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Eteignez les lumières, qu’on voie le ciel !

C'est beau une ville la nuit (ici, Bâle), mais ça manque d'étoiles. Keystone

L'homme moderne ne voit plus les étoiles. Il les a noyées dans la lumière artificielle dont il inonde villes et campagnes - et qui perturbe aussi la vie animale. Pour l'Année mondiale de l'astronomie, quelques clubs d'amateurs organisent ce samedi des opérations «ciel noir».

Les Anciens y avaient vu des animaux fabuleux, des dieux, des déesses et des héros. Avant même de comprendre leur nature, ils savaient que les étoiles ont des couleurs et que les planètes suivent des trajectoires compliquées. Et pour eux, la Voie Lactée était une giclée de lait échappée du sein de Vénus – d’où son nom.

En 1992, l’UNESCO a déclaré le ciel nocturne patrimoine mondial de l’humanité. Pourtant, qui – même sans connaître leur nom – peut encore distinguer Véga, Altaïr, Orion, Andromède, les Gémeaux ou le Cygne ?

Avec toute la lumière que l’homme projette vers le ciel, celui-ci n’est plus qu’un halo jaunâtre, dont émergent seuls les astres les plus brillants – une vingtaine au mieux, alors qu’on pourrait en voir 3000 par nuit noire.

Poètes lésés, astronomes exilés

«Tous nos ancêtres ont pu voir les étoiles et aujourd’hui, on ne les voit plus. La pollution lumineuse prive le poète d’une source d’inspiration millénaire, mais c’est aussi une perte pour tout le monde», constate Arnaud Zufferey, qui fut l’un des initiateurs de l’association Dark-Sky en Suisse

Frustrante pour chacun – en admettant qu’il sache ce qu’il a perdu -, cette quasi-disparition des étoiles est carrément handicapante pour ceux qui ont l’habitude de les voir à travers un télescope. Et qui, même avec cet instrument, les voient de moins en moins bien.

Astronomes amateurs et professionnels vont désormais chercher le ciel noir de plus en plus loin. Si les montagnes deviennent le refuge des premiers, les seconds ont quitté depuis longtemps les coupoles installées à proximité des universités et n’auront bientôt plus que les îles (Canaries ou Hawaii), les hauts plateaux du Chili, ou… l’espace.

Aimer la lumière à en mourir

Et ce n’est pas tout: si elle perturbe le sommeil et très probablement d’autres fonctions vitales chez l’homme, la lumière artificielle a des effets carrément dévastateurs sur certains animaux – surtout les insectes.

C’est par eux qu’Arnaud Zufferey a commencé à s’intéresser au problème durant ses études de biologie. Plus tard, master en sciences de l’environnement en poche, il est devenu un des rares spécialistes suisses de la pollution lumineuse..

«Les lampadaires attirent les insectes nocturnes, explique-t-il. Et ils vont soit passer toute la nuit à tourner autour et finir par mourir d’épuisement, soit se faire manger, notamment par les chauves-souris, qui ont pris l’habitude de chasser autour des lampadaires».

Une pollution de plus

A cette véritable hécatombe d’insectes (la lumière artificielle serait aujourd’hui leur deuxième cause de mortalité) s’ajoutent les perturbations dans les migrations des oiseaux et la reproduction des batraciens et des poissons et même dans la croissance des végétaux, qui ne sont pas «programmés» pour recevoir de la lumière 24 heures sur 24.

«Bien sûr, il ne faut pas isoler la pollution lumineuse des autres, explique Arnaud Zufferey. Elle ne fait que s’ajouter au bruit, à la pollution de l’air, de l’eau, la destruction des habitats, l’urbanisation croissante. Tous ces facteurs de stress s’additionnent pour aboutir à un déclin global de la biodiversité».

La pollution lumineuse, par contre, a ceci de différent des autres qu’il suffit de tourner l’interrupteur pour qu’elle disparaisse complètement.

15% d’économies potentielles

Sans aller jusque là, certains politiques commencent à se soucier du problème. En octobre de l’année dernière, Arnaud Zufferey a été élu à l’Exécutif de sa ville de Sierre – 15’000 habitants, au centre du Valais.

Il s’y occupe de développement durable et de la gestion d’une orientation écologique qui vaut à la commune depuis quelques années déjà le label européen Cité de l’Energie, également porté par quelque 170 autres localités suisses.

