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Casher ou halal, pas le même combat

En Suisse, 10% seulement des Musulmans sont réellement pratiquants. Keystone

Confirmée cette semaine, l'interdiction de l'abattage rituel des animaux touche différemment les communautés juive et musulmane de Suisse.

Le conseiller fédéral Pascal Couchepin a tranché mercredi. Egorger un bœuf ou un agneau sans l’avoir préalablement étourdi restera en Suisse une pratique hors-la-loi. Face aux réactions d’hostilité des cantons et des amis des animaux, le ministre de l’Economie abandonne ce combat perdu d’avance.

L’annonce est tombée à l’issue d’une réunion avec les leaders de la Fédération suisse des communautés israélites (FSCI). Lesquels ont tout de même obtenu que leurs importations de viande casher soient désormais autorisées par la Loi, et non plus par une simple ordonnance.

Et les musulmans? Tout comme le judaïsme, l’islam prescrit que la viande consommée par les croyants doit provenir d’animaux abattus rituellement. Elle est alors dite «halal».

La question concernait donc, au premier chef, les disciples de Mahomet. Et pourtant, cette ultime réunion s’est tenue sans eux. «Nous les avions invités, mais ils ne sont pas venus, explique Evelyn Kobelt, porte-parole du Département fédéral de l’économie.

Chapelles multiples

Face aux 18 000 juifs, les 350 000 musulmans recensés officiellement en Suisse – ils sont en réalité certainement bien plus nombreux – devraient pourtant peser d’un poids certain. Mais cette communauté, formée d’un tiers de Turcs, d’un cinquième d’ex-Yougoslaves et d’une multitude d’autres nationalités, est incroyablement disparate.

De plus, alors que les juifs sont en très grande majorité de nationalité suisse, 40 000 musulmans seulement ont le passeport à croix blanche. Arrivés en Suisse plus récemment, leur intégration est à l’évidence moins poussée.

«Ils sont très divisés en différentes chapelles, qui ne sont pas seulement religieuses, mais aussi politiques», explique Ahmed Benani, professeur d’histoire et de science des religions à l’université de Lausanne.

Et d’ajouter que l’islam – dans sa majorité sunnite en tout cas – est la seule religion à ne pas avoir de clergé. Ce qui complique évidemment les choses lorsqu’il s’agit de s’adresser à un leader.

«De plus, ajoute Ahmed Benani, il y a énormément de tirage entre les animateurs de ces communautés. Ils ne parlent jamais de la même voix.»

On ne badine pas avec la nourriture

Sur la question de l’abattage rituel pourtant, les musulmans ont su faire entendre une voix unique. «Ils ont plusieurs fois exprimé leur position, et même de manière commune, presque fusionnelle, avec la communauté juive», note Ahmed Benani.

Alors, la question de l’abattage rituel serait-elle au final moins importante pour les musulmans que pour les juifs? Mohammed Karmans, président de la Ligue des musulmans de Suisse, s’en défend avec vigueur: «il y a des gens qui achètent des bêtes et qui vont les égorger discrètement dans les champs, sans compter tous ceux qui achètent leur viande halal en France, en Allemagne ou en Italie».

Une impression nuancée par Ahmed Benani: «en Suisse, comme en France, les pratiquants ne forment guère plus de 10% de la communauté. Vous verrez donc de nombreux musulmans faire leurs courses au supermarché sans se soucier de l’abattage».

«Par opposition, poursuit le professeur d’origine marocaine, les juifs sont beaucoup moins nombreux et beaucoup plus organisés. Et comme chez eux, le courant orthodoxe est assez dominant, on est assez strict sur les règles du cashrout.»

Des chiffres qui ne trompent pas

Alfred Donath, président de la FSCI, confirme: «même si il n’y a que 4000 à 5000 pratiquants parmi les juifs de Suisse, nous servons de la viande casher en de très nombreuses occasions. Donc, ce débat concernait pratiquement tous les juifs de Suisse».

Des avis que semble confirmer la réalité des chiffres. Selon les statistiques de l’Office fédéral de l’agriculture, l’an dernier, la Suisse a importé (légalement) 140 tonnes de viande casher pour 160 tonnes de viande halal. Ramenées à l’importance numérique des deux communautés, ces données sont parlantes.

swissinfo/Marc-André Miserez

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