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L’art pour lutter contre l’oubli

'Souvenir de Trébizonde - La récréation des élèves paysans', peut-on lire sur cette carte postale. SP

A l'occasion de «La Journée de la mémoire de l'Holocauste et de la prévention des crimes conte l'humanité», le Théâtre Saint-Gervais, à Genève, organise une manifestation culturelle d'envergure. Films, concerts, débats, lectures et une exposition sur les Arméniens de Turquie, avant le génocide.

Une nature paisible, souriante. Au milieu, une famille de paysans arméniens. La scène est champêtre, l’atmosphère allègrement recueillie, digne d’un tableau de Millet. Sauf que le tableau est ici une photo, et la scène un morceau d’existence arrachée à la Turquie. La Turquie ottomane au sein de laquelle vivait épanouie une communauté arménienne ignorant encore tout de son destin tragique: le génocide de 1915.

C’était donc un temps heureux, celui d’avant le crime dont témoigne une exposition présentée à Genève sous le titre «Mon cher frère». Soit cinq cents clichés et cartes postales et autant d’instantanés de vies – captés entre 1895 et 1914 – pour exprimer l’amitié et la reconnaissance envers les Arméniens de Turquie. Car ces artisans doués – bijoutiers, tisserands, photographes, éditeurs, pâtissiers… furent aussi des fabricants de l’Histoire.

Hommage

C’est à eux que rend hommage le Turc Osman Köker, commissaire de cette exposition qui redonne droit de cité à des hommes et des femmes dont la mémoire, toujours associée au génocide, a souvent occulté l’autre facette d’une vie. La vie active et prospère d’une communauté arménienne qui a largement contribué à l’évolution sociale, culturelle et économique de la Turquie.
«Mon cher frère» s’inscrit dans le cadre de la très vaste manifestation organisée par le Théâtre Saint-Gervais, à Genève, à l’occasion de la «Journée de la mémoire de l’Holocauste et de la prévention des crimes contre l’humanité».

Prévue par le Conseil de l’Europe, cette «Journée» est commémorée chaque année le 27 janvier. Et chaque année, depuis quatre éditions maintenant, le Théâtre Saint-Gervais, organise ce jour-là spectacles et débats. Mais cette fois-ci, le directeur des lieux, Philippe Macasdar, a vu grand. Il a voulu anticiper l’événement en programmant bien avant le 27 courant, exposition, films, concerts, rencontres et lectures autour du «passé traumatique» de certains peuples ou groupes ethniques. Le tout étant placé sous la thématique «Mémoires blessées».

En collaboration avec des enseignants et des historiens ainsi qu’avec le DIP (Département de l’Instruction Publique du canton de Genève) il propose donc, comme il nous l’explique «une interrogation, pendant trois semaines, sur les mémoires meurtries, non traitées, aussi bien dans l’Allemagne nazie ou l’Espagne franquiste, qu’au Vietnam ou en Algérie». Histoire d’articuler, dit-il, «plusieurs espaces de réflexion».

Cela va des films documentaires d’André Gazut (journaliste français, suisse d’adoption) à une conférence sur «La Haine de l’Occident», donnée par notre très national Jean Ziegler, en passant par une lecture-performance de l’Arménienne Nancy Agabian.

Hiérarchisation du souvenir

La journée du 27 qui clôt cette manifestation sera marquée par un débat important : «De la concurrence des victimes au partage des mémoires». Pour faire plus simple, on dira que le sujet abordé ici traite de la hiérarchisation des traumatismes. Est-on en droit d’accorder davantage de place ou d’importance à tel génocide ou tel crime contre l’humanité?

Nous avons posé la question à Charles Heimberg, professeur à l’Université de Genève et l’un des organisateurs de cette manifestation. «Il n’y a pas de prééminence dans les génocides et les douleurs qu’ils génèrent», répond-il. «Quelles que soient les victimes, leur souffrance doit être respectée et traitée de manière égale. Ce qui diffère en revanche, c’est le potentiel de témoignages. Si je prends la Shoah, par exemple, on peut dire qu’en la matière il y a péril, car toute une génération de témoins de l’Holocauste est en train de disparaître aujourd’hui. Se pose donc le problème de l’avenir de cette mémoire».

«Pour les Arméniens, poursuit Charles Heimberg, c’est déjà fait: les derniers témoins du génocide ne sont plus de ce monde. Et même si leurs enfants ou petits-enfants voulaient s’exprimer à ce sujet, leurs paroles n’auront jamais l’écho produit par celles de leurs aïeux. Il faut donc savoir gérer une mémoire, travailler à sa reconstruction ».

En attendant, demeure la foi dans l’art, comme cette exposition «Mon cher frère», reflet il est vrai fragile de l’identité arménienne, mais garde-fou solide contre l’oubli.

swissinfo, Ghania Adamo

«La Journée de la mémoire de l’Holocauste et de la prévention des crimes contre l’humanité» est prévue par le Conseil de l’Europe.
Elle se tient chaque année le 27 janvier.

Associé au DIP (Département de l’Instruction Publique), le Théâtre Saint-Gervais, à Genève, qui célèbre cette «Journée» depuis 4 ans, anticipe l’événement cette fois-ci, en organisant pour l’édition 2009, débats, concerts, performance, lectures, projection de films…

Du 7 au 27 janvier, il met donc à son affiche de nombreux documentaires signés André Gazut, des débats menés par des essayistes et historiens de renom, comme Jean Ziegler, Catherine Coquio ou Marianne Petit, des concerts et des chants interprétés, entre autres, par Armand Arapian et Vincent Leterne.

A noter également l’exposition «Mon cher frère», une collection de 500 photos et cartes postales sur les Arméniens de Turquie, avant le génocide de 1915.

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