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L’exil suisse de Coco Chanel avant sa renaissance

Coco Chanel s grave
La pierre tombale de Coco Chanel au cimetière de Bois-de-Vaux. Keystone / Laurent Gillieron

C’est à Lausanne qu’est enterrée Coco Chanel, décédée il y a tout juste 50 ans. Révolutionnaire de la mode, mais très conservatrice politiquement, Gabrielle Chanel a vécu une dizaine d’années sur les bords du lac Léman pour échapper aux éventuelles conséquences de sa collaboration avec les nazis.

«Coco Chanel ne buvait que du champagne», racontait à la télévision suisse (RTS) un barman de l’hôtel Beau-Rivage Palace, où elle avait une suite.

Le luxueux hôtel lausannois était la moindre des résidences pour la créatrice de mode qui avait connu un succès phénoménal après la Première Guerre mondiale. Un luxe à mille lieues de l’hospice de Saumur où Gabrielle Chasnel (de son vrai nom) voit le jour en 1883 et de l’orphelinat où elle grandit et apprend la couture.

Grâce à sa vision avant-gardiste et féministe, à son travail acharné et aux liens qu’elle a noués dans la «Café Society», la jet-set des Années folles, l’intrépide entrepreneuse emploie en 1935 quelque 4000 personnes et possède cinq boutiques dans le centre de Paris. Sans compter la ligne de parfum qu’elle lance dès 1921 avec le mythique N° 5.

Mais à la fin de la Deuxième Guerre mondiale, ses accointances avec l’ennemi (voir encadré) deviennent pesantes. Elle avait aussi fermé sa maison de couture dès la déclaration de guerre en 1939 et licencié l’ensemble de ses 4000 employées qui avaient eu le toupet de participer aux grèves de 1936. En 1945, elle prend donc un aller simple pour la Suisse romande, comme d’autres collabos français, notamment l’écrivain-diplomate Paul Morand dont le dernier livre – L’Allure de Chanel (1976) – est nourri de ses discussions avec la modiste.

Une fois installée à Lausanne, elle fréquente les meilleurs hôtels, entre deux séjours à la Clinique Valmont. On peut la croiser au salon de thé Steffen au-dessus de Montreux, lieu de rencontre des célébrités, et à l’auberge du Chalet-des-Enfants dans les hauts de Lausanne.

Coco Chanel
Coco Chanel photographiée autour de 1950. The Granger Collection

Plusieurs de ces endroits mentionnent d’ailleurs Chanel dans leur présentation – le site web du Chalet-des-Enfants raconteLien externe ses passages pour «y déguster un bol de lait et une part de flan» et le Lausanne Palace possède même une suite Coco ChanelLien externe «largement inspirée» par la créatrice.

Elle passe néanmoins beaucoup de temps au Beau-Rivage PalaceLien externe, sur le balcon de sa chambre avec vue sur le lac et les montagnes. Un de ses chiens serait même enterré dans le cimetière pour animaux de compagnie réservé aux clients de l’hôtel.

Lorsqu’elle se promène au bord du lac, son chauffeur la suit en Cadillac. Pas question de faire profil bas.

Mais il n’y a pas que les mondanités et les promenades. Chanel prépare aussi son retour dans le monde de la mode. En 1954, à l’âge de 71 ans, elle revient à Paris, relance sa maison de couture et renoue avec la gloire les années suivantes.

Enterrement en Suisse

La reine de l’élégance française n’oublie pas pour autant les charmes des rivages lémaniques. En 1966, elle fait l’acquisition de la villa Le Signal à Sauvabelin, dans les collines boisées au-dessus de Lausanne. Dans cet ancien pensionnat d’architecture HeimatstilLien externe, elle reçoit quelques-uns de ses amis, comme le danseur français Serge Lifar, pour lequel elle avait conçu des costumes. «J’ai toujours eu besoin de sécurité. En Suisse, on peut avoir cette sécurité», a-t-elle dit un jour.

