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Le jour où mourut la clope

Plus qu'un geste... David Perriard

Le photographe David Perriard a décidé d'immortaliser la journée du 31 mars 2009, celle où pour le dernière fois, les Neuchâtelois purent fumer dans leurs bistrots favoris. Exposition à voir sur le lieu-même du délit, le «Chauffage Compris».

La «grande» Histoire récente, avec H majuscule, ne manque pas de témoignages. Que ce soit la signature des accords de Yalta ou les attentats du 11 septembre, pas de problème, les documents sont là, nous dévoilant les événements de face comme de profil.

Pour la petite histoire, celle qui se forge à travers notre quotidien, le tien, le mien et celui de votre cousin, c’est plutôt du côté des albums de photo familiaux qu’on peut la trouver. Et encore, en arrière-plan, en toile de fond des personnages qui constituent notre entourage.

Neuchâteloises, Neuchâtelois, que faisiez-vous le 31 mars dernier? Vous alliez, vous veniez, travailliez, mangiez, sans réaliser peut-être que ce jour était, d’une certaine façon, historique. Puisque c’est le 1er avril que la loi interdisant la fumée dans les lieux publics allait entrer en vigueur.

«Et alors?» diront les non-fumeurs et les médecins, en se réjouissant qu’enfin les lieux publics soient débarrassés de ces volutes désormais illégales et immorales. «Et alors, ça change tout», répondront les fumeurs et peut-être, même, les poètes.

Volutes

Retour sur les lieux du crime. «Appareils de chauffage et de cuisine», dit l’enseigne du lieu. Raison pour laquelle, vraisemblablement, ce café-restaurant neuchâtelois, sis Rue des Moulins, s’est baptisé «Chauffage Compris».

«Un bistrot que j’affectionne beaucoup, parce qu’il est très chaleureux et rempli de gens sympathiques. C’est presque ma deuxième maison», constate David Perriard en parlant de ce lieu qui allie couleurs pétantes et vieux bois dans une ambiance gentiment artistico-alternative. Le «Chauffage Compris» est d’ailleurs relié à un haut-lieu local de la culture qui décoiffe, le Centre d’Art Neuchâtel (CAN).

Narguant les clients d’aujourd’hui, les photos de David Perriard, élégantes, s’étalent sur les murs de l’établissement. Clopes. Cendriers. Mains. Briquets. Volutes.

«Je me suis dit que ce jour allait être historique: le dernier où on pouvait fumer dans les bistrots d’ici! Et j’ai de la peine à croire qu’on puisse revenir en arrière, ni à moyen terme, ni à long terme. Or il y a toute une esthétique autour du bistrot fumeur que j’avais envie de photographier pour faire de ce jour un jour particulier», se souvient le jeune photographe.

Gros-plans

«L’esthétique du bistrot fumeur»… Oui, elle existe. Pardon, elle existait. Grâce notamment à l’écran – psychologique et physique – que générait la fumée entre le regard et la réalité, celle du décor et celle des autres.

Mais là, étonnamment, David Perriard s’est fixé sur l’objet. Aucun visage, aucune représentation globale. Deux raisons à cela. Une bonne et une mauvaise. «J’aime bien travailler sur des gros-plans, qui permettent de faire ressortir des choses qu’on ne voit pas au premier abord», relève le jeune photographe, qui dit par ailleurs aimer «photographier des choses graphiques, au niveau des lignes et des couleurs».

«La deuxième raison… c’est un moyen de contourner le droit à l’image. Je n’avais pas besoin de faire signer des autorisations aux gens, ce que je n’aime pas faire. Aller vers les gens, faire signer, je trouve que ça manque un peu de spontanéité», dit-il.

Il faudra donc que David Perriard apprenne à «aller vers les gens». Ou à être moins honnête et à faire comme les artistes rodés, ceux qui savent parfaitement masquer la réalité technique sous des propos artistiques. Cela s’appelle de la communication.

A moitié plein, à moitié vide

L’esthétique du bistrot fumeur, disait David Perriard. C’est vrai: un pub londonien, un rade parisien avec ses mégots au pied du bar, et manifestement aussi un bistrot neuchâtelois, ne dégageront plus jamais l’ambiance qu’ils dégageaient auparavant. Ils dégageront autre chose, on peut s’en réjouir ou le regretter, mais c’est ainsi.

David Perriard, ex-fumeur, prétend d’ailleurs ne pas prendre position: «Mon exposition n’est pas un manifeste pour ou contre la fumée. A chacun ses opinions. Moi j’espère juste toucher les gens au niveau émotionnel».

Côté ambiance, y a-t-il un «Chauffage compris» d’avant l’interdiction et un «Chauffage compris» d’après? «Difficile à dire, parce que le printemps, l’été et ce début d’automne ont été très agréables sur la terrasse. Le facteur terrasse a fait tampon! C’est donc vraiment cet hiver qu’on va constater une différence. Il semble qu’il y ait quand même une baisse de fréquentation», répond David Perriard.

A noter que le 25 octobre, les manchettes du Matin Dimanche claironnaient: «Les non-fumeurs priés de venir au café!» Le journal relayait une annonce de l’association faîtière des restaurateurs valaisans, parue dans le quotidien Le Nouvelliste, qui disait ceci: «C’est volontiers que nous attendons les quelque 140’000 citoyennes et citoyens de notre canton» qui ont voté la loi antifumée. Cela leur permettra «de tenir les promesses faites durant la campagne, à savoir, fréquenter à nouveau nos établissements».

Mais laissons là le débat. Et sur la toile des photos de David Perriard, écoutons, en guise de BO, Catherine Deneuve murmurer à Serge Gainsbourg:

Tu n’es qu’un fumeur de gitanes
Et la dernière je veux
La voir briller au fond de mes yeux
Aime-moi nom de Dieu.


Bernard Léchot, Neuchâtel, swissinfo.ch

«Cigarettes» est à voir au café-restaurant «Chauffage Compris», Rue des Moulins, dans la vieille ville de Neuchâtel, jusqu’au 29 novembre.

Moutier. Il est né en 1978 à Moutier (Jura bernois). Etudes à Bienne puis à Neuchâtel.

Expo.02. Après avoir suivi des cours de photo au gymnase de Bienne (lycée), il «redécouvre» la photographie à l’occasion d’Expo02.

Mandats. Depuis, il a été exposé plusieurs fois et effectue des mandats divers (Pro Natura, Centre Dürrenmatt etc.)

Pompes à essence. Son prochain projet: une exposition consacré aux pompes à essence de la région.

Loi fédérale. La nouvelle loi fédérale visant à l’interdiction de fumer dans les lieux publics et de travail sera appliquée dès le 1er mai 2010.

Exceptions. La loi contient moult exceptions à l’interdiction de principe (établissements fumeurs, installation de fumoirs, contrat de travail spéciaux).

Règle minimale. Le régime fédéral sera la règle minimale à respecter, les cantons étant autorisés à édicter des réglementations plus sévères.

La réalité. Quinze cantons fixent déjà des conditions plus strictes que ce qu’imposera la Confédération.

Neuchâtel. Neuchâtel est devenu le 1er avril 2009 le premier canton romand à passer à l’acte dans le bannissement de la fumée des lieux publics.

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