«Dans une ville comme la nôtre, 90% de l’éclairage nocturne est public, explique le conseiller communal. Aussi visibles soient-elles, les enseignes commerciales ne sont pas le gros du problème».

C’est donc sur l’éclairage des rues et des monuments que doit porter l’effort. Aujourd’hui, il représente encore 30% de la facture d’électricité d’une ville comme Sierre. Et Arnaud Zufferey est persuadé que l’on peut en économiser la moitié, soit faire baisser la note de courant globale de 15%.

Comment ? D’abord en optimisant, en remplaçant les boules qui éclairent surtout le ciel et un peu le sol par des réverbères directionnels, en n’éclairant plus les monuments de bas en haut mais de haut en bas et en remplaçant les anciennes ampoules ou lampadaires par des modèles moins gourmands.

Il ne s’agit donc pas de refaire des rues des villes les sombres coupe-gorges qu’elles étaient il y a 100 ans, mais simplement d’éclairer là où c’est nécessaire et également d’éteindre la lumière aux endroits et aux heures ou plus personne ne passe.

Sans compter qu’un éclairage rationnel et moderne confère aux villes bien plus de caractère que le «bruit de fond lumineux» qui y règne souvent aujourd’hui.

Changement en marche

«Il y a trois ans, j’avais demandé à l’association Cités de l’Energie si elle voulait faire quelque chose pour l’éclairage public. On m’avait répondu qu’en gros c’était l’avant-dernier de leurs soucis, qu’il y avait bien plus de potentiel d’économies dans les bâtiments», raconte Arnaud Zufferey

«Mais depuis, poursuit le conseiller communal, on a eu des chiffres qui montrent que c’est bien plus que ce que l’on pensait. L’association a organisé un premier séminaire sur l’éclairage public, et c’est maintenant un thème qui va être de plus en plus suivi».

Zurich et Genève ont déjà adopté leur «plan lumière» et Lausanne y pense. Au niveau européen, la Slovénie a été le premier pays à se doter d’une loi sur le sujet et la question se discute un peu partout.

«Même si on n’en voit pas encore les effets, je pense que le changement est déjà bien amorcé», conclut Arnaud Zufferey.

Marc-André Miserez, swissinfo.ch

Dans le cadre de l’Année mondiale de l’astronomie, plusieurs occasions de découvrir les merveilles du ciel sont proposées ce samedi 12 septembre, surtout en Suisse romande.

Les soirées ont lieu à Genève, St-Imier (dans le Jura bernois), Arbaz (Valais), Vevey, Yverdon-les-Bains, Morges (canton de Vaud), ainsi qu’à Chiasso (Tessin) et à Zoug, qui accueille la Journée suisse d’astronomie.

Toutefois, le ciel ne sera véritablement noir (et encore) qu’à St-Imier et à Yverdon, les autorités locales ayant accepté d’éteindre momentanément tout ou partie des lumières publiques.

Programme détaillé: suivre le lien Site suisse de l’Année mondiale de l’astronomie ci-dessous

Cette petite commune de 2600 habitants, tout au sud du Tessin, est engagée depuis quelques années dans une lutte énergique pour le développement durable.

S’agissant de la lumière, tous les anciens lampadaires ont été remplacés et l’éclairage publicitaire et celui des bâtiments sont éteints de minuit à l’aurore.

Avec d’autres, cette action a valu à Coldrerio le Watt d’Or 2008 (catégorie «société»), décerné par l’Office fédéral de l’énergie, en récompense pour les meilleurs performances énergétiques.

Quel est le potentiel d’économies réalisables sur l’éclairage nocturne? Question encore sans réponse, tant sont diverses les sources de lumière et les solutions techniques et politiques.

Dans une motion parlementaire déposée l’an dernier, le député socialiste Stéphane Rossini affirme, en se basant sur les statistiques officielles, que l’éclairage nocturne consomme chaque année en Suisse quelque 470 gigawattheures, soit 15% de la consommation totale d’électricité du pays.

Selon le motionnaire, des mesures appropriées permettraient de réduire cette consommation de moitié.

La motion n’a pas encore été traitée au Parlement, mais le Gouvernement – bien qu’acquis à l’idée – propose de la rejeter pour une raison formelle: en Suisse, ces questions sont du ressort des cantons et des communes.

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