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La favela, un enfer si proche du ciel

Pour Cidade de Deus, Fernando Meirelles a fait jouer leur propre rôle aux habitants des favelas.

Le Festival international de films de Fribourg a programmé douze longs métrages, dont le controversé Tropa de Elite, autour du phénomène des favelas. Hantés par la violence et la misère, ces quartiers déshérités ont permis au cinéma brésilien de se réinventer.

Cidade de Deus (Cité de Dieu, 2002). C’est ainsi que la municipalité de Rio de Janeiro a baptisé le quartier qu’elle a construit dans les années 1960 pour loger les habitants d’une favela plus au centre de la ville vouée de ce fait à la démolition.

Le jeune Buscapé, à qui tout semble désormais possible, y rêve de devenir photographe. Mais le changement de décor ne suffit pas à modifier les comportements.

C’est ce que montre le film éponyme signé Fernando Meirelles projeté au Festival international de films de Fribourg (FIFF) dans le cadre du panorama «Fábulas da favela».

Ainsi, lorsque la criminalité reprend lentement mais sûrement ses droits dans la Cité de Dieu devenue bidonville, ses habitants replongent dans une spirale infernale.

La même que connaît une bonne partie des «favelados», comme on surnomme ceux qui vivent et survivent dans les favelas. A Rio de Janeiro, ils constitueraient aujourd’hui près de 20% de la population urbaine, une estimation à prendre certes précautionneusement mais qui trahit l’importance du phénomène.

La créativité des favelas

Au Brésil, ce n’est que depuis les années 1960 que les favelas ont droit de cité sur grand écran. Dans le sillage du Cinéma Novo et de ses réalisateurs engagés qui ont fait descendre les caméras dans la rue, les cinéastes brésiliens ont en effet commencé à tourner dans les quartiers pauvres.

«C’était un sujet complètement nouveau. Comment raconter ce qu’est une favela? Jusque-là, les mélodrames romantiques copiés sur le modèle américain dominaient. Or en allant dans la favela, les cinéastes se sont rendu compte qu’il ne fallait pas l’utiliser comme un décor mais comme un corps vivant. La favela donnait l’exemple de l’inégalité de la société brésilienne et recelait aussi une très grande force créatrice», explique José Carlos Avellar.

Curateur du panorama et critique, il estime que la favela a aidé le cinéma brésilien à se réinventer, lui donnant davantage de consistance. Un film comme Cidade de Deus, tourné avec de nombreux acteurs non professionnels, atteint à cet égard une grande véracité, notamment au niveau des dialogues.

«’Il faut venir ici voir comment ils parlent. C’est complètement différent de ce qu’on avait écrit’, m’a dit Fernando Meirelles lors du tournage. Ensuite, il a corrigé le scénario», se souvient José Carlos Avellar. Pour lui, le mélange de documentaire et de fiction si caractéristique du cinéma brésilien doit beaucoup aux favelas et aux films qui ont été faits sur elles.

Quant aux films, ils ont joué un rôle dans la prise de conscience sociale autour des quartiers déshérités et de leurs habitants. En réduisant les préjugés et en montrant d’une part que la réalité des favelas n’est pas que noirceur puisque la misère et la violence y côtoient toujours la solidarité, le sens du partage et l’espoir. D’autre part en provoquant une réflexion autour des causes mêmes de la violence.

Drogue et corruption

Car s’il est faux de réduire la favela aux affrontements entre gangs liés à la drogue, José Carlos Avellar juge en revanche indispensable de s’interroger sur comment et pourquoi s’opère la prise de contrôle de ce type de quartiers par les narco-trafiquants.

«Les habitants le disent et le redisent, la drogue n’est pas fabriquée dans les favelas. Ce qu’il faut, c’est contrôler les aéroports, les douanes. Il existe aussi une relation indirecte entre les gens de la bourgeoisie qui ‘montent’ à la favela pour acheter la drogue, faisant semblant qu’il n’y a pas de lien entre consommation et violence», dénonce le critique.

Autre sujet de préoccupation pour les favelados, la corruption de la police. Plusieurs des documentaires projetés dans le cadre du panorama leur donnent la parole à ce propos et permettent de prendre la mesure de leur insécurité.

C’est le cas notamment de l’impressionnant Notìcias de uma guerra particular (Nouvelles d’une guerre privée, 1999). Tourné dans la favela Santa Marta contrôlée par les trafiquants, ce documentaire illustre le quotidien des habitants coincés entre les guerres que se livrent les criminels et la police, ainsi que les criminels entre eux.

Un film controversé

Le sujet est également au coeur du controversé Tropa de Elite (Troupe d’élite, 2007) de José Padilha, dont le FIFF a accompagné la projection d’un débat.

Ours d’Or au festival de Berlin en 2008 sous la houlette d’un jury présidé par Costa-Gavras, ce long métrage de fiction basé sur des faits réels a connu un immense succès au Brésil. Des copies pirates y ont circulé très tôt, dans les favelas notamment.

En Europe en revanche, certains ont reproché à ce film – qui raconte le combat sans merci engagé par le BOPE, le bataillon des opérations spéciales de la police militaire de Rio, contre les narco-trafiquants – son hyper-violence, son caractère prétendument fascisant et son esthétique trop proche de celles des clips vidéos.

Autant de critiques balayées par José Carlos Avellar: «Imaginez, ce film a d’abord eu du succès auprès d’un public qui n’a pas d’argent pour se payer le cinéma! C’est bien parce qu’il montre la réalité comme elle est, la vérité.»

Carole Wälti, Fribourg, swissinfo.ch

La 23ème édition du Festival international de films de Fribourg (FIFF) se tient du 14 au 21 mars 2009.
Une centaine de films, dont 80 longs métrages, sont au programme.
Quatorze films venus de 13 pays différents d’Asie, d’Amérique latine et d’Afrique se disputent le «Regard d’Or», doté de 30’000 francs.
Le budget du FIFF s’élève à 1,7 million de francs.

La «favela» est une plante grimpante (jatropha phyllacantha) qui pousse sur les collines de la région de Canudos et de Rio de Janeiro.

Ce mot est devenu synonyme de lieu d’habitation populaire après l’un des nombreux conflits qui ont marqué la naissance de l’Etat brésilien, la bataille de Canudos (1893-1897).

Installés durant cette bataille sur une colline appelée «morro da favela» à cause de la grande quantité de la plante favela qui y poussait, les soldats reprirent ce nom pour baptiser la colline où ils s’installèrent lors de leur retour à Rio.

Situé sur des terrains occupés illégalement, ce type de quartiers se caractérise par son insalubrité sanitaire et par des habitations construites à partir de matériaux de récupération.

Rio de Janeiro compterait entre 600 et 800 favelas qui rassembleraient le quart de la population urbaine.

Depuis une dizaine d’années, un programme municipal a été mis en place pour y améliorer le niveau sanitaire sans en dénaturer la spécificité, étant considéré que les favelas font partie de l’image de la capitale.

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