en la compagnie de Picasso.

«Malgré leurs différences de style, malgré leurs divergences dans les questionnements existentiels, ceux-ci se rejoignent grâce à leur parcours de jeunesse, confie le directeur du musée. Tous deux sont nés de parents artistes, ont une formation académique équivalente et ont décidé de s’installer à Paris. Le choix de cette ville, périphérique à leur pays respectif, les a rapprochés non seulement dans l’espace, mais dans leur sensibilité esthétique, développant chez eux une admiration pour les maîtres anciens».

«La rencontre à Paris, est placée sous le signe de la modernité, poursuit notre interlocuteur. Qu’ils viennent de la mer ou de la montagne, les deux hommes se trouvent liés par une grande métropole, poumon de la vie artistique d’alors.»

Une fascination pour l’altérité

A Paris, Giacometti fréquente le Musée de l’Homme. Il s’intéresse aux cultures océaniques et africaines. «Une fascination pour l’altérité, très marquée chez l’artiste suisse», explique Lebrero. En témoignent quelques unes de ses sculptures, évocation lointaine des arts primitifs. Elles sont présentées à Malaga et font partie des 198 œuvres (huiles, dessins, statuettes, gravures, mobilier, textile…) rassemblées à l’occasion de cette rétrospective espagnole.

«La dernière exposition sur Giacometti organisée en Espagne remonte à 20 ans. Cela signifie que les visiteurs qui ont aujourd’hui moins de 30 ans ne connaissent pas le grand maître. Nous voulions en quelque sorte réparer un tort», se rassure José Lebrero.

Mais pourquoi le Musée Picasso de Malaga? Celui de Barcelone aurait pu tout autant accueillir l’artiste suisse. «A Malaga le public est différent, répond José Lebrero, c’est un public ‘balnéaire’ si je puis dire. Il n’est pas là expressément pour l’art ou la culture, comme à Barcelone. Lui mettre Giacometti à portée de main, c’est donc lui procurer la possibilité de connaître un artiste réputé difficile pour lequel il ne se serait pas forcément déplacé.»

50 francs et 100 francs

Développant une politique culturelle internationale, le Musée Picasso de Malaga tente de toucher un large public dans cette région très touristique d’Andalousie. «Nous avons déjà exposé les réalisations de très grands peintres, dont la Suissesse Sophie Taeuber Arp», précise José Lebrero.

Curieux hasard: Arp illustre notre billet de 50 francs et Giacometti celui de 100 francs. Le vert et le bleu. Sur le bleu, il y a d’un côté le Grison avec son regard cerné, et de l’autre côté son chef-d’œuvre, L’Homme qui marche. Y trouvez-vous un symbole, Monsieur Lebrero? «Oui, c’est le symbole de la vie en mouvement».

Mais encore? «Ah, reprend notre interlocuteur dans un rire, si c’est pour me faire glisser sur le terrain des finances, vous n’y parviendrez pas. Dans ce domaine, vous êtes très forts vous les Suisses. Nous autres, sommes assez occupés comme ça avec l’euro».

Bregaglia. Naissance dans le val Bregaglia, aux Grisons. Il est le fils d’un peintre impressionniste.

Genève. Alberto Giacometti commence à peindre très jeune et fréquente l’Ecole des Beaux-Arts de Genève.

 

Surréaliste. Il s’installe à Paris en 1922 et suit à Montparnasse les cours de sculpture d’Antoine Bourdelle, lui-même élève d’Auguste Rodin. Il sculpte alors des œuvres proches de l’abstraction où se sent l’influence des arts primitifs (Femme cuillère, 1926). Rapidement, il se joint aux surréalistes et réalise des œuvres explorant les tensions de l’inconscient sexuel avec souvent beaucoup de violence (Femme égorgée, 1932).

 

Nouvelle phase. A partir de 1935, l’artiste se concentre sur l’étude de la tête humaine, s’attachant plus particulièrement au regard. Giacometti commence alors une nouvelle phase esthétique: les membres des figures sont étirés jusqu’à l’extrême, et désindividualisent le modèle, parfois représenté dans l’attitude de la marche, en référence à L’Homme qui marche de Rodin, véritable défi au mode de conception de la sculpture. De même, les visages deviennent comme des lames de couteau (Le Nez, 1947). Il peint également des portraits et autoportraits où le regard est perdu dans un réseau de lignes qui emprisonnent la figure.

 

Reconnaissance. Après la guerre, son œuvre est saluée dans de nombreuses rétrospectives et obtient un grand succès: il reçoit le prix de sculpture à la Biennale de Venise de 1962, avant de s’éteindre en 1966.

«Alberto Giacometti, une rétrospective», est à voir au Musée Pablo Picasso de Malaga (Espagne) jusqu’au 5 février 2012.

L’exposition rassemble 198 œuvres (sculptures, huiles, dessins, textile, photos, gravures…).

Une vingtaine de photos et 166 œuvres proviennent de la Fondation Alberto et Annette Giacometti, Paris. S’y ajoutent des œuvres prêtées par des collectionneurs privés et par le Kunsthaus de Zurich.

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