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Dimanche au supermarché

Le dimanche reste un moment important pour la vie sociale. Keystone

Le jour férié traditionnel des sociétés chrétiennes remis en cause.

Les Eglises parlent d’une érosion du temps libre, là où l’anthropologue Fabrizio Sabelli voit un simple déplacement vers «ces nouveaux temples que sont les supermarchés».

«Que Dieu bénisse le septième jour et le sanctifie. Ce jour-là, Dieu se reposa de toute l’œuvre de création qu’il avait accompli». Le repos divin après la création du monde, décrit dans le livre de la Genèse, est à l’origine de la tradition monothéiste du jour du repos. Ce jour-là, l’homme se consacre à Dieu et s’affranchit du rythme quotidien du labeur.

Dès ses débuts, le christianisme s’est distancé de l’usage hébreu du «Sabbat». Il a choisi de célébrer ses cultes le dimanche, considéré comme le premier jour de la semaine et le jour de la résurrection, symbole d’un monde nouveau. Il a toutefois fallu attendre 321 après Jésus-Christ, date de la conversion de l’empereur Constantin, pour voir le dimanche promu jour férié officiel.

Dès lors, l’Eglise a eu une influence déterminante et durable sur l’organisation du travail dans les sociétés chrétiennes. Même si, au début de la révolution industrielle, l’interdiction de travailler le dimanche a souvent été discutée, la législation sociale qui s’est imposée durant le 19ème siècle a définitivement instauré le dimanche comme jour férié.

Une tradition qui s’érode


Aujourd’hui, le rôle du dimanche est à nouveau mis en question. L’Eglise a perdu passablement de son influence sur des sociétés de plus en plus laïques et pluralistes. Du coup, le dimanche n’a plus la même signification pour nombre d’individus.

De plus, l’économie contemporaine a largement fragmenté et individualisé les horaires de travail et de congé. Et l’industrie des loisirs et de la consommation offre aujourd’hui une multitude de possibilités pour occuper son temps libre.

Ceci étant, tout le monde ne voit pas d’un bon œil la «normalisation» du dimanche. Et pas uniquement pour des motifs religieux. Un sondage effectué il y a quelques années en Suisse alémanique avait révélé que 83% des personnes interrogées appréciaient beaucoup le dimanche même si 11% d’entre elles seulement allaient régulièrement à l’église.

Les Eglises chrétiennes sont évidemment hostiles aux dimanches ouvrables. Les catholiques et les protestants font campagne aux côtés des minorités orthodoxe et anglicane contre la modification de la loi sur le travail qui sera votée le 27 novembre et qui prévoit l’ouverture dominicale des magasins dans les grandes gares et dans les aéroports sans avoir à passer par une autorisation spéciale comme c’est le cas aujourd’hui.

Dimanche pour tous


L’appel des Eglises contre cette modification – dans laquelle les opposants voient un test en vue d’une libéralisation généralisée du travail dominical – ne s’adresse pas seulement aux croyants.

«Les Eglises jouent un rôle important dans la société. Elles ont le devoir de s’exprimer sur des thèmes qui touchent la vie en commun et la cohésion sociale», relève Thomas Wipf, président de la Fédération des Eglises évangéliques suisses (FEES).

«Le dimanche férié est une conquête sociale dont tous les travailleurs doivent pouvoir bénéficier, ajoute Thomas Wipf. Nous sommes convaincus que c’est une valeur importante, au-delà de sa signification religieuse. Hommes et femmes ont besoin de temps libre à passer ensemble et à consacrer à la communauté».

Mais n’y a-t-il pas un risque de museler une évolution sociale par des barrières juridiques? Thomas Wipf ne le pense pas: «un Etat démocratique a le devoir de préserver des espaces de liberté pour tout un chacun. Et également pour ceux qui ne peuvent pas décider librement s’ils doivent travailler ou non le dimanche. L’Etat ne peut pas tenir compte des seuls besoins de la consommation».

De l’église au supermarché


Mais la question peut aussi être vue sous un autre angle. Selon l’anthropologue Fabrizio Sabelli, le point central n’est pas tant d’assouplir l’interdiction de travailler le dimanche, mais plutôt le fait de substituer à d’antiques motifs religieux des mythes et des rites liés à la société de consommation.

«A dire vrai, la société n’est pas en train de se laïciser, affirme l’anthropologue. Elle est seulement en train d’abandonner la pratique religieuse au profit d’une autre pratique, celle de la consommation. Un rite en remplace un autre. Au lieu d’aller à l’église, la famille va au supermarché».

Fabrizio Sabelli constate que la réaction des Eglises peut dès lors être interprétée comme une réponse à une concurrence menaçante: «il ne s’agit pas seulement de prendre à l’individu le temps de se consacrer à des pratiques religieuses et sociales. C’est bien plus l’économie qui propose des mythes et des rituels pour remplir le vide laissé par les religions…»

swissinfo, Andrea Tognina
(traduction et adaptation de l’italien, Gemma d’Urso)

– Le Parlement fédéral propose de modifier ainsi la loi fédérale sur le travail:

– «Le travail dominical est autorisé dans les points de vente et dans les centres de services des gares à grand trafic considérés comme des centres de transport public ainsi que dans les aéroports.»

– Soutenus par les organisations ecclésiastiques et par de nombreux détaillants, les syndicats ont lancé un référendum contre ce qu’ils appellent une nouvelle tentative de démantèlement social.

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