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Le cercle des poètes… apparus

Un texte d'Othon de Grandson, parchemin du 15e siècle.

Chessex, Cendrars, mais aussi Othon de Grandson ou Aymon de Montfalcon... Une «Anthologie de la poésie romande d'hier à aujourd'hui» paraît aux Editions Favre.

L’écrivain et ancien éditeur Rolf Kesselring s’est plongé avec délectation dans ce florilège romand et poétique.

Il y aura toujours des livres qui me surprendront quelque chose. L’émerveillement étant l’aliment le plus excitant que je connaisse pour le cerveau, je suis affamé de découvertes.

Et voilà que je me plonge dans un volume qui contient un monceau de poètes romands. Je me doutais, mais ne le savais pas vraiment, que, dans notre petit coin de pays coincé entre Jura et Alpes, des êtres ont écrit, sensibles et surprenants, des textes qui disent, crient et hurlent. Douleurs, souffrances intérieures, révoltes indicibles, le papier est toujours le réceptacle privilégié de celle ou de celui qui doit parler.

Pas de raton-laveur

Récemment, l’éditeur Pierre-Marcel Favre a publié un ouvrage assez peu ordinaire pour être signalé et commenté: «L’anthologie de la poésie romande», par Catherine Delafontaine-Küpfer & Jacques Küpfer.

Un pavé dans la mare de l’édition actuelle qui tente de survivre soit par des subventions, soit par la mise sur le marché de bouquins «sexy», comme le dit si bien un éditeur de ma connaissance. Et tout le monde sait, qu’à notre époque où le mercantilisme règne en maître absolu, la poésie n’est pas vraiment «sexy».

Pourquoi dis-je qu’il est «extraordinaire», cet ouvrage? Parce qu’il s’agit d’un inventaire. Pas celui de Prévert, non, mais celui d’un autre poète: Jacques Küpfer. Et, en plus, non content d’être un poète, il est un arpenteur d’espaces lointains. Pensez, il fut voyageur suivant la trace de Blaise Cendrars, mais aussi marin pourfendeur de houles infinies. Sans compter qu’il pratique le métier d’imprimeur, c’est-à-dire à dire visiteur de mot gravé sur papier de bon aloi.

Associé à Catherine Delafontaine-Küpfer, ancienne psychologue, et présentement mère de famille, il ont formé, taillé, sculpté, un pavé poétique tout à fait en dehors de l’ordinaire actuel des maisons d’éditions. Songez! Plus de cent vingt poètes répertoriés dans cet ouvrage! Tous apparemment romands! Qui disait que cette terre manquait d’imaginaire et de sensibilité?

Dès la fin du XIVe siècle…

Ma surprise est premièrement venue d’un certain Othon de Grandson (1330-1397) qui, paraît-il, jouissait de l’amitié de la célèbre et spontanée Christine de Pisan, cette Française née vénitienne, et qui, à cette époque, parlait si joliment d’amour.

Il côtoya, aussi Guillaume de Machaut, le méthodique. Bref, il fut l’ami des poètes qui comptaient. Personnage plus qu’étonnant, ce noble chevalier guerroya de l’Orient à l’Occident (Croisades, Guerres de Cent ans, etc.)

Cela ne l’empêcha nullement d’être un poète amoureux d’une rare sensibilité. En lisant ses textes, j’ai souvent pensé à ces troubadours occitans qui pratiquaient le ‘fin amor’ et l’art ‘de trobar’. Jugez:

«Comment serait que je fusses joyeux
Quand je ne vois ma très belle maîtresse
De qui me vient quanque j’ai de liesse
Par le regard de ses beaux riants yeux»

Pour vous donner l’envie d’aller jeter un coup d’œil à ces frères en passion et en imaginaire, il faudrait encore citer le chanoine Martin Lefranc (1410-1461), Aymon de Montfalcon (1443-1517), homme d’église, lui aussi, sans doute contraint, et parler de tous ces autres que j’oublie, faute de place, faute d’espace.

… jusqu’à celle du XXe siècle

Il faudrait que je puisse vous faire goûter aux beaux désespoirs d’un Nicolas Lambert ou d’une Danaé Panchaud.

Il faudrait, aussi que je vous livre les vers des très connus Jacques Chessex, Francis Giauque ou Henri Roorda, ce professeur lausannois, considéré comme un auteur «léger» par ses pairs, et qui écrira, le jour, où il se tirera une balle dans la tête (je cite de mémoire) «J’espère que le bruit de la détonation ne retentira pas trop fort dans le cœur d’une âme sensible».

À se demander si la dimension poétique n’est pas faite que de douleurs, de tourments et de supplices. À se poser sérieusement la question de savoir, comme dit l’autre, si vraiment «Il n’y a pas d’amour heureux»…

Pour la bonne bouche!

De mon métier d’éditeur, je dois avouer que j’ai gardé le regard du spécialiste; et même si l’élan m’emporte, je ne peux m’empêcher de remarquer les défauts techniques que contiennent tous les volumes publiés.

Cherchant mon ami Jacques Roman dans cet amas de poètes, juste pour voir si on lui avait fait une juste place, j’ai remarqué que la numérotation des pages indiquées comportait une certaine fantaisie.

Ensuite, mais sans doute que je deviens emm… avec l’âge, la classification par thème m’a troublé, dérangé. J’aurais préféré un beau désordre poétique, un enchevêtrement plus passionné. Lorsque le livre est trop sage, comme chez les femmes, me manque la folie qui nourrit le désir.

Sans oublier ces Français de France assimilés Romands pour faire bon poids!

Malgré cela, je redis mon plaisir de la découverte que j’ai ressenti en tripotant cet ouvrage que je vais garder, soyez-en certains, à portée de main, à portée d’esprit.

swissinfo, Rolf Kesselring

«L’anthologie de la poésie romande d’hier à aujourd’hui», par Jacques Küpfer & Catherine Delafontaine-Küpfer, est publié aux Editions Favre (640 pages).

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