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Bataille autour des armes à la maison

Pour beaucoup de gens, c'est dans un local approprié que doivent être conservés les fusils d'assaut. Keystone

La tradition suisse qui veut que les soldats conservent leur arme à la maison en dehors de leurs périodes de service militaire a de nouveau fait l'objet de tirs croisés au Parlement. Mais malgré les risques, la Chambre basse a refusé de conserver ces armes dans des locaux de l'armée.

Le sort de cette proposition était couru d’avance. Comme les sénateurs le 3 mars, les députés ont refusé lundi de donner suite à la pétition lancée par une école professionnelle de Höngg (Zurich), qui réclamait le dépôt des armes de service à l’arsenal.

Toutefois, l’écart se resserre: si 99 députés ont dit non, 82 ont dit oui et 9 se sont abstenus.

La pétition avait été lancée en 2007, après qu’une élève de l’établissement eut été abattue par un soldat qui venait d’achever son école de recrues. Précédemment, la Commission de la politique de sécurité de la Chambre basse avait également refusé de donner suite à une initiative parlementaire de la députée socialiste Chantal Galladé qui allait dans le même sens.

Invoquant le renforcement de la sécurité dans les lieux privés et public, la députée demandait une modification législative, afin que les soldats ne puissent plus conserver leur arme de service à leur domicile, mais qu’ils la déposent dans des locaux de l’armée.

Chantal Galladé rappelle que cette pratique typiquement suisse de garder son arme à la maison remonte au 19e siècle. Or d’un point de vue de politique de sécurité, elle est non seulement anachronique, mais constitue même un problème. En effet, «les armes militaires sont régulièrement utilisées pour tuer», affirme-t-elle.

300 morts par an

Selon une étude du criminologue Martin Killias, quelque 300 personnes meurent chaque année (qu’il s’agisse d’homicides ou de suicides) par le canon d’une arme de service. Une recherche de l’université de Zurich a par ailleurs montré que rendre l’accès aux armes à feu plus difficile réduisait le nombre de suicides.

En Suisse, on compte en moyenne un suicide par jour. Et dans la moitié des cas, c’est une arme de service qui est utilisée.

Mais toute idée d’enlever leur arme aux soldats divise le Parlement. La gauche et quelques représentants du centre y sont favorables, alors que la majorité de droite s’y oppose. Cette polarisation s’est répétée à la Chambre haute le 3 mars avec la motion – par la suite retirée – de la socialiste Anita Fetz qui demandait d’ôter la culasse des armes de service conservées à la maison.

Avant d’être retirée, cette motion a toutefois offert aux deux camps l’occasion de fourbir leurs armes en vue du futur débat sur l’initiative populaire «Pour la protection face à la violence des armes». Les opposants ont également pu tester le terrain pour évaluer l’opportunité d’un éventuel contre-projet.

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Initiative populaire

Ce contenu a été publié sur L’initiative populaire permet à des citoyens de proposer une modification de la Constitution. Pour être valable, elle doit être signée par 100’000 citoyens dans un délai de 18 mois. Le Parlement peut directement accepter l’initiative. Il peut aussi la refuser ou lui opposer un contre-projet. Dans tous les cas, un vote populaire a lieu. L’adoption…

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Le citoyen comme arbitre

Selon l’étude menée chaque année par l’Académie militaire et par le Centre de recherches sur la politique de sécurité de l’Ecole polytechnique fédéral de Zurich, il ressort que la proportion de gens qui estiment que l’arme de service doit être conservée à la maison est en constante diminution. Cette part est passée de 57% en 1989 à 34% en 2008.

Ce sont les jeunes et les femmes qui sont les plus hostiles à cette tradition. Mais les chercheurs ont remarqué que, depuis 2004, les personnes plus âgées doutaient elles aussi de plus en plus du bien-fondé de la conservation de l’arme de service à la maison.

Suite à de vaines tentatives au Parlement, une alliance formée du Parti socialiste, des Verts, du Groupe pour une Suisse sans armée ainsi que de diverses organisations féminines et de prévention du suicide a donc lancé une initiative populaire. Celle-ci demande la limitation de l’usage et de la diffusion des armes à feu, l’interdiction des armes de service à la maison et l’instauration d’un registre national et centralisé des armes.

Le texte, muni d’environ 107’000 signatures, a été déposé à la Chancellerie fédérale le 23 février dernier. Les citoyens seront donc appelés à s’exprimer sur la question.

Recherche d’un compromis

Le 25 février, le gouvernement a réaffirmé que sa décision de principe était de continuer à maintenir l’arme de service au domicile. Toutefois, la nécessité d’apporter quelques modifications aux dispositions en vigueur est désormais reconnue par le gouvernement aussi.

Ce dernier a chargé le ministère de la Défense (DDPS) de rechercher des solutions alternatives pour faciliter le dépôt des armes à l’arsenal et pour mieux identifier le potentiel de violence des personnes soumises au service militaire, de manière à éviter de laisser des armes à des individus à risque. Parmi les innovations, il y a aussi l’idée d’un permis pour ceux qui veulent conserver leur arme une fois leurs obligations militaires achevées.

Mais pendant que l’on discute encore au niveau fédéral, le canton de Genève est déjà passé aux actes. Depuis le 1er janvier 2008, ceux qui le veulent peuvent déposer leur arme d’ordonnance à l’arsenal. Et certains autres cantons s’acheminent dans la même direction.

Dans certains cantons, en revanche, de telles propositions ont été rejetées pour motif qu’il s’agit d’une compétence de la Confédération. Pour autant, le risque de se retrouver avec une mosaïque de dispositions cantonales augmente.

swissinfo, Sonia Fenazzi
(Traduction de l’italien: Olivier Pauchard)

Lundi, les députés ont dit oui du bout des lèvres, par 92 voix contre 90 et 7 abstentions, à la création d’un registre national des armes à feu. Une idée défendue dans sa motion par Joseph Lang (Verts).

On estime qu’il y a environ 2,3 millions d’armes à feu en circulation en Suisse, dont 1,7 million d’armes de service.

En moyenne, quelque 430 armes de service (pistolets et fusils d’assaut) sont perdues ou volée chaque année.

Tradition: la tradition de l’arme de service et de la munition de poche à la maison a été fixée dans la loi à la fin du 19e siècle.

Suicides: Suite à l’augmentation du nombre de suicides commis avec des armes militaires, la distribution de munitions a été suspendue en 1898. Elle a été réintroduite lors de la Seconde Guerre mondiale.

Polémique: la polémique a recommencé dans les années 1980 et, en septembre 2007, le Parlement a décidé d’abolir la munition de poche (avec cependant quelques exceptions).

Confiance: Il existe plusieurs demandes pour que les armes de services soient aussi bannies du domicile. Jusqu’à présent, ces propositions ont été refusées. En effet, pour la majorité de droite du Parlement c’est le principe de la confiance accordée au citoyen-soldat qui prévaut.

Opinion publique: en revanche, l’idée de ne plus permettre de conserver des armes de service à la maison fait son chemin auprès de l’opinion publique. C’est la raison pour laquelle les partisans de cette idée ont lancé une initiative parlementaire en ce sens.

Les sociétés de tir, qui comptent plus de 250’000 membres dans toute la Suisse, s’opposent à l’initiative.

Elles estiment en effet que son acceptation mettrait ce sport de masse en danger.

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