Coco Chanel s’éteint le 10 janvier 1971 à l’âge de 87 ans, dans sa suite de l’hôtel Ritz au 15 place Vendôme à Paris. Selon ses dispositions, elle est enterrée à Lausanne au cimetière du Bois-de-Vaux non loin des tombes de Pierre de Coubertin, fondateur du Comité international olympique, et de Paul Robert, auteur du célèbre dictionnaire homonyme.

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L’enterrement de Chanel à Lausanne en janvier 1971. Keystone / Str

La tombe qu’elle a elle-même dessinée est recouverte de bégonias blancs. Elle est bordée d’un banc de marbre blanc, comme la pierre tombale qui comporte cinq lions (son chiffre porte-bonheur et son signe astrologique). La stèle est au pied de la tombe. «Je ne veux pas de pierre sur ma tête – au cas où je voudrais revenir.», a-t-elle précisé.

L’épisode suisse tout comme la collaboration des années de guerre sont soigneusement ignorées par la chronologieLien externe du site officiel de la maison Chanel.

En 2011, Hal Vaughan, un journaliste basé à Paris et ancien officier de renseignement américain, publie «Sleeping with the Enemy: Coco Chanel’s Secret WarLien externe» où il affirme que Coco Chanel était non seulement la maîtresse d’un officier allemand, Hans Günther von Dincklage, mais que cet ancien attaché d’ambassade appartenait au renseignement militaire allemand chargé de recruter des agents nazis.

Dans son enquête basée sur les archives déclassifiées des renseignements britanniques et allemands, Vaughan assure que Chanel était plus qu’une sympathisante et une collaboratrice des nazis. Elle était une agente «vicieusement antisémite» de l’Abwehr, l’agence de renseignement militaire allemande.

Le livre donne son numéro d’agent de l’Abwehr – F-7124 – et son nom de code. «Westminster» (elle avait eu une liaison avec le Duc de Westminster, un des hommes les plus riches du monde).

Elle n’a en tout cas pas hésité à profiter des lois antisémites instaurées en France pour tenter de récupérer Lien externela marque de parfum No 5, dont les frères Paul et Pierre Wertheimer possédaient l’essentiel des droits, suite à leur association avec Chanel en 1924.

En 2014, un documentaire sur France 3, «L’Ombre d’un Doute», aborde frontalement le sujet. Une première pour une chaîne publique française.

Sauvée par Churchill?

Lorsque la guerre éclate en 1939, Chanel continue de vivre dans sa suite au Ritz qui deviendra le quartier général de la Luftwaffe en 1940. Grâce à sa liaison avec le baron Hans Gunther von Dincklage qu’elle poursuivra en Suisse, elle contribue à la libération de son neveu (qui, selon certaines sources, était en fait son fils) d’un camp de prisonniers de guerre allemand. Selon Vaughan, elle accepte en retour d’aider les nazis grâce à «ses relations privilégiées à Londres, en Espagne neutre et à Paris».

Après la guerre, de nombreuses femmes en France ont été punies pour «collaboration horizontale» avec des officiers allemands. Chanel a bien été interrogée par un comité d’épuration des Forces françaises de l’intérieur sur sa relation avec von Dincklage, mais elle a été rapidement relâchée, libre de toute accusation de collaboration. «Churchill m’a fait libérer», déclarera Chanel à sa petite-nièce, selon Vaughan. Certains historiens pensent que le Premier ministre britannique Winston Churchill est peut-être intervenu – ce qui n’est pas établi – pour éviter que Chanel ne révèle les sympathies pronazies de hauts fonctionnaires et de membres de la famille royale britannique, comme Edward VIII, qu’elle avait fréquenté dans les années 1920.

En 1945, Chanel s’installe à Lausanne, où von Dincklage la rejoint pour une partie du temps. En 1951, une photo du couple est prise à Villars sur Ollon dans le canton de Vaud.

Suite à la publication du livre de Vaughan, le groupe Chanel a admis dans une déclaration que Coco Chanel avait eu une relation avec von Dincklage mais il a nié qu’elle était antisémite.

>> À voir sur la chaîne Arte: Les guerres de Coco ChanelLien externe

Traduit et adapté de l’anglais par Frédéric Burnand

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