Fischli & Weiss, maîtres de l’équilibre, à Zurich

Avec «Questions et fleurs», Le Kunsthaus de Zurich présente la première rétrospective suisse du duo à l'humour aussi contagieux qu'universel.
Mais derrière le rire, les grandes questions surgissent. Et réenchantent le monde.
Ils sont les premiers artistes suisses à ne pas avoir dû s’exiler pour obtenir une reconnaissance internationale: près de 30 ans après leurs débuts, les Zurichois Peter Fischli et David Weiss, 55 et 61 ans, sont désormais célébrés «à la maison» par une véritable rétrospective.
Parcours joyeux et perturbant à la fois, l’exposition «Questions & Fleurs» est divisée en neuf espaces distincts mais, comme tout chez Fischli / Weiss, se faisant intimement écho en un miraculeux équilibre.
L’œuvre entière semble d’ailleurs en équilibre: entre l’universel et le particulier, entre le rire et le tragique, le savoir encyclopédique et la banalité quotidienne.
Le duo en a même fait une œuvre, avec sa série «Equilibres – un après-midi tranquille», composée de dizaines d’installations réalisées, sans colle ni artifice, avec des objets quotidiens.
Fleurs et aéroports
Mais ce sont deux autres séries, imbriquées dans un bel accrochage, qui ouvrent l’exposition: les fleurs et les aéroports, grandes vues apparemment banales d’avions du monde entier, plongent d’emblée le visiteur dans la magie Fischli/Weiss.
Derrière l’apparemment banal, l’enchantement surgit. «Ils ne brisent pas les tabous évidents de notre société, mais les petits stéréotypes de notre perception», a écrit, joliment, le magazine zurichois «Das Magazin».
«Ready-made» à l’envers
Et c’est bien notre perception qui est mise à mal dans une des œuvres les plus récentes, «Un travail non terminé» (2004-2006), qui est un «ready-made» à l’envers.
Car, contrairement à Duchamp, Fischli et Weiss n’utilisent pas des objets existants pour les placer au musée, ils les recréent en les sculptant patiemment dans du polyuréthane (bottes en caoutchouc d’enfants oubliés sur un chantier, pneus, palettes, outils…)!
Autre patient modelage: celui de la série «Soudain cette vue d’ensemble» (1981). En 1982, 300 de ces petites scènes en argile, aussi diverses que «le premier rêve analysé par Freud», ou «Mick Jagger et Brian Jones satisfaits en rentrant à la maison après avoir composé «I can’t get no satisfaction», avaient été exposés à Zurich. La rétrospective en contient une centaine.
Trois films
Chez Fischli et Weiss, la simplicité (apparente) ne dégage toute sa beauté que dans des ensembles. C’est évidemment encore plus vrai pour des films. Dès le début de leur collaboration, les deux artistes utilisent la pellicule, puis la vidéo et tournent trois films qui ont fait date.
Dans «La moindre résistance», déguisés en ours et en rat, Fischli et Weiss dissertent sur l’«art et la criminalité». Tourné aux Etats-Unis, le film utilise toutes les ficelles (musique, montage) du polar.
Détournement d’objets… et de questions
Le rat et l’ours se retrouvent ensuite dans «Le droit chemin», également projeté au Kunshaus. Les deux costumes sont exposés dans des vitrines opaques et noires, flottant dans une ambiance inquiétante.
Devenues œuvre, les deux vitrines sont la réponse donnée par les artistes à une amie qui leur demandait de reprendre leur costume dans le cadre d’une performance… preuve des incessants détournements opérés par le duo.
Regards d’enfants
La rétrospective ne pouvait pas faire l’impasse sur «Le cours des choses», film montrant des réactions en chaîne, entre flammes, liquides, chutes et glissades diverses de matériaux divers. Pour la première fois, les artistes ont également fait éditer un «making of» de ce travail, tourné par l’éditeur et cabarettiste alémanique Patrick Frey.
Ce documentaire permet de voir Fischli/Weiss à l’ouvrage, observant leurs enchaînements avec l’œil de l’enfant expérimentant une bêtise mais aussi avec le calme de l’adulte comprenant tout le sérieux de l’entreprise de son enfant…
Est-ce la raison pour laquelle Fischli et Weiss sont capables de poser plus de 400 questions comme «Pourquoi y a-t-il de mauvaises personnes?» ou «Devrais-je attaquer la Russie?», «Devrais-je chanter?» ou «Est-ce qu’on m’aime?»?
On peut le penser. La série de «Questions» leur a valu le Lion d’Or à la Biennale de Venise de 2003.
En utilisant des matériaux, des mots ou des scènes parfois insignifiants du quotidien, Fischli et Weiss donnent à chacun l’envie d’enchanter le monde – le duo épaule d’ailleurs de nombreux jeunes artistes. Mais, pour notre plus grand bonheur, ils le font mieux que personne.
swissinfo, Ariane Gigon Bormann
Peter Fischli et né en 1952 et David Weiss en 1946 à Zurich.
Peter Fischli a suivi une école d’art à Urbino et Bologne en Italie, tandis que David Weiss étudiait à l’école d’art de Zurich, puis la sculpture à Bâle avant de publier quelques livres.
Les deux Zurichois ont commencé à travailler ensemble en 1979, en réalisant la «Série de saucisses».
En 2003, ils ont reçu le Lion d’or de la meilleure œuvre de la Biennale de Venise.
En 2006,le prix Roswitha Haftmann, le plus richement doté en Europe, qui leur a été attribué.
«Questions & Fleurs», Rétrospective Fischli / Weiss, à voir au Kunsthaus de Zurich du 6 juin au 9 septembre 2007.
Cette rétrospective est une «invention» de Fischli et Weiss et de la commissaire d’exposition Bice Curiger, en collaboration avec la Tate Modern de Londres, où elle a été présentée pour la première fois entre octobre 2006 et janvier 2007.
L’exposition est légèrement différente d’une étape à l’autre. «Monde visible», 3000 dias sur une table de 30 mètres, n’était pas présenté à Londres ni à Paris, où elle avait fait halte jusqu’au mois de mai dernier.
L’exposition sera ensuite présentée à Hambourg.
Le livre accompagnant l’exposition, «Fischli/Weiss, Fragen und Blumen, eine Retrospektive» édité par Bice Curiger, Peter Fischli, David Weiss, Editions JPR Ringier, est disponible en allemand, français et en anglais au magasin du Kunsthaus.
Autre livre disponible au Kunsthaus: «Findet mich das Glück?», («Le bonheur me trouvera-t-il?»), Verlag der Buchhandlung Walther König, Cologne.
Distribués par T&C, les films de Fischli & Weiss sont en vente au Kunsthaus: «Le cours des choses» (1986/1987), «La moindre résistance» (1980/81) et «Le droit chemin» (1982/83).

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