«Le sentier des vaches», une ode à la Suisse alpine
Du «Ranz des vaches» aux «poyas», des chanteurs traditionnels aux peintres paysans, c’est toute une fresque que Jean-Théo Aeby dresse dans son film documentaire. Le cinéaste rend ici hommage au pays fribourgeois qui l’a vu naître. Sans clichés.
Dans le film de Jean-Théo Aeby, il n’y a pas de clichés, et c’est déjà énorme vu le sujet. Le sujet, c’est justement les Alpes et leurs plus illustres habitants, les vaches, qui alimentent toutes les idées reçues sur une certaine Suisse laitière et verdoyante. Qui servent aussi de décor aux cartes postales les plus banales, celles que Plonk et Replonk ont détournées au profit d’un humour surréaliste.
Il y a d’ailleurs du Plonk et Replonk dans cet inhabituel «Sentier des vaches» où la peinture et la sculpture occupent une place de choix. Où les «laitières» nourrissent le chant et l’art comme elles produisent le doux breuvage.
Du «Ranz des vaches» aux «poyas», des chanteurs traditionnels aux peintres paysans, c’est tout une fresque, immémoriale, qui se dessine en hommage à Fribourg et à sa région, y compris la montagne préalpine bien sûr, magnifique toile de fond du film.
BD, tissu ouvragé et cirque en fil de fer
Jean-Théo Aeby, cinéaste fribourgeois autodidacte, réalise ici son deuxième documentaire, en s’engageant, comme il l’a fait dans «La Ruelle des Bolzes», sur les sentiers de son enfance et de celle de milliers d’autres Fribourgeois qui se reconnaitront dans son film.
Chemin faisant, il a rencontré des armaillis, des agriculteurs, des chanteurs, des peintres, des sculpteurs, qu’il a interrogés avec la foi de celui qui croit en la noblesse d’une pratique paysanne, la montée aux alpages, immortalisée par les «poyas».
Les «poyas», ce sont ces grands tableaux naïfs qui ornent l’entrée des fermes dans le pays fribourgeois. Leurs vedettes sont les vaches, dont la montée vers les sommets serpente le long d’une route de rêve et s’apparente à une marche vers le nirvana.
Très vieille pratique suisse, déjà vantée par Rousseau, la peinture des poyas est aujourd’hui perpétuée par deux types d’artistes: les anciens, fidèles à la tradition, et les modernes qui s’en éloignent pour donner à leurs poyas d’autres formes de représentation. BD, tissu ouvragé ou cirque en fil de fer, façon Tinguely, apportent à cet égard un amusant témoignage. Sculpture-installation dans un cas, avec troupeaux en forme de figurines, et montée aux alpages sur crémaillère. Broderie sur chemise dans un autre cas, avec des vaches qui courent le long d’une étamine.
De figurines en grandes sculptures, les vaches se déclinent ici sous toutes leurs formes et leurs races. Aux côtés des Simmental et des Holstein, exhibées dans les fermes huppées, il y a la vache qui pleure, immense image brandie par des agriculteurs à qui l’on a retiré les subventions. Il y a aussi la vache modelée à coups de briques de lait par un artiste fribourgeois. Et il y a celle honorée par le «lyoba» (chant traditionnel des armaillis du canton de Fribourg) d’un merveilleux soliste.
Des vies simples, des propos simples
Chaque artiste commente son œuvre. Il y a des artistes connus comme Francis Oberson et Paul Yerly, et d’autres moins notoires dont les propos simples vous serrent la gorge. Simples comme ces vies paysannes que d’autres Suisses ont su peindre dans leurs écrits.
On ne citera pas les vénérables Ramuz et Chappaz. On pensera aux plus jeunes, comme Arno Camenisch, Blaise Hofmann ou Noëlle Revaz. Eux aussi ont leurs «poyas», illustrées respectivement dans «Sez Ner», «Estive» et «Rapport aux bêtes». Trois romans et autant d’odes à une Suisse méconnue où les pratiques ancestrales prennent, comme par magie, une consistance artistique.
C’est le cas dans «Le sentier des vaches», documentaire émouvant qui a déjà fait 12.000 entrées à Fribourg. Il est actuellement à l’affiche à Genève, après un passage à Vevey. Ce qui est une performance, car Jean-Théo Aeby assure lui-même la diffusion de son film.
Film documentaire de Jean-Théo Aeby, avec notamment Dominique Pasquier, Marc Pasquier, Francis Oberson et Michel Sapin.
Naissance. 9 octobre 1943.
Etudes. Il fait d’abord des études commerciales.
Animateur. De 1965 à 1970, il suit à Paris puis à Lausanne des cours d’animateur de loisirs.
Pub. Sa formation s’étend également à la publicité. Il dirige l’agence de publicité et d’événements APW à Belfaux, Fribourg, Neuchâtel et Sion.
Beaux-arts. Autres activités : il tient plusieurs galeries d’art et organise des expositions artistiques et thématiques durant 20 ans.
Cinéma. En tant que cinéaste autodidacte, il signe plusieurs films dont un portrait de l’acteur Jean Winiger intitulé «De la cour au jardin du monde», «La Ruelle des Bolzes» et «Le sentier des vaches».
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