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L’envol de Paul Géroudet

Paul Géroudet, un mythe pour les ornithologues francophones. Pascal Fraitschi, Tribune de Genève

Il était l'un des plus fameux spécialistes des oiseaux sur la planète. Le Suisse Paul Géroudet est mort le mois dernier à presque 89 ans.

Journaliste animalier français, président de la Ligue pour la protection des oiseaux, Allain Bougrain-Dubourg confie son émotion à swissinfo.

swissinfo: Paul Géroudet fut selon vous le plus grand ornithologue francophone du 20e siècle. Vraiment?

Allain Bougrain-Dubourg: C’est l’un des hommes qui ont regardé la nature avec, à la fois, une extrême rigueur scientifique et, en même temps, beaucoup d’émotion.

Souvent les scientifiques font des analyses un peu froides. Il était dans le vivant. Avec une compétence exemplaire. On peut dire aujourd’hui que l’ornithologie francophone repose sur les vocations qu’il a su créer.

Non seulement, il a observé. Mais il a raconté. Très joliment, et toujours avec rigueur. Je me souviens gamin que lorsque j’observais un oiseau, on me disait d’aller voir «le» Géroudet. C’était le livre de référence nous permettant à la fois d’identifier les oiseaux et de mieux les comprendre.

Un autre élément me semble important. En son temps, beaucoup de scientifiques se contentaient d’observer. Lui, a alerté. Ses observations ont conduit à constater la fragilité de la nature, les oiseaux étant des indicateurs de l’état de la biodiversité.

Il s’est investit immédiatement dans des programmes de conservation, qu’il a initiés. En France par exemple, il a fait partie des créateurs du Fond d’intervention pour les rapaces (FIR) – qui s’est notamment occupé il y a plus de trente ans des aigles royaux et des vautours fauves.

Paul Géroudet a accompagné jusqu’à ses dernières heures ce qui est aujourd’hui devenu la Mission Fir à la Ligue pour la protection des oiseaux. Il se préoccupait, quelques jours avant sa mort encore, de l’avenir du Gypaète barbu.

Un homme exceptionnel, généreux, chaleureux. Il nous laisse à la fois un vide et une obligation à poursuivre son œuvre.

swissinfo: De son travail, que retenez-vous d’essentiel?

A.B-D.: Il a sûrement été LE scientifique qui a conjugué la connaissance et la volonté de préserver le milieu. Sans sa volonté d’agir, beaucoup de programmes de sauvegarde des espèces d’oiseaux n’auraient pas vu le jour.

Aujourd’hui, on parle beaucoup d’écologie. Beaucoup d’associations existent, des gens compétents s’y consacrent, une sensibilité écologique s’est développée.

A son époque, on clouait les chouettes sur les portes de grange pour conjurer le sort. On mettait des pièges à mâchoires pour prendre les rapaces diurnes – on voulait les anéantir, c’était les nuisibles. Paul Géroudet a contribué à montrer qu’ils sont utiles et doivent vivre.

swissinfo: Dire qu’il y a eu un avant- et un après-Géroudet n’est donc pas exagéré?

A.B-D.: Incontestablement. Il a marqué son temps. Il ne voulait pas de fleurs sur sa tombe, préférant que l’argent soit consacré à des actions de protection de la nature auprès des associations. Ce qui m’importe aujourd’hui, c’est que l’après-Géroudet soit à la hauteur de l’héritage qu’il nous laisse.

swissinfo: A quelle autre figure est-il assimilable dans le monde des naturalistes?

A.B-D.: A Robert Hainard (autre Genevois, graveur et sculpteur). Lui, c’est à travers l’art qu’il a fait passer son message. Et lui aussi – remarquable observateur de terrain et très grand naturaliste – ne se contentait pas de constater, il agissait pour changer.

Et tout ça, sans donner de leçons, sans montrer du doigt, sans dénoncer de façon primaire. Mais en disant: regardez comme c’est beau, regardez comme c’est fragile, on ne va pas laisser faire la destruction…

Ils sont très peu nombreux, les gens qui, comme Paul et comme Robert, ont agi. Cousteau, c’était formidable. Mais il y avait un coté très médiatique. Paul et Robert étaient davantage dans l’ombre. Leur démarche était peut être plus authentique et plus enracinée.

swissinfo: La mort de Paul Géroudet a laissé les médias quasiment de marbre. Pourquoi?

A.B-D.: Nous sommes dans un monde où le paraître compte plus que l’être. C’est le monde médiatique. Et le message des gens qui restent un peu en retrait, bien qu’étant des modèles, s’arrête au niveau des initiés. C’est dommage…

Par analogie, Nicolas Hulot fait un travail tout à fait remarquable aujourd’hui et je lui rends hommage. Mais je regrette que des gens de la qualité de Paul Géroudet ne soient pas valorisés dans nos références.

La conséquence: seules, les associations sont émues. Elles seules sont accompagnées par la présence ou la disparition de personnages comme Géroudet. Cela dit, ce n’est pas inutile. Car les associations sont les racines du combat.

Interview swissinfo: Pierre-François Besson

Le Genevois Paul Géroudet est décédé le 2 novembre dernier. Il était né le 13 décembre 1917. Instituteur de formation, cet ornithologue autodidacte était aussi écrivain et écologiste.

De 1939 à 1994, il a été le rédacteur de Nos Oiseaux, donnant à cette revue romande une audience internationale.

Membre de plusieurs sociétés scientifiques et de protection de la nature, Paul Géroudet était aussi consultant auprès du WWF international et expert pour le Conseil de l’Europe.

Son nom est associé au mythique «Guide des oiseaux d’Europe». Il fut aussi l’auteur de nombreux ouvrages spécialisés, consacrés aux Passereaux, Rapaces, Limicoles et autres Gallinacés.

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