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Sous pression pour suspendre les brevets des vaccins anti-Covid, la Suisse résiste

bannière de Médecins sans frontières devant le siège de l OMC
En mars 2021, l'ONG Médecins Sans Frontieres (MSF) avait déployé une bannière devant le siège de l'OMC à Genève, appelant les pays membres à soutenir la suspension des brevets sur les vaccins anti-Covid. Keystone / Martial Trezzini

Après le soutien des Etats-Unis à des suspensions provisoires de la propriété intellectuelle pour les vaccins contre le coronavirus, la Suisse est sous pression à l’OMC mais reste convaincue que ce n’est pas la bonne approche.

L’administration Biden a créé la surprise à l’Organisation mondiale du commerce (OMC) mercredi, en se déclarant favorable à des suspensions provisoires de la propriété intellectuelle pour les vaccins contre la Covid-19, dans le but d’étendre rapidement la distribution vers les pays en développement. A ce jour, environ quatre vaccins sur cinq ont été administrés dans les pays aux plus hauts revenus, contre seulement 0,3% dans les pays en développement.

Dès l’annonce de la représentante américaine au commerce Katherine Tai, de nombreuses voix, émanant notamment d’organisations internationales basées à Genève, ont salué une étape importante dans la réponse globale à la pandémie.

Ngozi Okonjo-IwealaLien externe, la directrice générale de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), s’est félicitée de cette proposition, tandis que le directeur général de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), Tedros Adhanom Ghebreyesus, qui milite depuis plusieurs mois pour un tel dispositif, l’a qualifiée d’«historique». L’alliance des vaccins GAVI, qui co-dirige le programme COVAX visant à assurer un accès équitable aux vaccins, a également accueilli favorablement la proposition.

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L’idée a été proposée pour la première fois à l’OMC par l’Inde et l’Afrique du Sud il y a sept mois, et s’est heurtée jusqu’ici au refus d’acteurs importants, en particulier des 13 pays membres de l’organisation qui composent le Groupe d’Ottawa – parmi lesquels l’Union européenne (UE), le Brésil, le Japon et la Suisse.

La pression sur ces pays est montée d’un cran avec l’annonce américaine, dont la portée symbolique ne peut être ignorée puisque les Etats-Unis étaient auparavant eux aussi réfractaires à cette idée.

La carte ci-dessous, relayée sur Twitter par le responsable médias Europe de l’ONG Human Rights Watch, fait le point sur les positions internationales en la matière:

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La position suisse n’a pas dévié

La Confédération, qui abrite les sièges de géants de l’industrie pharmaceutique, estime qu’une telle mesure ne garantirait non seulement pas un accès plus équitable aux vaccins, mais risquerait surtout de décourager l’innovation.

Dans une déclaration à SWI swissinfo.ch lors d’une réunion de l’OMC en mars, le gouvernement helvétique avait déclaré qu’il était «trompeur» de croire que la suspension temporaire des brevets se traduirait rapidement par un approvisionnement mondial en vaccins contre la Covid-19. Et avait ajouté: «La protection par brevet garantit qu’en plus du financement gouvernemental, les investissements privés nécessaires sont réalisés dans la recherche et le développement.»

Ce jeudi, le Secrétariat d’Etat à l’économie (SECO) a fait savoir que la suspension du cadre juridique international établi était toujours considérée comme une mauvaise approche, malgré l’annonce «significative» des Etats-Unis. Invité dans l’émission Forum de la RTS, le ministre de la Santé, Alain Berset, a estimé qu’il fallait «conserver des incitations» pour les producteurs de vaccins.

Le ministre de l’Economie, Guy Parmelin, a aussi rappelé que Berne préfère «soutenir clairement [les pays en développement] avec le programme COVAX». La Suisse se dit toutefois prête à «évaluer» la proposition américaine.

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Un «signal très négatif», selon la pharma

Du côté des entreprises pharmaceutiques, l’opposition est vive. Dans la même émission, Thomas Cueni, le président de la Fédération internationale de l’industrie pharmaceutique (IFPMA), basée à Genève, a déclaré: «Lever les brevets est la réponse simple, mais aussi la réponse fausse».

L’IFPMA réfute les arguments selon lesquels les brevets font obstacle à l’augmentation de la production. Pour l’association, les barrières commerciales, les goulets d’étranglement dans les chaînes d’approvisionnement, la rareté des matières premières et la réticence des pays à partager les doses constituent les principaux obstacles.

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Thomas Cueni a souligné que les brevets offraient «une certitude, un encadrement légal» aux entreprises qui investissent dans des projets de recherche risqués. «On a eu plus de 300 projets de vaccins au cours de la dernière année. Pas mal ont échoué, y compris en Suisse», a-t-il rappelé. «Pour la prochaine pandémie, nous aurons de nouveau besoin de firmes qui soient prêtes à investir à risque. Le signal en retirant les brevets est très négatif.»

René Buholzer, dirigeant de l’association des entreprises pharmaceutiques suisses Interpharma, a fait écho à cette position dans le journal alémanique Neue Zürcher ZeitungLien externe. Il faut des décennies et des millions d’investissements pour développer des vaccins et des traitements innovants, affirme l’industrie.

Étant donné que les entreprises suisses n’ont pas développé de vaccins contre la Covid-19 – et ne détiennent donc pas de tels brevets – la proposition de dérogation ne les affecte pas directement. Cependant, si une dérogation devait inclure des diagnostics ou des traitements, elle pourrait affecter des entreprises telles que Roche – un acteur clé dans le développement des tests Covid.

Roche a déclaré par e-mail à SWI swissinfo.ch craindre que «la renonciation aux brevets pour des produits pharmaceutiques difficiles à fabriquer, dans une situation de chaînes d’approvisionnement tendues, ne perturbe plutôt que ne facilite l’approvisionnement mondial».

Plusieurs pays ouverts à l’idée

Contrairement à la position suisse, la France et l’Italie ont exprimé jeudi leur soutien à des suspensions provisoires de la propriété intellectuelle pour les vaccins, tandis que la présidente de la Commission européenne, Ursula Von Der Leyen, a déclaré que l’UE serait ouverte aux discussions.

Le porte-parole de l’OMC Keith Rockwell a indiqué que le ton au Conseil général avait été moins tendu cette semaine que lors des précédentes réunions. «Toutes les parties veulent augmenter la production et améliorer la distribution équitable de vaccins, mais elles divergent encore sur les moyens d’y arriver», a-t-il dit.

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De leur côté, l’Inde et l’Afrique du Sud ont annoncé qu’elles réviseraient dans les prochains jours leur proposition pour tenter d’avancer vers le consensus requis pour faire adopter une proposition.

Selon Keith Rockwell, un groupe de spécialistes sur la propriété intellectuelle au sein de l’OMC devrait reprendre la proposition de dérogation lors d’une réunion «provisoire» plus tard ce mois-ci, avant une réunion formelle les 8 et 9 juin. Cela signifie qu’un accord final pourra être trouvé au mieux dans plusieurs semaines.

Le sujet du 19h30 de la RTS:

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