«Tartuffe», objet de culte et de répression

A Genève, le Français Dominique Pitoiset propose une nouvelle création de la pièce de Molière.
Intelligente, sa mise en scène donne à l’œuvre une portée politique en faisant glisser la figure du dévot vers celle de l’occupant.
Objet de culte et de répression: deux pôles entre lesquels oscille le «Tartuffe» de Molière, créé au Théâtre de Carouge dans la très intelligente mise en scène du Français Dominique Pitoiset.
A ces deux pôles font pendant deux décors. Primo, le fond de la scène où l’on devine, dans la semi-obscurité, une niche qui abrite le corps du Christ mort. Dans l’axe de cette statue reliquaire viendra se coucher, vers la fin, Tartuffe. Autre idole dont la puissance se fonde sur la crédulité naïve d’Orgon.
Deuzio, le devant du plateau où est placé une grande table recouverte d’une nappe blanche. Scène et cène autour de laquelle se déroule la majeure partie du spectacle.
Pitoiset a serré la pièce sur une situation intimiste: le repas familial, miroir de toutes les complicités et frictions domestiques. L’acte de manger se transforme donc en une grand-messe où la dévotion finit par céder la place à l’indignation, puis à la résistance et à la répression.
Au début du repas, la mère d’Orgon (Jane Friedrich), missel à la main, parle de Tartuffe, absent, comme d’un être exceptionnel, en train de devenir un saint.
Cette glorification intempestive est contrebalancée par les sarcasmes des enfants d’Orgon (Frank Semelet et Marie Druc), de son épouse (Nadia Fabrizo), de son beau-frère (Bernard Escalon) et de la suivante (Anne-Marie Yerly).
Ombre noire
Tous s’acharnent contre «les faux-monnayeurs en dévotion». Leur souriante coalition prête à Tartuffe la figure d’un monstre. Et c’est comme tel que ce dernier sera perçu du public lorsque au troisième acte il apparaît devancé de son ombre noire.
Nicolas Rossier, qui joue le rôle-titre, se montre d’autant plus inquiétant que crédible. Crédible dans son hypocrisie qu’Orgon, le maître des lieux, mettra du temps à déchiffrer.
Orgon, c’est l’excellent Laurent Sandoz. D’abord entêté, il joue seul contre tous. Ensuite lucide, il traverse avec une sorte de grâce les situations les plus humiliantes. Le comédien sait cultiver l’art du paradoxe qui lui fait admirer Tartuffe au début et le redouter à la fin, au point de lui opposer une résistance de militant.
L’ambition politique du spectacle réside justement dans cette opposition à un pouvoir malfaisant qui s’éloigne progressivement de la figure du dévot pour se confondre avec celle de l’occupant.
Le metteur en scène situe la pièce au XXe siècle, comme pour dire: «à chaque époque son Tartuffe». Le Tartuffe de Pitoiset, c’est donc le gouvernement de Vichy dont M. Loyal (Joël Aguet), en costume noir d’époque, est le meilleur représentant.
Il est ici le serviteur de l’occupant allemand que la famille d’Orgon, métaphore à la dernière scène d’une France soudée, repousse et réprime de toutes ses forces.
swissinfo/Ghania Adamo
«Tartuffe», Théâtre de Carouge (GE); jusqu’au 22 décembre. Tel: 022/343 43 43

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