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Transocean face à un «procès monstre»

Deux ans après la marée noire, les équipes de nettoyage ramassent encore des galettes de pétrole sur cette plage de Floride. swissinfo.ch

Le procès de la marée noire causée par l’explosion de la plateforme pétrolière dans le Golfe du Mexique s’ouvre lundi. L’entreprise suisso-américaine Transocean et les autres compagnies impliquées encourent de lourdes pénalités financières. Mais un accord extrajudiciaire n’est pas exclu.

Près de deux ans après la catastrophe, les équipes de nettoyage sont toujours à l’œuvre sur les plages  du Golfe du Mexique. Dans l’ouest de la Floride, swissinfo.ch a pu observer que des galettes de pétrole d’environ 4 cm de diamètre sont encore rejetées par la mer.

Deux employés de nettoyage, qui s’expriment sous couvert de l’anonymat parce qu’ils sont rémunérés par BP et parce que la compagnie exige qu’ils ne parlent pas aux médias, trouvent des galettes «tous les jours».  Épuisettes à la main, ils arpentent les plages pour les ramasser.

Plus près du site où la plateforme possédée par Transocean et louée par BP a explosé, George Barasich, patron-pêcheur louisianais, déplore que «sur 25 espèces de poisson, 9 seulement se sont complètement remises et 4 ont totalement disparu». «Il y a encore de la pollution un peu partout, surtout à Grand Isle où il y a beaucoup de pétrole» , dit-il.

Lors du procès qui s’ouvre à La Nouvelle Orléans, le juge fédéral Carl Barbier devra estimer à la fois les dégâts constatés en 2010, ceux qui persistent et ceux qui pourraient apparaître plus tard. Auparavant, il déterminera la cause du désastre et répartira les responsabilités entre BP, Transocean et leurs sous-traitants.

Définir les responsabilités

BP et Transocean ont refusé de répondre aux questions de swissinfo.ch. «Nous ne donnons pas d’interview», affirme Guy Cantwell, directeur de communication de Transocean, géant mondial des plateformes pétrolières dont le siège est en Suisse.

Une source proche de Transocean affirme cependant que le contrat que l’entreprise avait avec BP limite sa responsabilité aux employés tués et blessés dans l’accident. Cette source qui veut garder l’anonymat ajoute que le pétrole craché par le puits relève de la seule responsabilité de BP.

Durant la procédure préliminaire devant le juge, Transocean a même soutenu que sa responsabilité se limite au prix de sa plateforme, soit 23 millions de dollars. Mais pour Aaron Viles, porte-parole du Gulf Restoration Network, coalition d’associations écologistes du littoral,  «Transocean est clairement responsable aux côtés de BP ».

Ed Sherman, professeur de droit à l’université Tulane à La Nouvelle Orléans, précise que la loi adoptée après la marée noire de l’Exxon Valdez, en Alaska, «rend BP responsable pour le montant total des dégâts faits par le pétrole», mais que, si le magistrat conclut qu’une «faute grave» collective a causé le désastre, «Transocean devra payer plus que 23 millions».

Un procès monstre

Le procès est le plus important dans l’histoire du droit de l’environnement aux Etats-Unis. Jane Barrett, spécialiste de la question à l’université du Maryland, le qualifie même de «monstre à plusieurs têtes».

«C’est un procès bien plus lourd que celui d’Exxon, parce que l’aire d’impact de la marée noire est plus large dans le Golfe du Mexique, qu’il y a eu perte de vies humaines sur la plateforme, que beaucoup plus de parties sont potentiellement responsables et qu’après l’Exxon Valdez, les amendes et dommages-intérêts que les responsables de marée noire encourent ont été augmentés», explique Jane Barrett.

Cette juriste et son collègue de l’université Tulane pensent que ce procès-monstre durera «plusieurs mois», voire «des années avec les appels». Ils jugent donc aussi qu’un accord extrajudiciaire, possible à tout moment en droit américain, est  «très probable». La source proche de Transocean qui communique avec swissinfo.ch appelle d’ailleurs BP à un accord extrajudiciaire avant le procès. Elle suppute que, vu les décisions rendues par le juge  dans la phase préliminaire, une faute grave risque d’être imputée à BP lors du procès, ce qui affaiblirait sa position dans des négociations ultérieures.

Consciente que les pénalités pourraient quadrupler si le juge la tient responsable d’une faute grave, BP a déjà signalé, par la voix de son PDG, qu’elle pourrait conclure un accord à l’amiable.

Dépôt de bilan?

Pour les victimes de la marée noire et pour le rétablissement de l’écosystème, un tel accord permettrait une aide au montant certain car non soumis à appel, indique le professeur Sherman. L’inconvénient, prévient néanmoins le professeur Barrett, est que «dans un accord extrajudiciaire, aucune partie n’admet de culpabilité ».

En Floride, Matthew Villmer, qui représente une centaine de victimes, préfèrerait que BP soit tenue pour responsable principal du désastre par le juge. Pour des raisons bien concrètes. «Si Transocean était reconnue responsable à 80%, je crains qu’elle dépose le bilan car elle n’a pas les dizaines de milliards de dollars qu’il faudrait pour indemniser. Mais BP, elle, a de quoi payer», calcule cet avocat.

Me Villmer note en tout cas que «les gens du littoral sont aigris, et envers BP, et envers Transocean parce que nos plages ont encore besoin des équipes de nettoyage».

BP était concessionnaire du puits Macondo et louait la plateforme Deepwater Horizon à Transocean.

20 avril 2010: explosion de la plateforme au large de la Louisiane

19 septembre 2010: puits bouché

Bilan: 11 morts, 17 blessés, la plus grande marée noire de l’histoire des Etats-Unis

Janvier 2011: rapport de la commission présidentielle formée par Barack Obama qui accuse BP et Transocean de «négligence» ayant mené à une marée noire qui était «évitable».

Il doit débuter le 27 février à La Nouvelle-Orléans devant le juge fédéral Carl Barbier. Il Déterminera la part de responsabilité dans le désastre de BP, Transocean et leurs sous-traitants

Le montant des pénalités et des indemnisations que les entreprises devront payer y sera fixé.

Plaignants: gouvernement fédéral, gouvernements des quatre États concernés, des centaines de milliers de victimes (individus et entreprises), une myriade de collectivités locales.

Un accord extrajudiciaire peut intervenir à tout moment

Transocean est numéro un mondial du forage off-shore.

Fondée aux Etats-Unis, Transocean a transféré son siège à Zoug en 2008.

Il compte 18’000 employés dans une vingtaine de pays.

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