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Un Genevois passeur des cultures du monde arabe

swissinfo.ch

Depuis 30 ans, Alain Bittar anime à Genève un des rares librairies arabes laïques d'Europe. Cet éminent acteur syro-libanais de la scène culturelle genevoise organise le concert genevois du West-Eastern Divan Orchestra du chef d'orchestre israélien Daniel Barenboïm.

Formé de 120 musiciens israéliens et arabes, le West-Eastern Divan Orchestra se produit ce vendredi au Victoria Hall, la prestigieuse salle de concert de Genève. Une aventure dans laquelle s’est lancé Alain Bittar et l’association qu’il a créée avec une poignée d’amis il y a une dizaine d’années.

Alain Bittar préside en effet avec Rachel Bebecoff Le Manifeste pour une paix juste et durable au Proche-Orient, une association qui rassemble des Arabes et des juifs vivant en Suisse. En 2006, la ville lui a d’ailleurs décerné la médaille de la Genève reconnaissante pour l’ensemble de son œuvre.

Rien d’étonnant donc que sa librairie ait pour devise: «L’esprit est comme un parachute, c’est grand ouvert qu’il fonctionne le mieux.»

swissinfo.ch: En 10 ans d’existence, qu’a pu accomplir le West-Eastern Divan Orchestra?

AB: Il faut d’abord rappeler que cette orchestre est né de la rencontre entre le chef d’orchestre israélien Daniel Barenboïm et l’écrivain Edward Saïd (NDLR: mort en 2003), une des figures les plus brillantes de la culture palestinienne.

De cette rencontre entre deux grands mélomanes a surgi la conviction que la paix au Moyen-Orient passait nécessairement par une connaissance mutuelle. Un impératif évident pour des musiciens. Pour s’accorder et jouer ensemble, les musiciens doivent d’abord apprendre à se connaitre.

Faire jouer ensemble des jeunes issus des différents pays arabes et d’Israël permet précisément de créer un espace de connaissance et de compréhension de l’autre.

De fait, l’orchestre a obtenu de nombreux soutiens, dont ceux de l’Allemagne et du Roi d’Espagne. Le gouvernement espagnol a d’ailleurs fourni des passeports diplomatiques aux musiciens pour qu’ils puissent se produire à Ramallah en passant par Israël et la Jordanie

Car les pays de la région ont toujours des difficultés à comprendre l’autre et à accepter l’approche culturelle du West-Eastern Divan Orchestra. Il y a toujours un événement comme la dernière offensive israélienne sur la bande de Gaza qui complique considérablement l’organisation dans la région de tels événements transculturels.

swissinfo.ch: Ce concert marque-t-il un nouveau départ pour Le Manifeste?

AB: Le Manifeste n’a jamais cessé ses activités. Mais il y a eu des moments où ces création d’espaces communs a été beaucoup plus durs à concrétiser, comme en 2006 lors du conflit entre le Hezbollah et l’armée israélienne ou l’année dernière lors des bombardements israélien sur Gaza.

En effet, le Manifeste ne réuni pas que des pacifistes. Au fil des ans, l’association s’est donné comme mission de favoriser et de soutenir les espaces de dialogue et d’écoute mutuelle, entre personnes d’origine juive, arabe ou autre vivant en Suisse, ainsi qu’entre Israéliens et Palestiniens.

Depuis Genève, cette contribution à la résolution du conflit israélo-palestinien nous semble plus pertinente qu’une action militante classique. Comme le disait Edward Saïd, «lorsque les circonstances entraînent le naufrage de la politique, alors apparaissent les gens des lettres, des arts et de !a musique, qui, éclairent la voie et nous redonnent espoir dans le futur et dans l’humanité.»

swissinfo: Vous fêtez cette année les 30 ans de votre librairie L’Olivier. D’où vous est venue cette passion pour la littérature du monde arabo-musulman?

AB: Elle est issue de ma trajectoire personnelle. Je suis arrivé en Suisse à l’âge de 6 ans pour très vite m’engager dans sa vie sociale et politique, en passant par le scoutisme et les jeunesses étudiantes catholiques. époque où les étrangers en Suisse n’étaient pas censés avoir une activité sociale ou politique.

Après m’être vu refusé une première fois la naturalisation à 17 ans, je suis parti à la recherche de mes racines complexes. J’étais un Arabe qui ne parlait pas l’arabe, un chrétien issu d’une terre majoritairement musulmane et un jeune du quartier populaire des Pâquis (Genève). Ces multiples appartenances, il fallait bien que je les conjugue.

