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Les petits Icare de Guinée

Le portrait d'une jeunesse qui a juste envie de s'en sortir. Fiff

En compétition au Festival de films de Fribourg, «Un matin bonne heure» part d'un fait d'actualité pour raconter les espoirs de la jeunesse guinéenne.

Le réalisateur guinéen Gahité Fofana retrace les derniers jours de Yaguine et Fodé, retrouvés morts en 1999 dans le train d’atterrissage d’un avion.

«Excellences, Messieurs les responsables d’Europe (…) C’est de votre solidarité et votre gentillesse que nous vous crions au secours en Afrique». Un extrait de la lettre que Yaguine tenait dans sa main, le 2 août 1999.

Ce jour-là, Yaguine Koïta et Fodé Tounkara, deux adolescents guinéens, sont retrouvés morts dans le train d’atterrissage d’un avion de la compagnie belge Sabena, à Bruxelles.

«Ils sont partis au début des grandes vacances, mes deux amis. Ils ont tenté l’aventure parce qu’ils voulaient changer le monde», raconte la voix de Khessò, la petite vendeuse d’arachides, au début du film.

Le choix de la fiction

Frappé par le drame, Gahité Fofana a décidé de revenir sur les jours qui ont précédé la mort de Yaguine et Fodé pour leur rendre hommage. «A l’époque, on en a parlé en Europe. En Guinée, par contre, on a nié le fait», se souvient le réalisateur.

«Le gouvernement disait que ce n’était pas possible que deux enfants fassent un tel geste parce qu’ont vit très bien ici et que c’était à priori un coup monté de l’opposition ou l’Occident qui voulait critiquer la Guinée».

Pour raconter cette histoire, Gahité Fofana avait d’abord choisi de se lancer dans un documentaire. Il a commencé une enquête, cherché des informations auprès de la police guinéenne… Très vite, il s’est rendu compte que ce ne serait pas possible.

«C’était difficile de connaître la vérité. On me donnait à chaque fois une autre version des faits. En plus, l’enquête officielle, en Belgique et en Guinée, n’était pas terminée». Il décide alors de réaliser une fiction.

Portrait de la jeunesse guinéenne

Au final, ce qui appartient à la réalité, c’est la lettre, le départ en avion et le fait que Yaguine et Fodé étaient bons élèves et rêvaient d’étudier.

Le réalisateur a également voulu respecter le contexte social dans lequel vivaient les deux adolescents.

Tout le reste appartient à la fiction. Les autres personnages sont inventés. Ils sont là essentiellement pour dresser un portrait de la jeunesse guinéenne. Parmi eux, Salma, la sœur de Yaguine, et Khessò, sa petite amie. Deux personnages féminins qui montrent que, pour les filles, les choix de vie sont encore plus restreints.

Salma a quitté son village pour la capitale. On ne sait pas exactement de quoi elle vit, même si on le devine. Elle sort la nuit, dort le jour, porte de belles robes, et passe beaucoup de temps avec un homme marié, un escroc qui gagne pas mal d’argent.

Khessò, elle, est vendeuse d’arachides, parce que son oncle lui a dit de le faire. Elle a «14 ans, peut-être 15», elle n’a jamais su. Un jour, elle va épouser Yaguine. C’est son projet. «Un jour, je me marierai avec lui. Et on partagera ses diplômes».

Un projet: changer le monde

Fodé et Yaguine, eux, vont à l’école. Pendant les grandes vacances, ils aimeraient travailler pour pouvoir inscrire leurs petits frères à la rentrée. Mais une nuit sur le marché ne leur rapporte qu’une paire de tongs chacun.

Alors ils mangent des mangues, font de la musique, et regardent passer les avions. Leur grand projet se dessine petit à petit: ils veulent partir, étudier, grandir et changer le monde, pas seulement pour eux, mais pour tous les jeunes de Guinée et d’Afrique.

Ils aimeraient bien parler de leur projet autour d’eux. Mais à qui? A l’oncle qui se contente de répéter: «la vie, c’est la vie», à l’instituteur qui couche avec une élève pendant les grandes vacances…

Autour d’eux, peu de modèles. «Ils sont livrés à eux-mêmes, observe Gahité Fofana. Pour moi, c’était important de montrer qu’il y a un abandon des adultes dans l’éducation. Mais ce n’est pas pour autant que les jeunes deviennent des criminels. Au contraire, le plus souvent, ils ont juste envie de s’en sortir.»

Un matin bonne heure

Un jour, Yaguine et Fodé voient «le président des Français» à la télévision. Il est venu inaugurer un Centre culturel en Guinée. «Un truc de blancs pour les riches, commente Yaguine. Parce qu’ici, pour les pauvres, il n’y a rien, même si on est plus nombreux.»

«Progressivement, les deux adolescents se rendent compte que personne ne va pouvoir les aider et qu’ils doivent partir», commente le réalisateur.

Et c’est «un matin bonne heure» (comme on dit en Guinée) qu’ils vont s’envoler. Ils s’installent près de la piste d’atterrissage. Ils attendent l’avion qui les emmènera. La suite, on la connaît.

swissinfo, Alexandra Richard à Fribourg

– Né en France en 1965, Gahité Fofana a étudié la littérature et le cinéma à Paris. Aujourd’hui, il vit en Guinée.

– Le réalisateur s’est surtout distingué en tant que documentariste.

– C’est aussi à travers un documentaire qu’il voulait rendre hommage à Yaguine et Fodé. Mais l’enquête s’avère trop difficile et il décide alors de tourner une fiction.

– Présenté en première suisse au FIFF, «Un Matin Bonne Heure» a été coproduit par la chaîne Arte qui a prévu de diffuser le film (la date n’est pas encore fixée).

20e édition du Festival international de films de Fribourg (FIFF): 12-19 mars 2006
10 longs métrages et 9 documentaires en compétition
3 panoramas: le cinéma iranien et la guerre, le cinéma philippin numérique et un hommage à l’actrice brésilienne Helena Ignez

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