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Miriam Tinguely, artiste qui a su se faire un prénom

«Phoenix - Aquarelles» c'est le titre de l'expo.. swissinfo.ch

L’artiste fribourgeoise présente une exposition de 50 aquarelles récentes à la Galerie Kornfeld de Zurich. Une occasion pour swissinfo.ch de rencontrer la fille de Jean Tinguely et d’Eva Aeppli. Portrait.

Miriam Tinguely «tient» elle-même son expo et vient ouvrir la porte de la galerie, sise dans une maison cossue d’un quartier cossu des hauts de Zurich. Intitulée «Phoenix», l’exposition fait directement allusion au légendaire oiseau de feu qui renaît de ses cendres, qui résume tout aussi explicitement les voyages extérieurs et intérieurs de Miriam, «fille de».

Des encres aquarellées, quelques pastels, pas de titres, mais des numéros. Assez petits, les formats aux couleurs douces tiennent tête aux hauts plafond du lieu imposant. Les grands murs blancs mettent en valeur la transparence et la profondeur des travaux sur papier regroupés en séries, formant une sorte d’écriture géante qui court d’une salle à l’autre.

Peindre des humeurs

Dessin, aquarelle, gravure. Une sorte de gourmandise pour le beau papier. Un travail minutieux, léger, intérieur. Il faut prendre son temps pour laisser l’émotion se dégager des lignes entrelacées et des couleurs douces. Rien à voir avec les trois dimensions bruyantes et joyeuses des «machines-à-Tinguely», ou les noirceurs textiles des marionnettes spectrales d’Eva Aeppli.

L’artiste travaille par séries, par strates: «Je commence par un dessin à l’encre, généralement deux formes avec quelque chose de noir pour donner une structure. Dualité, tension et interaction, ces deux formes doivent devenir ‘une’.» Grâce à l’aquarelle, rajoutée par étapes ultérieures, «parce que j’ai besoin de développer par impulsions et par moments».

«Je peins des états, des humeurs. Du bleu («tout ce qui est émotion»), du rouge («le cœur, quelque chose qui se passe, comme une blessure, une connexion») et de l’or («pour donner de la lumière et de la profondeur»). L’or ce sont aussi «des petits feux intérieurs, comme le phoenix en train de brûler». Mais tout en transparence, rien d’aussi flamboyant que l’iconographie traditionnelle de cet oiseau légendaire qui a le pouvoir de renaître de ses propres cendres, à l’image de l’exil multiforme de l’artiste.

Impossible de ne pas parler famille

Installée derrière un bureau trop grand pour elle, Miriam Tinguely a cet air d’être en visite des gens qui ont voyagé. «Je déménage beaucoup. Actuellement, je vis dans un espace minuscule. Je n’ai rien et je n’ai pas besoin d’objets pour me sentir en sécurité», raconte-t-elle d’une voix douce, qui reste parfois en suspens.

A 27 ans, elle est partie aux Etats-Unis, où elle a vécu pendant vingt ans. Aujourd’hui, à 61 ans, elle ne cache pas qu’il lui a fallu du temps pour apprendre à exister après une enfance passée chez ses grands-parents paternels, loin de parents qu’elle ne voyait que rarement. «Je devais partir le plus loin possible, et j’ai réussi, en tout cas géographiquement. Après, il a fallu me construire et ça a été un gros travail.»

Impossible de ne pas parler famille. Miriam parle beaucoup de sa mère, l’artiste bâloise Eva Aeppli. Mais en dit peu de chose. «Depuis mes 5 ans, elle m’a dit que j’étais une artiste. Elle m’a toujours poussée et soutenue, avec exigence.» L’art, la création: un terrain d’entente? «C’est possible…» Certainement un lien dans une relation forte et complexe.

Miriam raconte n’avoir rencontré son demi-frère aîné, le tatoueur Felix Leu (fils de l’architecte Hans Leu), que plus tard. «Nous étions très jaloux l’un de l’autre car chacun pensait que l’autre vivait avec notre mère.»

