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L’horreur et la pudeur

Rwanda: le sourire, malgré la mémoire. Rwanda / FIFF

Dans le cadre de sa section «Le jeune cinéma africain», le Festival international de films de Fribourg a présenté «Nous ne sommes plus morts!», radiographie sensible du Rwanda après l'horreur. Choc et incompréhension.

En 1998, le réalisateur camerounais François Wouakache décide de suivre un groupe d’écrivains africains qui doit se rendre au Rwanda. «Au départ, ce n’est pas un projet de film, mais plutôt l’envie d’aller sur place, de partager un moment avec les Rwandais, de voir comment la vie recommence…», dit-il. Et puis, sans doute, à l’instar des écrivains, de faire face à une certaine mauvaise conscience: qu’avons-nous fait, pour éviter le drame? Rien.

Le film, achevé en 2000, est articulé en deux «mouvements». Le second, intitulé «Vivre» nous montre la vie, tout simplement. Le quotidien des petits jobs – réparateur de tongs, nettoyeur de voitures. Mais aussi les espoirs de trois étudiantes, ou quelques moments de détente au bord d’un lac, danse et barbecue. Rien de spectaculaire, sinon le miracle de la vie qui revient, de la vie qui renaît, malgré tout.

Mais cette banalité du quotidien prend toute sa valeur après la projection du premier mouvement, intitulé «La mémoire douloureuse». Un million de morts en trois mois, nous dit une voix off. Soit environ 10 000 assassinats par jour. «Celui qui a survécu est dépassé par ce qui s’est passé à ce moment-là», constate une oratrice à l’occasion d’une cérémonie funéraire. Atroce printemps 1994.

La caméra de François Wouakache filme les impacts de balles dans les églises. Mais aussi des crânes, des os, des corps desséchés partiellement enveloppés de vêtements, des restes qu’on a retirés des charniers pour les déposer dans des bâtiments. Devoir de mémoire. Ces bâtiments sont gardés par des bénévoles, car d’aucuns voudraient détruire ces traces de l’impensable.

Voilà pour les éléments choc. Car le cinéaste fait preuve de beaucoup de discrétion et se refuse à tout voyeurisme. Il s’attarde sur les vivants, leurs souvenirs, leurs interrogations. «Lors de la préparation du génocide, il y a eu beaucoup de signes… Pourquoi n’êtes-vous pas intervenus alors?» demande une jeune fille aux écrivains, silencieux face à cette terrible question.

Les Rwandais filmés par François Wouakache font montre d’une incroyable pudeur. Pas de larmes. Pas de cris de colère. Pas de désir de vengeance. L’incompréhension, surtout. Et d’atroces souvenirs: «Tout le pays sentait mauvais… ça sentait le cadavre partout».

Les intellectuels accusent, toutefois. Evoquent la responsabilité de la France. Et celle de l’Eglise: «Comment a-t-on pu tuer, violer des cadavres, empaler des enfants? A cause de la christianisation, le Rwanda a jeté par-dessus bord toutes ses valeurs ancestrales. Le Rwanda, c’est une christianisation parfaitement réussie, et parfaitement ratée. Le résultat est monstrueux».

Un écrivain rwandais constate qu’il ne peut tout simplement plus écrire: «Désormais, mon imagination est bloquée, parce que la réalité a dépassé la fiction. Tout ce que je pourrai écrire désormais, sera en-dessous la réalité». La réalité a dépassé la fiction, et les images qui hantent la mémoire des survivants dépassent notre compréhension de l’humain.

Bernard Léchot

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