Des perspectives suisses en 10 langues

Faire acte de tolérance

Le voile, 'marqueur identitaire' plus souvent culturel que politique. Keystone

En autorisant le port du voile à ses employées, le numéro un de la distribution suisse Migros donne un signal. Celui du respect des croyances.

Président du Groupe de recherche sur l’Islam en Suisse (GRIS), Stéphane Lathion appelle de ses vœux un débat serein sur la question.

Maître-assistant en Sociologie des Religions à l’Université de Fribourg, Stéphane Lathion a publié plusieurs travaux sur la question musulmane. Et notamment «Musulmans d’Europe, entre références et contexte, l’émergence d’une identité islamique européenne» en 2003.

Travail associatif, enquêtes de terrain: ce croyant sans attaches religieuses connaît de l’intérieur son objet de recherche. Il analyse la décision de Migros d’autoriser ses employées à porter le voile.

swissinfo: En autorisant le port du voile, quel signal la Migros donne-t-elle à la société helvétique?

Stéphane Lathion: D’abord, c’est un signal positif. Dans le sens où il s’agit de la reconnaissance d’une présence musulmane en Suisse, qui s’inscrit ici dans une collaboration entre employés et employeur.

Cette décision met aussi en évidence le fait qu’il n’y a pas d’incompatibilité entre le port du foulard et le fait de bien faire son travail.

swissinfo: Mais ce signal peut-il porter jusque dans les écoles ou l’administration publique?

S.L.: Je ne crois pas. D’abord parce qu’en Suisse, les cantons n’ont pas tous la même législation par rapport à l’élément religieux. A Genève ou Neuchâtel par exemple, la laïcité est comprise dans le sens d’une absence de tous signes religieux. Le signal de la Migros n’aura là aucune influence.

Il n’aura pas d’impact non plus dans les écoles, où l’élément religieux peut être mis de côté sur la base d’une argumentation relativement solide.

swissinfo: A vos yeux, comment la problématique du voile est-elle perçue et discutée dans la population suisse?

S.L.: Au niveau du public, l’influence de la situation française est indéniable. En Suisse romande en tout cas. En Suisse alémanique beaucoup moins.

D’une part, la situation de l’Islam en Autriche ou en Allemagne est très différente, plus ouverte qu’en France. Et d’autre part, en Suisse alémanique, la majorité des musulmans sont plutôt turcophones ou originaires des Balkans. Pour l’instant, les revendications y sont moins religieuses que culturelles.

Pour en revenir à la Suisse romande, quand une polémique éclate en France autour du voile, elle rebondit ici. Et les tenants d’une laïcité assez fermée à la française en profitent pour relancer le débat.

Cela dit, la Suisse n’est pas dans le cas français. Je ne suis pas sûr qu’à Genève ou ailleurs en Suisse romande, on se trouve confrontés à des provocations telles qu’on peut les observer dans certains quartiers français où les jeunes filles viennent à l’école en burka.

Fondamentalement, je trouve dommage qu’on aborde la question du voile sous l’angle de la polémique. Il y a ici un climat serein qui doit nous permettre de discuter de la question. D’analyser leur bien-fondé puis de poser les limites.

Ce qui est important, en Suisse, pour maintenir un climat serein, c’est de ne pas prendre de positions de principes. Mais de reconnaître, d’écouter, d’argumenter, de discuter, quitte ensuite à interdire. Car on peut trouver de bonnes raisons pour dire qu’une enseignante n’a pas à porter un foulard, par exemple.

Je vois dans cette approche une forme de respect. Et c’est là où la position de la Migros est intéressante.

Jusqu’ici, on prend les décisions au cas par cas en Suisse. Et le problème du cas par cas, que ce soit pour le voile, pour les carrés dans un cimetière ou les dispenses de cours de piscine, c’est qu’on crée des précédents ensuite difficiles à remettre en cause.

En adoptant une logique plus globale et à moyen terme, on éviterait de se mettre dans des positions où les musulmans peuvent se sentir discriminés. Ce qui est parfois le cas.

swissinfo: Du côté de la France et l’Allemagne, comment appréhende-t-on cette problématique du voile?

S.L.: En Allemagne, on agit un peu au cas par cas, du fait aussi de l’organisation fédérale du pays. Pour ce qui est de la France, vous n’imaginez pas la tension qui existe dans ce pays par rapport à la question de l’Islam. On va de provocation en réaction épidermique.

En France, les provocations par certains groupuscules musulmans sont un fait. Elles justifient certaines craintes des non-musulmans, et poussent même certains musulmans engagés socialement à demander l’introduction de garde-fous.

swissinfo: Et sur le voile lui-même, que peut-on dire de sa signification?

S.L.: Qu’il y a autant de raisons de porter le voile que de femmes qui le portent. Pour certaines femmes, le voile est un marqueur identitaire, mais aussi le marqueur d’un engagement politique. Mais, ces femmes restent très minoritaires.

Pour la grande majorité des musulmanes qui le portent, le voile est un marqueur identitaire, religieux surtout, et culturel. Le danger est de stigmatiser une grande majorité à cause d’une minorité très active, revendicatrice, provocatrice, qui porte le voile en affichant une identité politique. Les mettre dans le même panier, c’est intellectuellement malhonnête, et ça envenime le débat.

swissinfo, Pierre-François Besson

La Constitution suisse accorde au citoyen la liberté de conscience et de croyance.
En particulier, chacun a le droit de choisir librement sa religion ainsi que de se forger ses convictions philosophiques et de les professer individuellement ou en communauté.
Mais en qualité d’Etat confédéré, la Suisse accorde à ses cantons la souveraineté sur la gestion de leurs rapports entre religion et Etat.

En conformité avec les normes du JTI

Plus: SWI swissinfo.ch certifiée par la Journalism Trust Initiative

Vous pouvez trouver un aperçu des conversations en cours avec nos journalistes ici. Rejoignez-nous !

Si vous souhaitez entamer une conversation sur un sujet abordé dans cet article ou si vous voulez signaler des erreurs factuelles, envoyez-nous un courriel à french@swissinfo.ch.

SWI swissinfo.ch - succursale de la Société suisse de radiodiffusion et télévision

SWI swissinfo.ch - succursale de la Société suisse de radiodiffusion et télévision