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Onze ans après le génocide, le Rwanda

L’une des 136 scènes de la vie ordinaire au Rwanda. Jean-Luc Cramatte

Le carnet d’un retour du Rwanda, «pays des ombres». Quatre écrivains et un photographe s’aventurent dans le quotidien où cohabitent survivants et génocidaires.

Jean-Luc Cramatte a pris ses photos à travers la fenêtre d’un taxi, derrière le chauffeur Théodore, d’où le titre: «Par-dessus l’épaule de Théodore».

«Je ne voulais pas mettre une couche supplémentaire à tout ce qui avait été dit, mais j’ai fait une sorte de voyage en atelier, un travail sur le terrain avec mon background» raconte Jean-Luc Cramatte.

Le photographe a découvert le Rwanda en 2004. Il accompagnait son ami journaliste David Collin, qui partait réaliser un reportage pour la Radio suisse romande pour le 10e anniversaire de la tragédie qui avait causé la mort d’environ un million de Tutsis.

«Pour moi, c’était surtout un projet sur l’Afrique. Je voulais montrer tous les signes, certains codes.» Cela n’a donc rien d’un travail d’historien.

«Au début, je marchais sur des œufs», confie-t-il à swissinfo. A Kigali, il a pris un taxi pour découvrir ce pays meurtri par le génocide. Il a commencé à prendre des photos à travers la fenêtre de la voiture, par-dessus l’épaule du chauffeur, Théodore. Un Hutu? Un Tutsi, personne ne le sait.

Une narration graphique

Et les photos se sont accumulées, presque banales: les rues, les maisons, les gens, le marché, des détails de vie. Aucune ne montre l’horreur mais toutes la rappellent.

«Derrière des apparences réparatrices qu’on voudrait rassurantes car porteuses d’une impensable réconciliation, chaque parcelle du quotidien rwandais inspire la méfiance», écrit David Collin.

Ces photos constituent une sorte de fresque, toujours cadrées dans la fenêtre, toujours avec l’ombre de Théodore. Cette fenêtre, qui, écrit David Collin, «nous donne à visionner les bribes d’un film sanglant. Tout protagoniste, forcément impliqué, y tient un rôle décisif».

Ce procédé a permis au photographe de maintenir une distance. «C’est devenu une sorte de long travelling, une narration graphique, explique Jean-Luc Cramatte. Une narration qui ne dénonce pas mais, sans aller dans un sens ou dans l’autre, qui montre certains détails qui font supposer que ce pays a connu l’indicible.»

A l’arrivée de ce curieux voyage en taxi, est né un livre conséquent de 156 pages et 135 photos.

Trouver des mots pour le désastre

Grâce à la pudeur explicite des images, «il a été possible de prendre langue» sur la tragédie, relève Caroline Coutau, éditrice du livre chez Labor et Fides.

Ce sont aussi les photos qui ont, au hasard d’une rencontre en France au retour du Rwanda, provoqué un déclic chez trois écrivains, qui ont rejoint David Collin: Bruno Doucey, Christian Doumet et Nimrod.

Intitulé «Les spectres», le texte de Nimrod prend un relief particulier parce qu’il émane d’un Africain. «Ces résidents des mille collines (Hutus et Tutsis mêlés) ont des allures de princes taiseux auxquels ne résiste aucun sortilège. Le génocide a aggravé un mutisme qui leur est naturel.»

«C’était l’Afrique qui était génocidée. Le Tchadien que j’étais à Paris s’est trouvé laminé par de telles images (de la TV).»

Pour Nimrod, les photos de Jean-Luc Cramatte, ne sont «ni saintes ni pieuses». Ce sont des «cartes postales envoyées du front» dépourvues d’esthétisme comme de foi. Pour l’écrivain tchadien, «le génocide rwandais a tué en nous le sentiment du sacré» et le livre devient un acte de réhabilitation.

Un éditeur courageux

Si le livre lui-même était une aventure, sa publication en constituait une autre. Le défi a été relevé par Caroline Coutau, aux Editions Labor et Fides à Genève. Lorsqu’elle a vu les photos, elle a été estomaquée «par cette démarche humble et juste».

Pour l’éditrice, ces images donnent une impression très différente de ce qu’on voit habituellement. «Ce sont les images d’un pays qui continue de vivre, où la vie quotidienne suit son cours, mais avec l’impression que les fantômes du génocide sont toujours là.»

Les Editions Labor et Fides ont fait un choix courageux, commercialement, en publiant «Par-dessus l’épaule de Théodore». Un choix qui a obtenu l’appui financier de la Migros, de la Loterie romande du Jura et de la Direction du développement et de la coopération (DDC).

swissinfo, Isabelle Eichenberger

«Par-dessus l’épaule de Théodore – Carnets du Rwanda», Editions Labor et Fides, mars 2005 à Genève. 156 pages, 135 photos couleur, 35 CHF.
Photographies: Jean-Luc Cramatte, Fribourg, Suisse.
Textes: David Collin, journaliste et écrivain suisse; Bruno Doucey, écrivain et directeur des Editions Seghers; Christian Doumet, poète et essayiste; Nimrod, écrivain tchadien vivant à Pairs.
Le livre a été tiré à 1000 ex. Il est distribué dans les pays francophones, y compris le Canada.

– Le livre a été présenté pour la première fois au Festival international de films de Fribourg (6-13 mars).

– Il fera l’objet d’une séance de signature le samedi 30 avril au Salon international du livre et de la presse à Genève.

– Une exposition sera présentée aux Journées photographiques de Bienne (3-26 septembre).

– Des expositions seront ensuite organisées, entre autres en France et au Rwanda.

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