Ses relations avec son père ont également été épisodiques. «Il m’écrivait deux ou trois lettres par an. Plus tard, je lui téléphonais de temps en temps quand je venais en Suisse et, en général, il prenait le téléphone. On se voyait pour un café», se souvient-elle, avec une sorte de détachement. Pas de conversations intimes ni de confidences: «Nous avions une sorte de compréhension de base entre nous. De toutes façons, il ne parlait que d’art, il n’était que son travail.»

Un langage commun

L’art, c’est le langage de cette constellation familiale qui compte aussi Niki de Saint-Phalle, épousée par Jean Tinguely en 1971. Et Milan, né en 1973 d’une liaison avec la photographe Micheline Gygax, artiste lui aussi. Et Jean-Sébastien, fils posthume né en 1992 de sa dernière compagne, Milena Palakarkina, et qui songe à s’inscrire aux Beaux-Arts…

L’art, une fatalité alors? Pas du tout. Miriam l’a sciemment placé au centre de sa vie. «J’ai souvent voulu faire autre chose et ça a toujours raté. J’ai toujours peint et dessiné, et je n’ai jamais eu la stabilité émotionnelle pour faire des études. J’ai arrêté très tôt l’école et j’ai exercé des métiers qui me permettaient de gagner ma vie en faisant ce que j’avais envie.»

Ou alors l’art est-il un défi, une façon de se rappeler au souvenir de parents à la fois absents et encombrants? «Non, j’ai mon travail à moi qui vient de ma source, de moi, il n’a rien à faire avec Eva, Niki et Jean. Il n’y a pas de compétition parce que je suis partie là où je n’étais personne. Il m’a fallu me construire différemment. Le travail, la liberté dans mon travail, c’est ma base, mes racines, je n’en ai pas tellement, autrement.»

«Je suis libérée»

Revenue en Europe en 1998, Miriam Tinguely est aujourd’hui installée à Fribourg. «Au début, cela a été dur de revenir dans cette ville où Jean est si présent. Mais j’ai passé tant de choses que j’ai appris une certaine empathie, je ne crois pas être devenue amère, au contraire.»

Avec sa discrétion caractéristique, elle a participé à la commémoration des vingt ans de la mort de son père, en 2011. «Cela n’a pas été facile. Le film sur Jean m’a surprise, émotionnellement, mais j’ai très bien survécu. On réfléchit pourquoi, on comprend, on accepte. J’ai fait ce que je pensais qu’on attendait de moi, mais maintenant je suis libérée, parce que cela a été fait.»

1950: naissance à Bâle de la fille d’Eva Aeppli (1925, déjà mère de Félix Leu né en 1945) et Jean Tinguely (1925-1991). Elle est confiée à ses grands-parents paternels, Charles et Jeanne-Louise Tinguely et grandit à Genève, puis à Bulle. Ses parents divorcent en 1961.

Commence à peindre vers 15 ans. Fait un apprentissage chez le photographe Jacques Thévoz puis part pour un tour du monde en 1968.

1973: naissance de son demi-frère Milan, fils de Micheline Gygax, photographe.

1977: première exposition à Fribourg.

1978-1998: vit à San Francisco, où elle fait toutes sortes de métiers et commence à peindre de grands tableaux à l’huile.

1991: décès de Jean Tinguely et naissance de son fils posthume Jean-Sébastien (1992) avec sa dernière compagne, Milena Palakarkina.

1998: quitte les Etats-Unis pour s’installer à Paris, Bulle, Vevey, au Mont-Pèlerin (se convertit au bouddhisme), puis à Fribourg en 2009.

«Miriam Tinguely – Phoenix – Neue Aquarelle»: du 25 janvier au 11 février 2012 à la Galerie Kornfeld, Titlisstrasse 48 à Zurich. L’artiste fribourgeoise présente 50 nouveaux travaux sur papier, réalisés entre 2011 et 2012.

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