Pierre Koralnik de passage à Soleure

Le réalisateur franco-suisse y présente «Le dernier refuge», un long-métrage de fiction produit principalement en Allemagne.
En 35 ans de carrière, c’est la première fois qu’il évoque la Shoah. Rencontre.
Que représente les journées de Soleure pour Pierre Koralnik, un homme qui a 35 ans de carrière cinématographique à son actif? «C’est une étape obligatoire pour un film suisse. Par contre, les conséquences sont difficiles à mesurer… Par rapport aux films que j’ai présentés ici, je n’ai jamais vu beaucoup de répercussions.»
Mais pour le cinéaste, «le festival se développe, et on souhaite qu’il y ait toujours plus de producteurs et distributeurs internationaux qui puissent s’intéresser aux films suisses.»
Pierre Koralnik a commencé sa carrière de cinéaste en 1967 en tournant «Anna», comédie musicale de Serge Gainsbourg, avec Ana Karina. Gainsbourg qu’il retrouvera, avec Jane Birkin cette fois-ci, pour «Cannabis», en 1970.
Depuis lors, il a accumulé les films. Documentaires, notamment avec ses «Portraits d’artistes», réalisés pour la Télévision suisse romande. Et également une bonne quinzaine de fictions, pour le cinéma ou la télévision.
Montage difficile
A Soleure, il présente un film qu’on a pu voir sur la chaîne Arte, «Le dernier refuge», «Das letzte Versteck» en version originale. Koralnik en allemand? «Cette fois-ci, je n’ai pas pu travailler avec mes producteurs français habituels. Il s’est trouvé que les principaux bailleurs de fonds étaient des producteurs allemands et polonais, avec une petite participation de la télévision suisse alémanique», répond-il.
Car malgré le passé de Koralnik, un film de ce type n’est pas aisé à mettre sur pied: «Il m’a fallu trois ans pour monter financièrement cette opération. Et avec beaucoup de difficultés.»
Et le cinéaste d’énumérer les objections qu’on lui a opposées: le sujet, pas assez grand public, ne plaît pas. Et puis, on a déjà vu tant de choses sur la Shoah… «Au vu de la réception qu’a eu mon film sur Arte, il me semble que c’est absolument le contraire», ajoute-t-il.
Voyage en enfer
«Das lezte Versteck» est l’adaptation d’un roman intitulé ‘le voyage’, d’Ida Fink, et tiré d’une histoire réelle.
Pologne, automne 41. A l’heure des razzias nazies, un médecin juif décide d’envoyer ses deux filles de 18 et 20 ans en Allemagne dans le cadre du «travail volontaire». La gueule du lion, l’ultime cachette? Katarzyna et Elzbieta vont s’exécuter, et, en masquant leur identité, tenter de se métamorphoser en paysannes polonaises et aryennes.
Voyage en fourgon à bestiaux. Allemands chiens de garde. Travail dans une usine de la Ruhr, sordide. Et toujours la peur, et la nécessité de tricher. «Comment trouver, si jeunes, le ressort qui permet d’établir le mensonge, de trouver des échappatoires à chaque instant. Le danger permanent. Parce que, à travers leurs compagnes d’infortunes, polonaises ou ukrainiennes, paysannes, elles sont très vite détectées comme juives, filles de la ville», explique Pierre Koralnik.
La menace se faisant plus précise, les deux jeunes femmes vont s’enfuir, traverser l’Allemagne ennemie, et aboutir sur un bateau à vapeur en approche du Lac de Constance. Leur espoir: la frontière suisse, symbole de l’accession à la liberté.
Echo personnel
Pierre Kloralnik est né en 1937 à Paris. Sa famille a fui la France, en provenance de Marseille, pour pénétrer en Suisse par la frontière genevoise. «Mon seul vrai souvenir, c’est le passage nocturne à travers les vignes», dit-il.
Bien sûr, la lecture du roman d’Ida Fink a éveillé chez lui des résonances personnelles: «Il est évident que le sujet me touche de très près. Mais c’est la première fois dans ma carrière que j’aborde le thème de la Shoah: les films que j’ai faits jusque là étaient très loin de ce sujet. Le prochain sera totalement immergé dans ce contexte de la guerre, des ghettos, de l’occupation nazie.»
Pierre Koralnik a-t-il une explication au fait qu’il a attendu si longtemps pour évoquer ce sujet? Le cinéaste s’en tient au factuel: «Ce sont les circonstances qui entraînent des choix. J’aurais pu m’intéresser à ce thème bien avant. Mais cela ne s’est pas trouvé.»
Télévision et cinéma
En 35 ans de carrière, Pierre Koralnik a signé de nombreuses fictions, pour le cinéma et pour la télévision. Aujourd’hui et selon lui, la distinction entre film pour le grand ou le petit écran a-t-elle encore un sens?
Sa réponse est claire: «Pour moi, aucun. Mais pour les distributeurs, oui. C’est un ancrage indélébile. Alors que techniquement, artistiquement, «Le dernier refuge», c’est du cinéma pur. Je ne vois pour ma part aucune différence, mais à vrai dire, je n’en ai jamais vu.»
Le film sortira dans les salles de cinéma suisses alémaniques au mois de mai. Pour la France et la Suisse romande, l’heure est aux pourparlers…
Signalons encore qu’un hommage sera rendu à Pierre Koralnik dans le cadre du prochain «Festival international du film sur l’art, à Montréal» (13-23 mars). Ce sont ses portraits d’artistes (Francis Bacon, James Baldwin, Denis de Rougemont, Wölfli, Peggy Guggenheim etc.) qui seront à l’honneur.
swissinfo, Bernard Léchot, Soleure

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