Après mes études à l’Institut de hautes études internationales de Genève, je suis parti dans les camps de réfugiés palestiniens au Liban, un peuple en partie exilé et multiconfessionnel dans lequel je me reconnaissais. J’y ai appris l’arabe et découvert mon rôle de trait d’union entre les différentes communautés dont je suis issu.

Raison pour laquelle ma librairie s’appelle L’Olivier. Ce fruit est un symbole de paix. Dans le Coran, il est défini comme un arbre sacré n’appartenant ni à l’Orient, ni à l’Occident.

swissinfo.ch: Cette librairie est aussi une réponse à la censure en vigueur dans la plupart des pays du monde arabe.

AB: Il faut savoir qu’il n’y a pas une censure unifiée dans ces pays et qu’ils n’ont pratiquement pas de relations culturelles entre eux. Ainsi, tel livre interdit au Maroc sera probablement distribué en Algérie, celui qui est censuré en Lybie se retrouvera en Egypte, etc….

La librairie étant à l’extérieur du monde arabe, nous avons pu établir des relations avec ses différents pays et fournir des livres que leurs concitoyens ne peuvent trouver chez eux.

Il faut aussi rappeler que Genève voit régulièrement passer l’élite financière et politique du monde arabe. Ces gens souvent aux responsabilités éprouvent un certain plaisir à déambuler simplement dans une librairie, sans un imposant dispositif sécuritaire. Une option impensable dans leur propre pays.

swissinfo.ch: Votre libraire est devenu un passage obligé pour les Arabes de passage à Genève, une ville qui a été une capitale extérieure du monde arabe. Est-ce toujours le cas?

AB: Lieu de passage obligé à cause de ses organisations internationales et de ses banques, Genève a aussi pu jouer un rôle dans le cadre de négociations confidentielles entre différents partenaires de cette région. La sécurité offerte par la ville a aussi contribué à en faire un lieu de villégiature privilégié du monde arabe, en particulier pour les grandes familles des pays du Golfe.

Dans le temps, Genève permettait à ces milieux qui s’ouvraient à la modernité de se rencontrer, ce qu’elles ne pouvaient faire chez elles.

Aujourd’hui, les nouvelles générations ont des goûts et des possibilités bien plus vastes. Durant de longues années, Genève a aussi profité de l’impossibilité pour les touristes du Golfe de se rendre à Beyrouth. Mais aujourd’hui, ils trouvent dans la capitale libanaise un lieu de vilégiature exceptionnel par rapport à Genève.

Frédéric Burnand, Genève, swissinfo.ch

Jérusalem À l’occasion du 10e anniversaire de sa création, le West-Eastern Divan Orchestra et Daniel Barenboïm se produisent à Genève en mémoire de son co-fondateur Edward Saïd et dans le cadre de l’opération «Jérusalem, capitale culturelle arabe 2009».

Solistes Lors de ce concert, Daniel Barenboïm et Mariam Saïd liront des poèmes sur Edward Saïd et Jérusalem par le poète palestinien Mahmoud Darwich et le poète syrien Nizar Qabbani. Michael Barenboïm et Karim Saïd, respectivement le fils et petit-neveu des fondateurs de l’orchestre, se produiront comme solistes.

Genève Le concert a lieu le 7 août à 20h30 au Victoria Hall de Genève.

Le West-Eastern Divan Orchestra a été fondé en 1999 par le chef d’orchestre et pianiste israélien Daniel Barenboïm et l’écrivain palestinien Edward Saïd.

L’orchestre rassemble des musiciens venus d’Israël, de Palestine, de Syrie, du Liban, de Jordanie et d’Egypte rejoints par des musiciens d’Iran, de Turquie et d’Espagne.

Le but est d’exécuter de la musique et de promouvoir la réflexion et la compréhension.

La Fondation Barenboïm-Saïd a été créé en 2004 et accueille différents projets d’éducation musicale en Palestine et en Israël.

Le West-Eastern Divan Orchestra marque son 10e anniversaire avec une tournée dans quelques-uns des plus prestigieux salles de concerts et festivals d’Europe, dont Séville, Madrid, San Sebastián, Genève, Bayreuth, Salzbourg et Londres.

«Le Manifeste» est issu d’un appel lancé en février 2002 par des personnes suisses, ou vivant en Suisse, d’appartenance ou d’origine juive ou arabe, «profondément alarmées par la violence qui sévit au Proche Orient».

Elles sont rapidement rejointes par des centaines de femmes et d’hommes d’autres origines.
Cet appel condamne le recours à la violence et le processus de surenchère qu’il génère.

Il condamne l’occupation des territoires palestiniens et toute autre tentative d’hégémonie, de même que les attentats et les attaques contre la population civile israélienne, et défend le droit à la souveraineté et à la sécurité tant des Israéliens que des Palestiniens.

Le manifeste

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