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La Suisse économique dépasse les bornes

En partance de la région bâloise, transfrontalière par excellence. Keystone

Quinze des vingt-six cantons suisses sont frontaliers. Mieux, la Suisse économique déborde ses frontières, les régions limitrophes allemande, française et italienne drainant de riches investissements et des exportations dépassant celles vers les USA. Se dessine alors une Suisse plus grande que nature.

En prenant en compte les frontaliers et leur familles travaillant en Suisse, la Confédération compterait 9,5 millions d’habitants, relève Remigio Ratti, professeur d’économie des deux côtés des Alpes.

Dit autrement, la frontière est trompeuse. En réalité, l’économie de la petite confédération déborde largement sur les régions limitrophes allemande, italienne et française. Mais à des degrés divers.

Au nord et à l’est, le Bade-Wurtemberg et la Bavière sont des monstres économiques. Hauts-lieux de la production automobile, marchés plus vastes que celui de la Suisse, moteur économique, pour le premier, d’une Allemagne en crise: ils ne font qu’un avec la Suisse (alémanique d’abord).

«A l’échelle européenne, les deux voisins forment un seul tissu, une région économique très forte, où la frontière tend à disparaître», explique Daniel Heuer, responsable à la Chambre de commerce Allemagne-Suisse.

Cette imbrication est faite de concurrence et de complémentarité. Substituables donc rivaux, menuisiers ou jardiniers peinent à pénétrer le pays voisin. Par contre, les industries des deux régions trouvent des complémentarités dans la microtechnique et la microélectronique, par exemple.

Sur les deux milles sociétés suisses établies en Allemagne (approximation), plus de la moitié le sont dans cette région (Novartis, Swiss Re, Von Roll, etc). Les autorités des Länders concernés chiffrent les investissements directs suisses à plus de quinze milliards de francs.

Autre chiffre: la Suisse exporte autant vers le Bade-Wurtemberg et la Bavière que vers les Etats-Unis. Pour environ 20 milliards de francs par an. Cela va des produits de sous-traitance des PME pour l’automobile, aux machines, en passant par la chimie/pharma, les technologies médicales, les IT et le software.

Autant qu’à l’Inde

Dans sa partie ouest, la Suisse se love dans la région Rhône-Alpes, à qui elle vend presqu’autant qu’à l’Inde. De l’ordre de 2,3 milliards de francs par an, avant tout dans la chimie-plastiques, les équipements mécaniques, l’électronique et l’électricité, les produits métalliques. La Confédération est à la fois septième client et septième fournisseur de Rhône-Alpes.

Là aussi, les entreprises suisses ont étendu leur terrain de jeu au-delà de la frontière. Quatre cents seraient implantées dans la région française. Officiellement toutefois, on en dénombre une soixantaine employant plus de cinquante employés, indique le consul général de Suisse à Lyon. Migros y côtoie ABB, Staubli (machines textiles) ou Roche.

«On ne peut pas parler d’un même tissu industriel couvrant les deux côtés de la frontière, précise toutefois Michel Failletaz. (…) Le principe des bi-localisations est prêt sur le papier, mais n’avance guère sur le terrain.» Bi-localisations? Grosso modo, une entreprise peut avoir un siège et une succursale de part et d’autre. Un ensemble de règles permet de déterminer quelle part du bénéfice est imposé où.

La France principalement souhaite en effet éviter une surreprésentation des entreprises en Suisse quand bon nombre de travailleurs sont en France. Des travailleurs nombreux puisque 52’000 frontaliers hexagonaux travaillent dans la région de Genève et près de 25’000 Suisses établis en France voisine pendulent.

Une carte à jouer

«Ces régions limitrophes se rendent compte que leur avenir est dans plus d’échanges, explique Tony Moré, spécialiste au Secrétariat d’Etat à l’économie (SECO). Il est dans leur intérêt d’aller vers plus d’intégration pour bénéficier du dynamisme de la Suisse et attirer des activités à plus haute valeur ajoutée. Elles ont là une carte à jouer.»

Mais la Suisse est gagnante aussi. Avec ces régions – pôles économiques européens qui abritent aussi les plus fortes communautés de Suisses de l’étranger en France, Allemagne et Italie – l’économie suisse bénéficie de points d’appui facilitant les échanges avec ces pays.

