Voyage dans un Mezzogiorno bien loin de la Bella Italia
Dans son livre de photos Mezzogiorno, le photographe suisse Roger Wehrli se rapproche encore plus du sujet qui l’accompagne depuis de nombreuses années. Bien loin de l’Italie touristique, il nous montre le quotidien et la population dans la partie méridionale du pays.
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Thomas Kern est né en Suisse en 1965. Il a suivi une formation de photographe à Zurich et a commencé à travailler comme photojournaliste en 1989. En 1990, il a cofondé l'agence de photographie suisse Lookat Photos. Thomas Kern a remporté deux fois un World Press Award et a reçu plusieurs bourses nationales en Suisse. Ses œuvres ont été largement exposées et sont représentées dans diverses collections.
Nous regardons une route de montagne qui, après un virage, disparaît sur la gauche de l’image. La partie droite de la chaussée, déjà cahoteuse, s’est brisée et a dévalé la pente. La photographie de Roger Wehrli ne parle d’abord de rien d’autre que de ce glissement de terrain. Mais, en y regardant de plus près, on comprend que l’image n’évoque pas seulement une force de la nature, mais qu’il s’agit de la défaillance d’un pouvoir étatique absent et indifférent.
«En Italie, on a toujours la sensation que la situation se péjore, ou même qu’elle est sans espoir. Mais ensuite, les choses continuent, encore et encore», dit Roger Wehrli.
Les conséquences du marasme économique sont visibles en de nombreux endroits de l’Italie méridionale, c’est-à-dire dès le sud de Rome. Mais en Sicile, c’est plus évident encore: bâtiments industriels abandonnés, ponts fragiles, routes en ruine, des démolitions plutôt que des constructions.
Cela ne changera probablement pas avec le nouveau gouvernement, qui promet de faire passer la population au premier plan. Un tiers des familles de l’Italie méridionale sont considérées comme pauvres, contre seulement un dixième dans le nord du pays.
Roger Wehrli connaît ce qu’il photographie. La prise de vue est précédée d’un long processus qu’on peut appeler recherche, mais c’est peut-être aussi tout simplement la vie. Sa compagne est italienne, ses parents sont venus s’installer en Suisse pour y travailler et y rester.
«Plus on visite un pays, plus on a de questions», indique Roger Wehrli. Les réponses à ces questions, il les trouve par fragments au cours de ses voyages, en observant la vie des gens, ainsi que dans des conversations.
Les images de Roger Wehrli dégagent une impression de calme, en contraste total avec son sujet – si l’on imagine la discussion animée et le brouhaha des voix dans un bar sicilien. Son approche est caractérisée par la patience. Il ne cherche pas le spectaculaire; ce qui l’intéresse, ce sont les conditions de vie et le quotidien des personnes qu’il rencontre.
Paysage mafieux
Ce n’est pas immédiatement perceptible dans ses photos, mais nous sommes aussi dans un voyage le long des lieux d’origine de la mafia italienne: la ’Ndrangheta calabraise, la Cosa Nostra sicilienne et la Sacra Corona Unita des Pouilles.
Photographier à San Luca, mais aussi dans certaines zones de Sicile ou le soir dans les Quartieri Spagnoli de Naples ne demande pas seulement des compétences techniques, mais aussi du courage. Mais Roger Wehrli n’est pas du genre à se laisser bousculer. Il est profondément convaincu que documenter la situation permet de prendre conscience des choses – et dans le meilleur des cas de les améliorer.
Contenu externe
Les images du livreLien externe sont complétées par un texte de Leonardo La Rosa, un compagnon de route de longue date du photographe. Son essai est plus qu’une simple introduction aux photographies, il est le résultat d’une collaboration.
Voici ce qu’il écrit à propos du titre du livre: «Mezzogiorno – à un moment donné, le Midi, le Sud, est devenu quelque chose de pitoyable, d’arriéré, un non-lieu de l’incompétence et finalement de la criminalité. Aujourd’hui, le Mezzogiorno est le nom de code du pays que l’on quitte pour aller chercher fortune au Nord. Mais tout le monde ne part pas. Et ceux qui restent sont des gens durs, coriaces, qui n’ont certes pas oublié de rêver – mais qui posent sur eux-mêmes un regard amer et ironique».
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