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Thibault de Sade ou les bonheurs de la tribu

Quand Donatien François (vu par Man Ray) rencontre Thibault swissinfo.ch

Thibault de Sade, descendant direct du «Divin Marquis», était présent à Zurich pour l'inauguration de l'exposition «Sade/Surreal». Rencontre.

Qu’allait-on découvrir? Un être malsain au regard lubrique? Un satire démoniaque? Pas vraiment. Thibault de Sade, le port altier, se montre souriant et disponible. Et quand un visiteur lui demande si lui aussi est marquis, il répond tranquillement: «Vous savez, en France, les titres de noblesse ont été abolis à la Révolution. Et comme je suis profondément républicain… »

Thibault de Sade est l’arrière-arrière-petit-fils du Marquis de Sade. Et aujourd’hui le gardien tutélaire de l’œuvre. Question inévitable: face aux autres, a-t-il toujours été aisé de porter ce nom? «Cela ne m’a jamais posé de problèmes. Les gens étaient-ils respectueux, d’autres ignorants? En tout cas, je n’ai jamais eu de problèmes. J’aurais voulu en avoir, parce que la confrontation est toujours une excellente chose.» Le ton est donné.

Thibault de Sade va plus loin: «Je crois avoir beaucoup de chance de porter un nom comme ça. Mais la chance, comme tout privilège, demande qu’on se batte pour elle. C’est une forme de bonheur de pouvoir faire avancer la compréhension d’un homme, même si ce n’est pas facile: je ne suis pas d’accord avec tout ce qu’il a pu écrire.»

Et de préciser: «Cela a requis un cheminement. Mes parents nous ont appris à connaître Sade à travers ses lettres, et nous avons véritablement découvert un homme au quotidien, avec ses difficultés, ses peurs, ses triomphes. Et à travers cela, on a pu beaucoup mieux appréhender son œuvre».

Sade face à Sade

Au fil des salles du Kunsthaus, quel regard Thibault de Sade porte-t-il sur l’exposition zurichoise? «Je la trouve superbe, magnifique. Ce n’est jamais facile d’aborder Sade et encore moins Sade et les surréalistes. Cette exposition est très équilibrée, elle emmène le visiteur à travers les manuscrits vers des découvertes, elle permet aussi de montre toutes les facettes possibles… Donc elle est presque pédagogique, aussi étonnant que cela puisse paraître.»

«Il y a un aspect de rêve poétique dans cette exposition. Il faut se laisser porter, se laisser prendre, s’enfoncer dans chaque tableau. Ensuite c’est un peu comme avec la pensée de Sade: on n’en ressort jamais indemne. Mais dans le bon sens du terme: c’est-à-dire qu’on avance. Il ne faut pas rester stationnaire».

Au-delà de l’approche artistique, intellectuelle et politique qu’on peut avoir au cours de la visite, n’y a-t-il pas dans notre regard sur les œuvres présentées à Zurich une approche simplement et parfaitement voyeuriste? «Je n’en jugerai pas. Mais finalement, chacun, en voyant ces œuvres ou en lisant Sade, s’habitue petit à petit. Et se dit: cette extrême, je la vis aussi en moi.»

«Pour Sade, c’était très important. Il disait: attention, vous vous mentez à vous-même, dans votre inconscient ou votre conscient, vous allez au-delà de mes propres écrits. Donc soyez juste avec vous-mêmes, et sachez reconnaître ce qui est.»

Le troisième millénaire sera S.M. ou ne sera pas

L’époque semble donner raison à l’auteur de «Justine», puisque les clubs spécialisés et autres Donjons se multiplient. Et que même la mode et la publicité ont récupéré l’esthétique S.M. Quel regard porte-t-on là-dessus du côté de la famille Sade?

«Un regard très amusé. Ce qui importe pour notre famille, c’est que chacun aborde ça comme il le souhaite, mais en toute vérité. Donc qu’il y ait un détournement ne me dérange pas, du moment qu’on détourne l’imaginaire, mais pas la réalité de l’homme» murmure Thibault de Sade.

«Pour nous, c’est essentiel que l’on garde la réalité du personnage. C’était un homme, qui a eu une vie de cape et d’épée, faite d’aventures et d’évasions, mais c’était un homme, fondamentalement un homme. Et son œuvre est sorti de l’esprit de cet homme. Donc il y a une vérité à protéger: il a été fort, il a été violent, mais il a aussi été tendre et poète». Et le respect, sinon l’affection, brille dans les yeux de l’arrière-arrière-petit-fils.

Bernard Léchot

Sur l’exposition «Sade/Surreal» (au Kunstmuseum de Zurich jusqu’au 3 mars 2002), voir également l’article intitulé «Le cadavre exquis de Sade»

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