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Manigances putassières chez Harold Pinter

«Quelque chose des Borgia chez cette famille du West-End londonien». Hélène Göhring

Le célèbre auteur britannique est bien servi par d'excellents comédiens romands qui jouent à Genève «Le Retour».

C’est Philippe Lüscher qui crée au Théâtre du Grütli cette pièce salace de Pinter.

Une éclaircie apparaît soudain dans le ciel du Grütli, alourdi, hélas, la saison dernière, par une programmation un peu terne.

Et voilà que ce théâtre dirigé par Philippe Lüscher se met à scintiller, en ce début d’année, avec une pièce lumineuse parce qu’intelligemment montée par le maître des lieux.

Lüscher crée donc «Le Retour» de Harold Pinter, dramaturge britannique, né en 1930, mondialement connu. Un esprit brillant capable de donner au quotidien le plus banal la dimension d’un mythe.

Bourgeoise et pourrie

Il y a, en effet, quelque chose des Borgia chez cette famille du West-End londonien que l’auteur dépeint dans «Le Retour». Un professeur de philosophie, Teddy (Edmond Vullioud), revient après 6 ans d’absence à Londres, dans sa maison familiale où vivent son père, son oncle et ses deux frères.

Teddy est accompagné de sa femme Ruth, une pin-up qu’il avait épousée en secret et qu’il présente, sans crier gare, à ses parents.

Cette rencontre, sulfureuse, va fédérer les énergies négatives d’une famille à l’apparence bourgeoise, mais pourrie jusqu’à l’os. Tellement pourrie que l’un des frères, proxénète aux faux airs d’aristocrate (Raoul Teuscher, épatant), propose à sa belle-sœur un marché sordide: faire le trottoir en contrepartie d’un confortable appartement en ville.

Manigances putassières. Voilà donc Ruth prête à tapiner. Le mari, lui, peut aller se rhabiller, personne ne se soucie de son avis.

On voit le parti qu’un metteur en scène peut tirer d’une trame aussi salace. On peut en faire un vaudeville grotesque ou un boulevard vulgaire. Recettes qui marchent bien en général, mais qui, bien sûr, tuent l’esprit de Pinter.

Mystérieuse Barbie

Fort heureusement, on y échappe avec Philippe Lüscher qui fait de ce «Retour» un spectacle fielleux. Du fiel juste ce qu’il faut, bien dosé, pour empoisonner l’atmosphère. Pour créer aussi, façon film noir, un climat d’attente insoutenable.

Il faut dire que Sophie Lukasik -qui joue Ruth- y est pour beaucoup. Elle entretient le mystère, l’énigme. On jurerait que c’est Barbie lorsqu’elle débarque sur scène.

Oui, l’actrice a quelque chose d’une poupée, mais d’une poupée fantomatique. Elle parle d’une voix blanche, ses gestes et déplacements sont comme robotisés. On se demande pourquoi. Et puis on comprend.

On comprend que le metteur en scène fait de Ruth un personnage imaginaire. Un être échappé de l’esprit pervers de cette famille qui avait besoin d’un ressort pour activer ses pulsions sexuelles et criminelles.

swissinfo, Ghania Adamo

«Le Retour», de Harold Pinter, à voir à Genève, Théâtre du Grütli, jusqu’au 20 février.
Par La Compagnie X225, dans une mise en scène de Philippe Lüscher.
Avec Maurice Aufair (Max), Jean-Jacques Chep (Sam), Sophie Lukasik (Ruth), Sandro Palese (Joey), Raoul Teuscher (Lenny), Edmond Vullioud (Teddy).

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