Dans chacune de ces régions transfrontalières existent des instances intergouvernementales régionales pour, tant bien que mal, organiser et dynamiser la relation duale. C’est au Sud, entre le Tessin et la Lombardie, que celle-ci est la moins évidente.

Sur ce versant méridional des Alpes, environ 50’000 frontaliers italiens traversent chaque jour la frontière pour travailler en Suisse. 68% des importations suisses en provenance d’Italie viennent de Lombardie (6,3 milliards de francs). Une région où la Suisse écoule pour 5,2 milliards de francs de produits pharmaceutiques, de montres, de machines, produits métalliques et alimentaires. Sans compter les services financiers.

Des avis qui divergent

Comme les autres régions transfrontalières, Tessin et Lombardie participent au programme européen Interreg. Plus localement, la communauté de travail Regio Insubrica a entamé ses travaux en 1995. Plus qu’une barrière, la frontière est aujourd’hui une ligne qui unit Tessin et Lombardie, estime l’ambassadeur de Suisse en Italie. Un avis que conteste l’économiste Remigio Ratti.

«La Lombardie est une région de 10 millions d’habitants, dont 6 millions au nord de Milan. (…) Il faut sans cesse répéter ces chiffres pour convaincre que l’avenir du Tessin n’est concevable qu’en tant que territoire suisse au sein d’un grand espace métropolitain milanais. Mais dans la tête des gens, au Tessin comme à Côme ou Varese, la frontière conserve une fonction de séparation très forte.» Avec toutes les crispations identitaires que cela engendre.

Pourtant, s’il ne «gagne pas ce défi de la frontière», et sans aide de la Confédération pour y parvenir, le Tessin se condamne à la marginalisation, juge Remigio Ratti. A ce stade en tout cas, le tissu économique transfrontalier au Sud de la Suisse reste à construire.

Ancien député à Berne, le Tessinois confirme d’ailleurs les propos tenus récemment par Jean-Daniel Gerber, patron du SECO. Oui, le Sud de l’Allemagne, Rhône-Alpes et la Lombardie sont plus importants pour l’économie suisse que la Chine, les Etats-Unis ou l’Inde. Ils forment sa première proximité.

Mais Remigio Ratti s’emporte aussitôt. «Ces régions vont prendre plus d’importance et je trouve scandaleux le peu d’argent alloué par la Confédération et le Parlement aux projets Interreg. Les projets Interreg de dernière génération sont financés à 90% par l’Union européenne et les Etats voisins. Nous, nous ne sommes même pas capables d’en financer 10%!»

Chiffre. La Suisse compte environ 300’000 entreprises, dont 12% sont exportatrices et 5% dégagent plus du tiers de leur chiffre d’affaires à l’export.

Secteurs. Ses principales branches d’exportations sont, dans l’ordre, la chimie, les machines, l’horlogerie et instruments de précision, les métaux, les produits du secteur primaire, les produits énergétiques et les véhicules.

Investissements. La Suisse est le sixième investisseur à l’étranger, après la France ou l’Allemagne, mais avant l’Italie ou le Japon.

Employés. Les entreprises suisses emploient plus de 2 millions de collaborateurs à l’étranger.

Les principaux pays de destination des exportations suisses sont, dans l’ordre:

Allemagne
Etats-Unis
Italie
France
Grande-Bretagne
Japon
Espagne
Autriche
Chine
Pays-Bas

Interreg est un outil de promotion économique, touristique et culturelle initié au début des années nonante par l’Union européenne.

Sont soutenus des projets transrégionaux, et en particulier transfrontaliers, encourageant le dialogue entre les régions au sein de l’UE et les pays limitrophes. Dont la Suisse, qui participe par la biais de sa Nouvelle politique régionale.

Entre 2007 et 2013 (quatrième phase), la Confédération prévoit un investissement de 40 millions de francs.

Dans le cadre d’Interreg IV A, chacun des quatre quarts de la Suisse participe à une région transfrontalière:

Suisse-France (bassin lémanique et arc jurassien, 4,7 millions d’habitants)

Rhin supérieur (5 millions d’habitants)

Alpes rhénanes-Lac de Constance-Haut-Rhin (5,2 millions)

Italie-Suisse (4 millions)

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