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Vous prendrez bien une cuillerée de sang frais?

Anaïs Emery, directrice artistique du NIFFF. swissinfo.ch

Le 8è «Neuchâtel International Fantastic Film Festival» se tient du 1er au 6 juillet. Rencontre avec sa directrice artistique, Anaïs Emery.

Le NIFF a une vision large du fantastique. On y croise l’étrange, la science-fiction, le merveilleux, l’humour… mais aussi l’horreur et le gore. A l’heure où les jeux vidéos violents attirent la réprobation publique et où le 7ème Art joue la carte d’une violence au réalisme parfois insupportable, Anaïs Emery apporte son regard sur la question.

swissinfo: Aujourd’hui, la violence crue a atteint les écrans grand public comme les séries télévisées. Quelle conséquence cela a-t-il sur le cinéma dit ‘de genre’?

Anaïs Emery: Il y a deux phénomènes concomitants. Effectivement, les films qui montrent des scènes de violence et de torture de façon très réaliste sont les films qui marchent le mieux. Pour illustrer cela, on peut évoquer trois films qui ont été produits en France cette année, «A l’intérieur», «Frontière(s)», et maintenant «Martyrs» de Pascal Laugier. Un vrai phénomène, puisque ce sont trois films qui foncent dans cette veine de l’escalade dans la représentation de la violence.

Par contre, parallèlement, on constate que dans le cinéma asiatique, l’attrait pour le surnaturel continue d’être très fort. Et puis qu’il y a un retour aux grandes icônes des années 70 et 80, les zombies, par exemple. Un cinéma plutôt burlesque qui est né d’un discours contestataire, à nouveau traité soit par les réalisateurs de l’époque, soit par leurs successeurs.

Le genre fantastique est en pleine effervescence. Mais c’est vrai que la dimension la plus visible, c’est ce cinéma du ‘torture movie’, qui est un phénomène nouveau. Et c’est ce que le grand public perçoit le plus du cinéma fantastique. Cela a donc une influence énorme sur les médias, la télé, et sur la production commerciale, qui sort de plus en plus de films de ce genre.

swissinfo: Quelle est votre relation à ce toujours-plus-loin, toujours-plus-horrible?

A.E.: Sans être vieille – j’ai 30 ans – je fais partie d’une génération de cinéphiles qui n’a pas vécu avec ça. Disons que c’est un cinéma que je ne méprise pas, mais que je ne peux pas consommer en grande quantité, parce que c’est un cinéma qui provoque des sentiments très forts. Par rapport au festival, ce n’est pas un cinéma prioritaire: ils ont du succès, ce ne sont pas des films qui ont besoin qu’on les défende.

swissinfo: Au fil des éditions du NIFFF, j’ai vu des choses superbes… et d’autres assez insoutenables. Vous mettez-vous des limites – morales – en matière de programmation?

A.E.: Oui. On a une certaine tolérance à la violence, avec des limites. Mais il n’y a pas que la violence qui soit en jeu : il y a des films qui ont un propos raciste ou homophobe, que l’on ne souhaite pas passer. Il est clair que dès qu’on touche à la morale, on touche à la subjectivité. Je suis une femme, j’ai un enfant, voilà, il y a des choses que je n’ai pas envie de montrer. Mais il est vrai aussi que s’il y a un festival en Suisse qui montre des films de violence ou d’horreur… c’est nous!

swissinfo: Le cinéma d’horreur a été longtemps la cible de ceux qui voyaient en lui une menace pour les jeunes. Aujourd’hui, la nouvelle cible semble être les jeux vidéos. Cela vous soulage d’un poids?

A.E.: Oui et non! Cela signifie que le cinéma devient anecdotique dans la culture des adolescents, que ce n’est plus le média N°1! Mais les frontières entre cinéma et jeu vidéo s’effritent de plus en plus.

Je sais qu’il y a un débat autour de l’idée d’interdire des jeux violents… C’est un sujet délicat. Mais je pense que, par rapport à un festival, tant que les films sont placés dans un contexte et qu’on a l’occasion de produire du discours autour des films, c’est bien qu’on ne soit pas soumis aux mêmes limites que celles qui touchent les distributeurs ou les exploitants de salles.

swissinfo: L’existence du NIFFF a-t-elle eu une influence sur la reconnaissance du genre fantastique par la profession et les médias en Suisse?

A.E.: Je crois que c’est une histoire de génération. Le festival a peut-être aidé des journalistes qui avaient les mêmes goûts que les nôtres à faire un «coming out», à oser dire qu’ils aimaient aussi le cinéma fantastique! Peut-être qu’on a su montrer aussi à certaines institutions de ce pays que le cinéma fantastique est vraiment un genre très diversifié.

swissinfo: Les 3 films à ne pas rater au cours de cette 8e édition du NIFFF?

A.E.: Le dernier film de notre invité d’honneur, Hideo Nakata, «L Change the World», projeté lors de la cérémonie de clôture. Egalement le dernier opus de Georges Romero, en compétition.

Et de manière plus large, je pointerais toute la production scandinave en compétition, en particulier «Let the Right One In», du Suédois Thomas Alfredson. Il y a une véritable nouvelle façon de raconter le fantastique qui est en train d’émerger dans ces pays. Une reprise des grands thèmes fantastiques comme la vie après la mort, le vampirisme, dans un langage très esthétisant.

Interview swissinfo, Bernard Léchot, Neuchâtel

Cinq compétitions (internationale, asiatique, courts métrages européens, courts métrages suisses, vidéo-art)

Trois rétrospectives («Profondo Giallo, the Golden Age of Italian Thriller and Horror», «Nakagawa Bobuo, le pionnier du fantastique japonais», et «Spain, Land of Fright»

Différentes projections spéciales

Un programme quotidien en plein air

Diverses conférences

Un symposium de deux jours (‘Imaging the future’) consacré aux liaisons entre arts visuelles et nouvelles technologies (2-3 juillet), avec, en collaboration avec la Maison d’Ailleurs à Yverdon-les-Bains, une exposition intitulée «Swiss Design in Hollywood».

Jury international: les réalisateurs Joe Dante (USA), Xavier Gens (F), Jens Lien (Nor), et l’écrivain Lucius Shepard (USA).

Invités d’honneur: le réalisateur japonais Hideo Nakata et le designer américain Syd Mead.

George Romero sera de retour à Neuchâtel pour présenter son dernier film, ‘Diary of the Dead’.

Aux 3 salles du cinéma Apollo s’ajoute cette année une 4e salle, au Théâtre du Passage.

Pour la 2e année consécutive, le NIFFF propose chaque soir une projection en plein air.

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